Il était temps pour l'impatiente tête blonde de quitter son berceau ! Sa grand-mère bien-aimée lui en avait donné l'autorisation, et c'était pour la jeune Cirth une preuve irréfutable qu'elle était prête à surmonter de nouvelles épreuves par-delà sa petite île.
Oh ! Il lui restait encore énormément de choses à apprendre sur l'Art de la Scriptomancie, mais l'Ancienne du village préférait qu'elle peaufine ses techniques en dehors d'un environnement familier. En outre, la future aventurière en herbe, en voyageant sous les cieux Zélodiens, aurait certainement d'innombrables occasions de se faire de nouvelles connaissances autant parmi les vivant(e)s qu'auprès des âmes errantes.
Cirth s'imaginait déjà saluer toutes les têtes qu'elle croiserait... et courir après les bestioles en tout genre rien que pour avoir le plaisir de les attraper et de jouer avec comme la gamine qui s'éveillait en elle souvent dans les moments inattendus.

Enfin bref ! Aujourd'hui, la jeune Scriptomancienne brillait par son sérieux : elle avait préparé le nécessaire de voyage puis, aussitôt fait, s'était rendu à l'entrée de son village où l'attendaient les siens, ces derniers ayant eu vent de l'imminence de son départ.
Cirth se savait gentille, parfois un tantinet capricieuse certes, mais elle n'aurait jamais cru que la quasi-totalité du village viendrait lui souhaiter bon voyage de vive-voix !
De bonne heure le matin, ce furent bien ce qu'ils firent, tous réunis sous la grande arcade rouge du petit village de la Flamme Suspendue. Tous souriants. Tous heureux de la voir prendre son envol, ce malgré les quelques différends qu’elle ait pu avoir par le passé avec certains d'entre-eux. Car oui : parmi cette joyeuse assemblée se trouvaient des apprentis Scriptomanciens et Scriptomanciennes qui, en son absence, veilleront au bien-être des esprits et à la sécurité du village entier.
Cirth avait son petit cœur de joueuse gonflé d'émotions !
Au milieu de tous ses proches qui lui souhaitaient bon vent sans ironie aucune, non sans bien sûr lui demander de leur ramener quelques souvenirs de sa future épopée, l'Ancienne du village, appuyée sur sa canne en bois de bonsaï, la regardait avec grande fierté.
Elle attendit patiemment que tous eurent adressé leurs plus beaux vœux à son élève favorite avant d'oser à son tour faire un pas dans sa direction.

- Tu l'auras bien mérité, mon enfant, lui fit-elle, un petit sourire chargé de fierté aux coins des lèvres. Tu peux nous quitter le cœur léger. Avec leurs efforts conjugués, tes confrères et consœurs combleront le vide que ton absence aura créé.

- Oui, enfin... Ne compte pas sur nous pour harceler les esprits en leur demandant sans cesse de jouer, la taquina un Scriptomancien aux cheveux bruns guère plus âgé qu'elle.

Cirth rit de la remarque et gratifia celui qui l'avait charrié d'un clin d’œil amusé, accompagné d'un sourire de son cru. Dans le genre rusé.

- Hé hé ! Évidemment ! Pour cela, il faudrait déjà qu'au moins l'un d'entre vous soit capable de rivaliser avec eux. Je leur ai appris tout ce que je sais en la matière, si bien que si l'envie leur prend de se cacher, il vous faudrait plusieurs cycles lunaires pour les trouver. Faites-moi confiance : je parle en tant que connaisseuse.

- Ah, ça, on veut bien te croire ! intervint une autre, hilare.

- Bonne route, Cirth ! fit une autre, plus jeune mais tout aussi guillerette que son entourage, tout en lui attrapant les mains. N'écoute pas les autres et surtout reste comme tu es. Parce que moi j'essaierai d'amuser la galerie comme tu l'as si bien fait ! Promis !

