Tout était rentré dans l'ordre ! Le Rituel pour venir en aide à Arcadia avait été mené à bien et les villageois que j'avais secourus deux jours plus tôt avaient commencé à s'installer au pied de la montagne du Maître. Le calme était revenu dans les environs. Malvon, l'entité mauvaise scellée dans le Temple sur lequel veillait mon mentor, ne cherchait pas non plus à réintégrer notre monde.
J'avais donc décidé de profiter de cette journée pour aiguiser mon Art après m'être entretenue avec celui qui m'avait tout appris. Lui-même était d'avis à ce que je continue de me perfectionner car il avait, parait-il, assisté d'ici à une partie de mon dernier combat face à la Chimère de Terres Infernales invoquée par un sorcier avide de pouvoir. Je ne lui avais pas demandé ce qu'il avait bien pu l'empêcher de venir me prêter son soutien car je connaissais très bien la réponse : « l'expérience douloureuse est un bon maître ». Pour lui, ce combat à mort n'était rien d'autre qu'un épreuve, et quand je voulus l'interroger sur Firhost, la fameuse Chimère, je n'obtins rien de plus que ce que je ne savais déjà. Toutefois, j'avais entraperçu quelque chose d'atypique dans son attitude ; pas de la crainte, peut-être un léger soupçon de nostalgie. Peu désireuse d'aller à l'encontre de ses décisions, je n'avais pas insisté sur le cas de la Chimère.
En revanche, j'appris plein de nouvelles choses sur mon propre cas !
Outre le fait que je m'étais attendue aux justifications du Maître quant à mon « étonnante » ressemblance avec quelques-uns de ses traits lorsque je venais à me transformer sous l'emprise du Cœur d'Améthyste, j'eus droit à un petit exposé bordé d'hypothèses sur ma véritable nature et les exceptions qui semblaient m'affecter.
Mon héritage d'Envoûteuse jouait un rôle dans cette histoire dans la mesure où ce sont mes diverses relations qui font ma force ; plus favorables et nombreuses elles étaient et plus expérimentée et sage j'en sortais. Cette capacité, ne prenant vraisemblablement effet qu'après avoir tissé des liens avec mon entourage, reposait avant tout sur l'empathie. En renforçant ces liens, j'avais donc le pouvoir de me renforcer moi-même et d'acquérir par la même occasion de nouvelles capacités ; pas n'importe lesquelles, cela dit : elles avaient un lien direct avec les personnes qui intégraient mon petit cercle ! Qui plus est, tout comme pour la graine qu'Yggdrasia m'avait injectée dans la main, il ne m'était pas impossible de m'approprier les pouvoirs d'un objet magique ayant appartenu à ma nouvelle rencontre, pourvu que le lien établi entre nous soit assez solide. J'en veux pour preuve la récente - et involontaire - assimilation de la Pierre Philosophale de ce brave Sullyvan.
L'autre fait curieux sur lequel le Maître ne détenait pas grande certitude relevait de ma fulgurante courbe de progression. Selon la théorie du Maître, ma relation avec Pan n'y était pas pour rien dans cette affaire ; c'était comme si son énergie, si peu anodine et pour ne pas dire divine, déteignait sur moi au point de repousser les limites en rapport avec mon métissage « humano-démoniaque ».
On en revenait donc à mon statut d'Envoûteuse et à ses conséquences, mais à un niveau clairement au-dessus vu qu'il frôlait de près le domaine du divin. D'où cette histoire d'"exceptions" m'affectant énoncée plus haut.
Une chose était sûr : je n'avais pas fini d'évoluer !
C'était on ne peut plus encourageant pour la suite~