La Scriptomancienne se joignit à son hilarité alors que ses confrères et consœurs s'échangeaient quelques coups d’œil significatifs : ils craignaient un peu d'avoir à faire à la relève en matière de bêtises et de jeux insolites.
Cirth s'interrompit alors, pensant à quelque chose auquel elle aurait dû songer beaucoup plus tôt...
Elle regarda sa grand-mère en se frottant l'arrière d'une crâne d'une main distraite, l'air passablement ahurie.

- Euh... Dis, grand-mère ?

La vieille Zélodienne arqua un sourcil.

- Oui ? Qu'est-ce qui te tracasse ?

- Je me demandais juste... si l'océan entoure notre île, comment je suis censée faire pour le traverser ?

- A la nage, bien entendu, répondit laconiquement l'Ancienne.

- Quoi ?! s'écria Cirth. C'est pas possible ! Tu me fais marcher, dis ? Comment je vais faire pour dormir ? Et pour manger ?!

Autour d'elle, personne ne disait plus rien. Le calme plat. On entendait même le vent souffler sur la plaine qui s'étendait dans le dos de l'assemblée.

- Tu feras la planche la nuit tombée, et tu pêcheras quand le jour se sera levé. Rien de bien sorcier.

Cirth se prit la tête entre les deux mains et poussa un petit couinement aigu, qui valut à son auditoire une belle tranche de rire ! Ce ne fut qu'après avoir vu sa grand-mère esquisser un sourire espiègle qu'elle comprit qu'elle était littéralement tombée dans le panneau...

- Je plaisante, mon enfant, dit-elle en s'écartant du chemin et en adressant un signe aux autres, qui firent de même de sorte à former comme une haie d'honneur. Va, Lalwendë. Sur la plage, le bateau que je t'ai affrété n'attend plus que toi. Tu remarqueras que son capitaine est un peu spécial. Ne t'en fais pas : c'est une de mes vieilles connaissances. Mais tu comprendras tout ça en le voyant...

- Un instant j'ai bien cru que j'allais devoir faire la traversée à la nage, frissonna la Zélodienne avant que son sourire revienne subitement à la charge. Merci, grand-mère ! Merci, vous tous!~

Sous le regard et les encouragements de ses proches, Cirth prit la route avec force enthousiasme ! Elle les salua de la main jusqu'à ce qu'ils ne soient plus qu'un petit point noir dans le paysage vallonné, au milieu duquel trônaient les silhouettes colorées des maisons et des jolies arcades de son village natal.
Puis la Scriptomancienne pénétra dans les bois, où elle irait sans doute saluer les esprits résidents avant d'initier ce grand voyage qui l'attendait et qui avait pour point de départ cette  plage où l'attendait ce fameux navire.
Cirth ne pouvait pas se perdre : elle n'avait qu'à suivre le chemin !

Les bois de l'île natale de Cirth ne se résumaient pas qu'à une simple terre meuble où poussaient des palmiers dans tous les sens ; on y trouvait de nombreuses espèces sylvestres, comme les bonsaïs qui font la fierté du peuple Zélodien habitant ces contrées exotiques. C'était d'ailleurs autour de ces arbres là, sinistres pour certains à cause de leurs branches tordues et de leurs racines exposées, que les esprits se rassemblaient la plupart du temps. Ce fut donc auprès de ceux-là que la Scriptomancienne se rendit, nullement inquiétée par la pénombre qui régnait en ces lieux couverts par l'épaisse frondaison des arbres. Quelques bandes de lumière filtraient entre les feuillages, mais elle ne brillaient vraiment pas par leur nombre. Le sol, constitué à la fois de sable, de morceaux d'écorce brunâtre et de terre, produisait de minces craquements sous les tongs de Cirth. Ces bruits-là ne la dérangeaient guère ; au contraire, ils rendraient la tâche beaucoup plus facile aux esprits environnants, quand bien même ces derniers étaient plus ou moins capables - pour la plupart - de localiser la Zélodienne en se fiant à sa seule présence spirituelle.
Cirth fit donc un très léger détour de sorte à ce que ses pas l'amènent au pied du bonsaï le plus grand et le plus large de cette forêt. Entre les nombreuses branches dudit arbre, quantité de toiles d'araignées luisaient d'un doux éclat bleuté. Les feux follets qui gravitaient autour du bonsaï conféraient une source de lumière supplémentaire et colorée à la faune comme à la flore, si bien qu'avec le temps cette teinte mystiques avait peu à peu fini par déteindre sur elles.
La Scriptomancienne trouvait cet endroit magnifique, irréprochable !
Ce qui n'était pas le cas de tout le monde : d'aucuns, même parmi les apprentis Scriptomanciens les plus assidus, se sentaient mal à l'aise dans pareil environnement. Peut-être que les esprits du coin faisaient aussi en sorte, de leur côté et en toute discrétion, qu'ils ne prennent pas racines en ces lieux si sacrés pour eux ?
En tout cas, Cirth était toujours la bienvenue - elle qui ne manquait jamais d'idées pour divertir la foule éthérée.
Le sourire aux lèvres, elle leva ses yeux jaunes sur le grand arbre et lui fit, à lui et ses locataires, un grand coucou de la main.