Au cœur de la zone la plus aride du domaine du Maître, à l'endroit même où je m'étais entrainée à l'utilisation des Runes Ferhu et Berkano, je méditais quant au programme de mon nouvel entraînement. Mon mentor m'avait donné carte blanche pour ce faire alors je ne pouvais plus que compter sur ma seule imagination !
...Et il y avait bien un pouvoir dont je disposais déjà qu'il me fallait travailler plus que les autres : j'ai nommé la très fameuse « Manipulation Minérale Magique ».
Les bottes sur une surface plane à quelques irrégularités près, entourée par la roche au relief modéré, j'eus dans l'idée m'aménager l'espace en fonction de tout ce que j'avais prévu de faire. Ceci allait être un vrai travail d'architecte, alors je me fis fort de me préparer autant que nécessaire aussi bien mentalement que physiquement.
Il n'était pas question de me départir de ma Tenue en Tisse-Rune sous prétexte qu'il n'y avait personne pour m'épier ; son poids ne me facilitait pas la tâche et je trouvais cela préférable au contraire. Ma lame allait rester dans son fourreau durant les deux premières phases de mon entrainement, je me permis donc de la laisser de côté jusqu'à ce que survienne le bon moment.
Une fois chose faite, je pris la liberté de me dénouer les muscles avec quelques petits étirements.

- Bien ! L'heure est donc venue de se familiariser avec ma toute nouvelle acquisition magique~

Je tendis les bras en avant après avoir fermé les yeux. Inspirant un grand coup, j'entrai en résonance avec le don d'alchimiste qui courait en moi depuis moins de deux petits jours. Les volutes de magie mauve accompagnées d'une succession de symboles cabalistiques eurent tôt fait de se matérialiser autour de mes bras jusqu'à la pointe de mes doigts.
Mon pouvoir était de nouveau actif, près à modifier n'importe quel minéral avec lequel je serais susceptible d’entrer en contact direct.
Je rouvris les yeux pour couler un regard panoramique au paysage qui m'entourait.

- J'ai vraiment l'embarras du choix ! jubilai-je.

Je m'accroupis pour ramasser une pierre moins grosse que mon poing avant de la faire tourner entre mes doigts.

- Avec un tel pouvoir, il ne me serait pas difficile de devenir la plus riche d'entre toutes, murmurai-je pour moi-même tout en me redressant.

A partir de ce morceau de roche dénué de valeur, je transmutai une véritable pierre précieuse, étincelante de beauté ! Une simple pensée me permettait de produire pareil miracle et c'était très loin d'être coûteux en énergie.

- Mais plus on en a, toujours plus on désire. Pour l'heure, l'argent ne m'est pas indispensable.

Tout en monologuant, je modifiai la forme de ma pierre luxueuse pour lui conférer l'apparence d'une petite figure à l'effigie de Pan. Elle lui ressemblait par les traits mais pas par sa taille et ses proportions ; sa tête était plus grande que son corps et cela lui donnait un petit aspect comique~

- Ah ha ha ha ! Par contre, je pourrais très bien me construire les pièces d'un échiquier tout entier à l'effigie de mes connaissances, fis-je en jonglant d'une main avec ma dernière création. Mais pas aujourd'hui. Il faut avant toute chose que je m'attaque à de plus grands volumes...

Je levai les yeux pour les poser sur les quelques monticules rocailleux qui occupaient les environs.
J'eus soudain une idée.

- Tout vient à point à qui sait attendre, soufflai-je tout en rendant à ma figurine son apparence et sa composition d'origine avant de la laisser tomber.

D'un pas rapide, je me dirigeai vers les rochers pour appliquer mes mains dessus. Avec le degré de concentration idoine, je m'amusai à leur conférer une forme nouvelle, plus étirée et beaucoup moins compacte ! Au bout de quelques minutes de pratiques alchimiques particulièrement intenses, je me retrouvais avec tout un tas de cylindres rocailleux que je me fis un malin plaisir de transmuter en tubes d'acier. Je m'arrangeai pour qu'ils aient approximativement la même longueur - six mètres en moyenne - avant de les planter dans le sol comme des pieux, tous espacés de plus d'un mètre et quelques de distance les uns par rapport aux autres.
Pour des raisons de sécurité - et pour ne pas avoir à tout reproduire en cas d'effondrement façon dominos - je fis fondre magiquement les bases de chaque pieu afin qu'ils fusionnent littéralement avec le sol. Aucun ne plia pendant la manœuvre, constat qui ne fit qu'accentuer ma bonne humeur !
Toutefois, avant de grimper au sommet de mon nouveau terrain de jeu, il me restait quelque chose à essayer ; plus précisément une combinaison entre deux différents pouvoirs où l'un pourrait palier au défaut d'activation de l'autre, si j'en croyais mes prévisions...

- Ça ne coûte rien d'essayer, sinon un peu de magie !

Du bout d'un index infusé d'énergie, je traçai la Rune Berkano dans la paume de ma main gauche. Aussitôt inscrite, elle se mit à briller, diffusant son éclat mystique entre mes doigts gantés. L'instant d'après, il en émergea une liane aussi souple qu'un serpent. Comme elle m'était directement reliée et que ma magie circulait à travers elle, j'en avais ainsi fait une extension de ma personne. Bien sûr : la sectionner ne me ferait pas souffrir mais là n'était pas la question.
Avec elle, je dessinai des arabesques en l'air, allant même jusqu'à la faire claquer contre le sol tel un fouet pour tester sa résistance et son élasticité. Quand je fus suffisamment satisfaite du résultat, je modifiai alors son extrémité pour lui donner les propriétés d'une ventouse.
Après quoi je ramenai ma main en arrière, le dos légèrement cambré...

- Eeeeeeet c'est parti ! m'exclamai-je tout en balançant mon bras dans le sens opposé.

La liane-ventouse se scotcha à un rocher et, suite à cette brillante capture, je fis circuler à travers le lien, comme à travers mes poings, le pouvoir de la Pierre Philosophale !
La transmutation mit un peu plus de temps à avoir lieu mais je fus bien heureuse de découvrir que la roche sur laquelle j'avais jeté mon dévolue s'était convertie en un diamant brut.
Mon expérience avait porté ses fruits : en combinant Berkano avec ma Manipulation Minérale Magique, il m'était tout à fait possible de transmuter la terre à distance !
Je ramenai la pierre à son état d'origine avant de réintégrer ma liane à sa Rune pour ensuite désactiver cette dernière. Elle cessa immédiatement d'émettre son éclat magique.

- Excellent ! Maintenant qu'on est fixé, passons au niveau supérieur.


La seconde partie de mon programme !
Après avoir fait couler le flux de magie propre à la Pierre Philosophale dans ma jambe droite, j'abattis mon pied au sol pour le faire se surélever dans un rayon de trente centimètres autour de mes bottes. Une fois à bonne hauteur des pieux que j'avais soudé dans le sol, je sautai sur l'un d'eux. Derrière moi, l'excroissance sur laquelle je m'étais tenue l'instant d'avant se résorba, un peu comme une fleur se refermant sur elle-même.