- Copains et copines ! les appela-t-elle en positionnant son autre main à côté de sa bouche, en porte-voix. Je viens vous dire au revoir~ Grand-mère m'autorise à partir à l'aventure. Mais ne vous en faites pas : je ne vous oublierai pas !
Je reviendrai vous voir dès mon retour. Et à ce moment-là nous jouerons tous ensemble comme des petites fous, je vous le promets~

La Scriptomancienne fut très vite entourée par des formes spectrales. Certaines, plus timides que les autres, se contentaient de leur apparence de feu-follet. D'autres, nostalgiques et sereines, se montraient à elle sous leurs traits Zélodiens, quoique transparents étant donné leur non-vie.
Tous préféraient hanter ce bois plutôt que de rejoindre les cieux. Cirth n'était pas prête de les questionner à ce sujet : c'était un peu égoïste de sa part mais elle ne tenait pas à perdre ses amis, qu'ils soient faits de chair ou d'essence spirituelle.
La blondinette rit quant les esprits se mirent à danser autour d'elle.
Elle adorait les voir exécuter ce petit ballet de bienvenu !
Un fantôme de Zélodienne fit mine d'être attristé par son départ. Cet esprit-là adorait jouer tout comme Cirth, alors elle craignait de s'ennuyer très vite sans une partenaire aussi dévouée qu'elle. La Scriptomancienne la rassura avec sa gaieté habituelle non sans lui confier qu'une de ses paires, plus jeune et moins mature que les autres, n'en démordait pas en matière de jeu, si bien qu'elle pourrait assurer la relève en son absence.
La mine du fantôme s'éclaira aussitôt, puis l'entité spectrale se fondit dans la danse, comme revitalisée par la nouvelle !

- Ouiiii ! fit la joueuse invétérée. C'est comme ça que vous devez vous comporter, les amis ! Restez comme vous êtes, même en mon absence. Vous me le promettez, n'est-ce pas ? Je compte sur vous~

Elle eut le droit à des hochements de tête et des sourires radieux. Puis les esprits remarquèrent quelque chose descendre des arbres dans le dos de leur interlocutrice privilégiée ; illico presto, ils disparurent dans les branches du grand bonsaï !

- ...Bah ? Qu'est-ce qui vous arrive ? leur demanda la Zélodienne, les poings calés sur ses hanches. Navrée mais pour une fois je n'aurai pas le temps de jouer à cache-cache. J'ai un bateau qui m'attend pour prendre le large... Tiens ?

C'est là qu'elle comprit leur hâte soudaine : une nouvelle tête s'était glissée dans les bois, perturbant ainsi la quiétude des esprits. Et c'était une Zélodienne en tenue de mage - du genre que Cirth n'avait encore jamais vu !
Ses yeux s'arrondirent, et pas seulement parce que la nouvelle venue l'avait abordée en prononçant le mot "poisson".
Cirth lui sourit de toutes ses dents avant de lui répondre d'emblée :

- Oui, bien sûr ! Mais pourquoi en acheter quand on peut en pêcher soi-même ?~ C'est beaucoup plus amusant de plonger dans l'eau et d'en attraper un à mains nues !