D'après les dires du Maître, les Envoûteurs les plus doués ne se contentent pas uniquement de la magie : ils excellent aussi dans la maîtrise de leurs mouvements. Des magiciens et combattants accomplis, en somme ! C'était bien ce que je comptais devenir. Mais pour cela, il fallait que je devienne plus fluide dans l’exécution de mes mouvements. Plus fluide, mais aussi plus rapide ! Car des adversaires plus forts que moi, il y en aura toujours. Alors à défaut de pouvoir les égaler en terme de puissance brute, je préférais briller par ma technique et ma vivacité.
Au sommet d'un cylindre pas plus large que mon talon, debout sur un pied, je m'étais donc mis en tête de travailler mon équilibre. Par ailleurs, je m'étais interdit de voler sans quoi cet exercice n'aurait eu aucun sens - et en cas de chute, pareil ! L'expérience douloureuse est un bon maître puisqu'on ne l'oublie jamais, alors je comptais bien tirer profit de cette philosophie.
Ainsi, afin de conserver durablement mon équilibre, je finis par adopter la posture qui me semblait la plus appropriée. L'une de mes mains se trouvait non loin de mon flanc tandis que l'autre, bras plié, côtoyait presque mes lèvres avec le bout des doigts. Je m'assurais ainsi une défense aussi basse que haute, en limitant du même coup le temps que je mettrai à dresser d'éventuelles barrières magiques par le biais de quelques mouvements de doigts.
Après avoir jugé de la fiabilité de cette garde, je me mis à me déplacer à pas souples et mesurés sur les extrémités des cylindres voisins. Je faillis me gameler plus d'une fois, si bien que je dus ralentir le rythme afin de partir en quête d'une cadence plus raisonnable. En outre, je pus me permettre d'effectuer quelques acrobaties, qui, pour la plupart, furent un succès. Enchainer les saltos avant et les sauts périlleux arrière fut un vrai délice... jusqu'à ce que le grand final se convertisse en grand fiasco ; j'avais fini par oublier le nombre de pieux que j'avais planté dans la terre, ce qui me valut, une fois parvenue à l'extrémité de la zone d'entrainement aérienne, un magnifique plat sur la pierre en contre-bas !
Je roulai par terre en poussant de futiles lamentations entre mes dents serrées.

- Oufgh !... Aouch... J'ai... mal. Très... mal !

Ouaip. L’expérience douloureuse est un bon maître, je confirme ! Cette erreur, je n'étais pas prête de la commettre une nouvelle fois, c'est moi qui vous le dis !
Je repris mon poste après m'être massé le bas du dos, et lorsque la douleur s'estompa enfin je me remis à sauter dans tous les sens mais cette fois-ci suivant un schéma prédéfini. Je me permis bien des folies, comme des sauts extravagants en alternant mes appuis. Voire même quelques roues enchainées jusqu'à me retrouver au bord du vide.
Au bout d'un temps, tous ces efforts de cascadeur me laissèrent en sueur. Pour autant, je ne fis pas mine de m'arrêter ! Il fallait que mon corps imprime ces gestes, assimile cet équilibre à en faire tomber des mâchoires de stupéfaction ! Magicienne, certes, mais également guerrière de part ma souplesse ! Ceci est donc devenu ma devise.
Je finis par interrompre mon entrainement pour y ajouter de la difficulté.
De nouveau, je recourus à l'usage de Berkano, et à partir de cette même Rune je fis naître un bandeau en fibres végétales d'une couleur que vous pouvez facilement deviner à force que je vous bassine avec~
Avec un petit sourire amusé, je me le nouai autour des yeux.



- On va bien voir ce que ça donne, commentai-je avant de me reprendre, un index levé : Enfin... « voir »... Aheum !

Je balayai mon propre commentaire d'un geste avant de me remettre à bouger, pas à pas, l'esprit clair et serein. Le dynamisme me revint après avoir marché, puis couru, pendant de nombreuses et longues minutes. Suite à cela, je pus tenter quelques voltes et pirouettes basiques qui ne me firent vaciller que très rarement. Ce ne fus qu'après avoir éliminé tous les petits défauts dans ma posture et ma gestuelle que je me remis à oser de fantastiques cabrioles... qui me valurent de nouvelles chutes. L'une, assurément plus mémorable que les autres, ne m'expédia guère en contrebas comme toutes les autres. Non, cette fois-là, j'étais carrément tombée au sommet d'un des pieux, son extrémité plane plantée dans le ventre. J'en avais presque vomi mon petit-déjeuner...
Mais après cet échec, tout se passa comme sur des roulettes ! Mes gamelles furent plus rares et beaucoup moins ridicules, jusqu'à se transformer en des souvenirs qui m'assureront plus tard de belles crises de rires.
J'estimais qu'il était temps pour moi de rehausser la difficulté d'un cran supplémentaire.

- Caladbolg !

Il ne fallut pas longtemps à ma lame pour se présenter sous mes yeux - car oui, entre-temps j'avais pris la peine de lever mon bandeau. La Caladbolg lévitait dans les airs à la manière d'une épée fantôme. Elle avait conservé son fourreau.

- Maîtresse, tu m'as appelée ? fit sa voix à travers le canal spirituel qui nous reliait.

- C'est exact, dis-je, tout mon poids porté sur ma jambe droite. Je vais avoir besoin de toi, mon enchantée.

- Et de quelle manière ?

- Je souhaite que tu me portes quelques tailles, lui répondis-je sur un ton amène. Quant à moi, j'essaierai de les esquiver les yeux bandés.

- Cela m'est impossible, maîtresse. Le contrat qui nous lie m'interdit de te blesser.

Je m'interrompis.

- Nous avons un contrat ? Tiens donc ! Et depuis quand ?

- Un contrat signé avec le sang de ton Maître, qui est également le mien. Il te comprend aussi étant donné que tu as assimilé de son sang.

Ooooh ! Alors comme ça je devais la fidélité de ma prodigieuse lame aux agissements du Maître... En voilà une chose intéressante~

- Je voiiiis... Mais si tel est le cas, tu ne peux pas me désobéir.

- Plus que pour te servir, je suis là pour ta sécurité et celle de ton entourage. Lors de rares occasions, je peux donc me voir forcé de te désobéir, maîtresse.

- C'est bon à savoir. Mais aie un peu confiance en ta Maîtresse, veux-tu ? Tu vas me porter quelques tailles comme je te l'ai gentiment demandé, d'accord ? Tu n'as pas besoin de craindre pour ma vie car tu conserveras ton fourreau de sorte à ce que tu ne puisses pas me fendre le cuir. Ces mesures de précautions te conviennent-elles ?

- Dans ces conditions... il en sera fait selon tes désirs, maîtresse.

- Parfait ! m'exclamai-je tout en ramenant mon bandeau sur mes yeux. Attend bien que je te donne le signal.

Jugeant de ne pas avoir besoin d'attendre son énième approbation, je me mis en garde, en équilibre sur mes poteaux transmutés.

- Allez, c'est parti !

Ne pouvant plus me reposer sur mes yeux, je fis fort de me focaliser sur mon sens du toucher ainsi que sur mon ouïe.
Malgré tout, la Caladbolg vrombit en fendant l'air si vite que j'eus du mal à la suivre ! D'entrée de jeu, je dus me servir de l'Aperception pour définir mentalement la trajectoire de sa lame protégée par le fourreau et l'esquiver en conséquence.
Mes débuts furent des plus laborieux car plus d'une fois mes pieds rencontrèrent le vide à m'en faire perdre l'équilibre ! A mon grand dam, j'enchainais les chutes. Mais mon optimiste était à toute épreuve : je remarquais au fur et à mesure de mes essais répétés que le temps entre les chutes s'espaçaient, tout comme le nombre de coups qu'arrivaient à me porter la Caladbolg allaient en décroissant.
Cependant, après avoir accumulé les hématomes et perdu mon souffle, je finis par m'épuiser et, en conséquence, par devoir m'accorder quelques petites pauses salvatrices bien méritées. Heureusement pour moi, ma Tenue en Tisse-Rune avait absorbé la majorité des chocs si bien que les bleus ne dureraient qu'un temps. C'était préférable au cas où je me rendrais chez Pan le soir venu~
Dans le pire des cas, un petit coup de « Absolut qui Dedit » et le mal s'en irait comme il était arrivé ! Au prix d'une certaine souffrance, bien sûr, mais ce n'était là qu'un détail.
La coupure terminée, l'entrainement reprit de plus bel ! Encore et encore, jusqu'à développer de nouveaux réflexes et de nouvelles figures. Quand le soleil commençait tout juste à se coucher, la Caladbolg n'arrivait plus à me surprendre. Lorsqu'elle me visait les jambes, je sautais avec autant de grâce que de souplesse. Lorsqu'elle essayait de me toucher au buste, je l'esquivais avec une pirouette ou simplement en me baissant, pour former un pont avec mes bras et mes jambes. Et la plupart du temps, quand la Caladbolg s'attaquait à mon visage avec un coup d'estoc, je n'avais qu'à pencher la tête d'un côté. Oui, vous l'aurez compris : aux tailles j'avais insisté pour que s'ajoutent les frappes en piqué !
Et tout cela avait fini par payer.
Convaincue d'avoir acquis de l'expérience qui me serait profitable dans un avenir proche, je saisis le manche de la Caladbolg au vol pour lui sommer d'arrêter l'assaut.