Elle n'allait pas lui parler si tôt de son village où le poisson était bien évidemment en vente sur le marché - plus répandu encore que la viande, vu que son peuple préférait ne pas s'en prendre à la faune locale par peur de la voir disparaître avec le temps.
Cirth s'interrompit et se pencha de côté, presque à quarante-cinq degrés, portant son poids sur sa jambe droite pour couler un regard aux amies de sa semblable.
Elle haussa les sourcils en remarquant leur absence d'oreilles animales et le teint de peau si coloré de l'une d'entre-elles.

- Woaaaah ! poussa-t-elle, stupéfaite, la bouche en "o". Tes amies sont extra, dis-donc ! Je veux dire.... d'apparence, en tout cas !
Comment s'appelle la jolie dame à grosse poitrine dont la peau est rose ? D'ailleurs autant vous demander à toutes comment vous vous appelez, tiens !
Je commence : moi, c'est Cirth. Lalwendë Cirth !

Comme toujours, les idées saugrenues de Cirth n'étaient pas sans faire cogiter ses interlocutrices. En tant que spectatrice, la Zélodienne blonde, étrangement silencieuse, se régalait d'assister à leur conversation.
Apparemment, sa congénère aux longs cheveux de neige n'avait, à l'instar de ses camarades, jamais tenté cette expérience ô combien sportive qu'est la pêche à main-nues.
Pour cette activité si particulière, Cirth avait déniché l'endroit parfait ! Alors si jamais la curiosité d'Elwen, Pesto et Penne - que la première citée avait pris la peine de lui présenter - venait à l'emporter sur la raison, la grande enfant se ferait un plaisir indicible de les y escorter, quitte à faire attendre l'équipage censé lui permettre de quitter cette île pour rejoindre le continent.
Entre-temps, Cirth, qui conservait toujours une oreille attentive à tout ce qui pouvait avoir attrait à leur conversation, en profita pour enfoncer le clou sur lequel Pesto avait déjà tapé.
Vous savez... ce fameux commentaire sur la poitrine rebondie de Penne ?~

- En comparaison, oui, c'est exactement là où je veux en venir, dit-elle. Mais pas besoin d'en rougir, hein ! C'est les caprices de la nature qui veulent ça, à ce qu'on dit. Les vôtres sont jolis... Penne, c'est bien ça ?

Un miracle qu'elle n'ait pas écorché son nom, qu'il soit court ou non !
Intarissable, la blonde guillerette reprit aussitôt la parole :

- J'imagine que ce n'est pas gênant pour bouger si on les garde bien emballés...

Elle disait ça sur le ton de la réflexion, un index calé juste sous sa mâchoire inférieure et ses grands yeux dorés pointés vers la cime des arbres.

- Moui, certainement, fit-elle en reportant son regard sur le trio, visiblement encore en proie à ses propres interrogations. Bah ! C'est toujours mieux que d'être une planche à pain~

De son côté, Cirth s'en sortait plutôt bien ! Heureuse dans sa tête et fichtrement athlétique à force de courir dans tous les sens, elle n'avait aucun complexe vis-à-vis de son corps menu.
Son sourire se fit deux fois plus large lorsque sa semblable s'enquit de sa manière de faire pour saisir les poissons sans qu'ils ne lui glissent entre les doigts.
Tout comme celle d'Elwen, son imposante queue de renarde se mit à remuer.

- Vous n'avez jamais joué à ce jeu-là ?! s'exclama-t-elle, presque abasourdie. Il est pourtant génial ! Tellement génial qu'à la fin de la journée, je suis très souvent cuite !

Des souvenirs plein la caboche, elle hocha la tête pour elle-même avant de se glisser aux côtés d'Elwen et de la prendre par le bras comme une copines de toujours !
Sur la tête de la Zélodienne, ses oreilles blondes remuaient en cadence, signe qu'elle était tout excitée à l'idée de lui faire part de ses petits secrets.