- Merci pour ta collaboration, Caladbolg ! Grâce à ton soutien, ma sécurité future est assurée~ Tout comme celle de mes prochains connaissances, bien entendu !

- Ton plaisir fait le mien, s'accorda l'épée.

- Ravie de l'entendre ! Nous allons donc pouvoir passer à la prochaine étape de mon entrainement~ déclarai-je en retirant mon bandeau.

- J'espère seulement de ne pas avoir à quitter mon fourreau.

- Ce ne sera pas la peine, je te rassure.

Je me remis en garde après avoir silencieusement fait appel à ma magie. Cette fois-ci, je n'allais pas travailler l'esquive mais bien son opposé, c'est à dire la parade ! Et pour ce faire, je n'allais pas me contenter d'utiliser mes mains, mes jambes ou bien mes bras ; je comptais recourir à mes pouvoirs ésotériques, et plus particulièrement au Praesidium dont je n'avais pas finir de découvrir les secrets.

- Allez, frappe !

Ma lame ne se fit pas prier, enchaînant les coups latéraux avec un dynamisme exemplaire ! J'avais presque l'impression de me battre contre moi-même tant elle se débrouillait comme un as.
Pour bloquer ses attaques répétées, je lui opposais mes boucliers alvéolées. Ils n'étaient pas plus larges qu'une main, aussi j'avais donc des chances de me prendre des coups en cas d'erreur de timing ou de précision. En revanche, réduire la taille de mes protections revenait à économiser mon énergie pour en produire davantage ! Quant à leur durée de vie, elle n'était guère impressionnante, ce au même titre que leur résistance ; un smash bien placé pourrait les réduire en morceaux et, justement, c'était à ça que je voulais en venir.
Je reculai sur mes poteaux sans jamais poser un pied dans le vide, tout en bloquant chaque assaut que me lançait la Caladbolg. Elle voulut me frapper la jambe ; je descendis la main autour de laquelle j'avais matérialisé le Praesidium. Son attaque suivante, à hauteur d'épaule mais du côté opposé, ne me fit pas plus d'effet que ça car je la bloquai immédiatement en levant la main, pour ensuite pivoter sur moi-même et faire un pas en avant. Faute d'avoir de la place pour continuer d'attaquer, la Caladbolg recula à son tour en essayant de ralentir mon avancée par de petites frappes latérales.
Je la repoussai sans ménagement, boucliers dressés.

- Non, non ! Il faut que t'y ailles franco, Caladbolg. Si tu ne brises pas mes boucliers, je ne parviendrai pas à mener à bien cet entraînement ! Plus fort, sil te plait ! Plus fooort !

Ma lame enchantée ne me répondit pas par la pensée mais ses actes pallièrent à son silence - ponctué par le tintement magique de son fourreau contre mes écrans bombés.
Au bout de quelques secondes d'échanges rapides, mon Praesidium finit par céder. Il vola littéralement en éclats, et ce fut à ce moment précis que je fis un remarquable effort mental dans l'espoir de les conserver avant qu'ils ne disparaissent totalement.
Néanmoins, la Caladbolg me porta une attaque au flanc si cinglante que je dus me plier en deux, les mâchoires serrées. Le coup suivant claqua contre mon menton et m'expédia en arrière. Mon entreprise avec les éclats du Praesidium fut avortée tandis que je me ramassais sur le dos, plus bas, entre quatre poteaux.

- Aaaaïeuh !

- Désolée ! Je n'ai fait que suivre tes ordres, maîtresse.

- Je sais, je sais, fis-je en me massant le cou. Et je ne t'en prends pas rigueur, Caladbolg. Mieux : je ne peux que te remercier pour cela !

Les cottes en feu, je fis malgré tout un bond de six mètres de haut pour retourner sur mon précieux terrain d'entraînement.

- Est-ce de l'ironie, maitresse ?

- Pas du tout, répondis-je en secouant la tête. Je le pense vraiment. Mon erreur est due à mon inattention. Et mon inattention n'en est pas moins la conséquence de ma trop grande focalisation sur le Praesidium, que je cherche à maîtriser à la perfection. Mais rassure-toi : j'ai largement de quoi palier à ce petit souci~

Je pris une grande inspiration avant de me plonger plus profondément dans le Cœur de pierre.
Dans ces conditions, plus grand-chose ne pouvait me déconcentrer ! Les poings en l'air, dressé sur un pied, j'esquissai un sourire à l'attention de la Caladbolg.

- On reprend !

Elle se mit à tournoyer sur place, un peu comme une toupie, puis me fonça dessus à la manière d'une hélice. J'ouvris la main droite pour lui faire barrage avec mon nouveau Praesidium. La lame ricocha dessus puis, en profitant du recul apporté par le choc, elle m'attaqua en ciblant le flanc opposé ! Ma seconde protection entra en jeu, produisant un résultat quasi-identique au premier échange. Quand mon épée revint à la charge avec un coup descendant un peu plus appuyé, je lui opposai mes deux barrières...

- HA !

...Non sans utiliser ma Télékinésie Zélodienne pour la faire voler en arrière !
Elle ne parvint à se stabiliser qu'après avoir vrillé sur quatre mètres.
Mon sourire se fit plus large.

- Allez-y !

D'un mouvement de mains, je propulsai mes deux Praesidium sur la Caladbolg.
Ma lame, toujours aussi vive, les intercepta avec son pommeau et le plat du fourreau ! Les protections-projectiles volèrent de nouveau en éclats. Éparpillés dans les airs, il y en avait de toutes les tailles. Comme s'ils ne pesaient pas plus lourd qu'une plume, les morceaux tombaient lentement en direction du vol...
Sans toutefois quitter des yeux l'épée, je focalisai une partie non négligeable de mon attention sur les débris du Praesidium afin d'en récupérer le contrôle ; le résultat fut quasi instantané : ils ne disparurent pas comme des spectres et, au lieu de cela, se dressèrent de façon menaçante sur le chemin de mon épée !
Celle-ci bifurqua subitement dans l'optique de les contourner. Je bougeai les doigts de sorte à ce qu'ils suivent les mouvements de la Caladbolg, qui ne tarda pas à se retrouver encerclée, les tessons de ma protection magique brisée à ses trousses !
Comme en signe de reddition, ma lame s'immobilisa dans l'air, pointe tournée vers le bas.

- Je devine à ton sourire que tu es parvenue à tes fins, maîtresse.

- Hé hé hé ! Tu as vu juste~

Je claquai de doigts afin de relâcher mon emprise sur les débris de magie. Ils chutèrent de concert mais se volatilisèrent avant même d'atteindre le sol.

- J'ai baptisé cette technique « Testa », poursuivis-je, toute guillerette. Elle peut tout aussi bien voir le jour après la destruction de mon Praesidium que sans elle.

- Alors si tel est le cas, pourquoi ne pas l'avoir invoquée directement ? s'enquit la Caladbolg.

- La surprise, c'est tout un art ! En l’occurrence, il n'y en aurait pas eu si j'avais commis la bêtise de matérialiser mes tessons autour de moi. Je n'aurais jamais pu te tenir en joue, vois-tu ?

- C'est sans doute vrai.

- Merci pour ton aide, Caladbolg ! J'estime en avoir terminé avec mon entraînement pour aujourd'hui. Tu peux donc reprendre ton poste, fis-je en me tapotant la ceinture.

Sans plus chercher à dialoguer, elle s’exécuta d'emblée.
Tout en me passant un revers de manche sur le front, je poussai un soupir d'aise. Le Cœur de pierre prit fin, m’ôtant ainsi un poids sur la conscience. Je coulai un regard au ciel pour m’apercevoir que le soleil avait eu le temps de bien décliner. L'horizon perdait de son éclat ; la nuit n'allait pas tarder à tomber.

- Plus qu'un outil, tu as fini par faire de ta lame une véritable alliée.

La voix - tendant vers le grave - provenait d'en bas. Du haut de mon perchoir, je dus baisser les yeux pour découvrir que le Maître se trouvait là, les bras croisés sur sa poitrine, ses prunelles de jais braquées sur moi. Son capuchon reposait dans son dos, laissant son visage buriné et ses yeux blancs à l'air libre.
Je descendis de mon poteau afin de me tenir à sa hauteur, puisqu’il était et resterait avant tout le Maître, et moi son élève.

- C'est exact ! J'ai peut-être... heum...

Le regard un peu fuyant, je déglutis en me tordant les mains.

- ...Omis de vous faire part de certains détails la concernant ; il se trouve que la Caladbolg est désormais capable de communiquer avec moi par la pensée, en plus de se mouvoir à son gré.

Son regard se fit indulgent. Il hocha simplement la tête, comme si le fait que ma lame était vivante n'avait absolument rien d'étonnant pour lui.

- L'important, c'est qu'elle te soit restée fidèle, répliqua-t-il. Cette technique que tu viens d'utiliser...

- Testa ?

Un autre hochement de tête affirmatif.

- Testa, confirma-t-il tout en continuant sur sa lancée, est digne d'une Envoûteuse. C'est dans la ruse, la tromperie et les stratagèmes que les tiens excellent. Tu as bien su choisir ta voie, Hilaris, et je ne peux que t'en féliciter.
Mais pourquoi donc t'éternises-tu en ces lieux maintenant que ta fille n'a plus à craindre de devenir le pantin de son Némésis ?

- Eh bien... Outre le fait que je m'y sente très bien et que votre présence m'est particulièrement agréable, j'ai le sentiment qu'il me reste encore énormément de choses à apprendre à vos côtés.

Comme à son habitude en plein milieu d'une conversation, le Maître se détourna de moi.
Je commençais à me dire que c'était là une technique pour dissimuler ses petits sourires à ses locuteurs. Par dessus son épaule, il leva une main et claqua des doigts.
Le petit carnet occulte qu'il m'avait confié il y a trois années de cela apparut sous mon nez et chut sur mes genoux.
Intriguée, je levai les yeux sur le Maître après avoir ramassé l'objet.

- Ouvre-le et tu comprendras la raison de mon geste.

J'obéis et feuilletai le livre jusqu'à sa dernière page.
A ma grande surprise, je découvris alors qu'il contenait de nouveaux écrits à place des anciennes pages vierges. J'étais pourtant convaincue de l'avoir épluché de long en large !
Cela ne pouvait signifier qu'une seule chose...
Je croisai le regard du Maître, qui cette fois-là était impassible.

- Je n'ai pas fini de m'améliorer, à ce que je constate.

- Et tu n'as pas fini de voyager non plus. Continue ta formation en toute liberté, me dit-il tout en repartant d'où il était arrivé. Runes, Incantations, Sortilèges... Tu n'en as pas terminé. De tes actes et de tes progrès découleront un accès à de nouvelles connaissances. Une à une, tes brides finiront pas tomber. Tâche de ne jamais oublier ces paroles et de suivre la voie qui te semble la plus juste.

- Merci ! C'est entendu. Je vous en fais la promesse !

Quand il fut parti et juste avant que la nuit tombe, je me fis un plaisir d'approfondir ma lecture.
Si j'en avais terminé pour aujourd'hui, les jours à venir s'annonçaient fort enrichissants avec la mise à jour qu’avait subi mon carnet de poche.