- Je pourrais vous en parler à toutes les trois ici-même mais ça nous ferait perdre du temps. Et pis ce serait moins drôle ! C'est dans la pratique qu'on apprend le mieux. En tout cas, moi c'est comme ça que je fonctionne~
Dooooonc je peux bien faire un petit détour et vous faire une démonstration commentée à l'endroit convenu ? En chemin, nous pourrons parler de tout et de rien si vous voulez ! Comme vous avez sûrement pu le constater, je ne suis vraiment pas difficile en ce qui concerne tous les sujets que nous pourrions aborder.

Elle adressa un sourire de joueuse à la dame à la peau rose et, sans même attendre une réponse de la part de ses interlocutrices, fit cap en direction de ce fameux endroit qu'elle avait en tête, son bras toujours accroché à celui d'Elwen qu'elle considérait déjà comme sa nouvelle copine !
Ce fut donc elle, la porte parole reconnue de son groupe, que Cirth inonda de questions :

- Alors comme ça vous n'êtes pas du coin ? Vous venez toutes du continent ?
...Nan. Pas possible !~ La fille super sérieuse qui t'accompagne n'a pas nos jolies oreilles. Tout comme... "peine", c'est ça ? fit-elle en interrogeant la "nommée" de ses magnifiques prunelles dorées.

Non, non ! Elle ne faisait absolument pas exprès, la bougresse ! Preuve en était son expression - à eu près - sérieuse. Une caricature bancale de celle qu'arborait Pesto.
Cirth s'amusait décidément avec tout et n'importe quoi, le plus souvent au détriment de ses partenaires de jeu. C'était sans doute pour cette raison que sa compagnie finissait très vite par les agacer.

Oooh ! Alors comme ça sa nouvelle amie Zélodienne avait passé sa vie dans les plaines ?
...Cirth aussi, dans un sens, sauf que l'océan était plus proche de son village que de celui d'Elwen. Donc cette dernière provenait bel et bien du continent. Elle ferait donc une très bonne source d'informations avant que Cirth ne s'y rende en employant le moyen de transport généreusement offert par sa grand-mère.
La Scriptomancienne cessa de songer à ses responsabilités pour mieux se focaliser sur tout ce qu'Elwen lui révélait, laissant du même coup Pesto "s'entretenir" silencieusement avec sa compagnonne à la peau rose, la dénommée Penne.
Cirth apprit donc de la bouche de sa congénère que les deux amies de celle-ci n'étaient pas issues de cette planète, à l'instar de la Kami. De ce personnage important, la Zélodienne ne connaissait que la voix. Elle ne l'avait jamais vue en vrai, tout comme bien des Zélodiens, oui !
Cirth ne fit aucun effort pour masquer sa surprise, ouverte comme elle savait se montrer à quiconque, ce peu importe la nature de son interlocuteur ou de son interlocutrice.

- D'aaaaaaccord ! Pour tes compagnonnes, ça explique toutes nos petites différences. Mais pour la Kami, c'est étonnant... Elle ne possède donc pas nos attributs ? Incroyable, toute cette histoire !

En tout cas, de ce tout ce qu'elle avait entendu dire depuis un lointain incident, la Kami était une fervente défenseure de leur petit peuple. Cirth se souvenait lui avoir prêté un peu de son énergie ce fameux jour où son monde était en danger. A vrai dire, c'était plus la curiosité qui l'avait poussée à jouer ce rôle de réservoir de magie parmi tant d'autres...

- Enfin ça ne fait pas d'elle une mauvaise personne, c’est l'essentiel ! Je me demande si elle aime les jeux, et si elle a le temps pour s'y adonner surtout, s'enquit-elle à voix haute.

Ce ne devait pas être tout les jours la joie de porter un tel titre ! Cirth s'imaginait le poids des responsabilités, la fin de ses longues siestes et, pire encore, l'impact qu'une telle fonction aurait sur son temps de jeu.
Intérieurement, la blondinette en frémit d'horreur.
Puis, avec un train de retard, elle percuta la grande révélation que venait de lui faire Elwen. Elle eut comme un léger sursaut d'intelligence avant de tourner la tête vers Pesto et Penne, qui les talonnaient toujours à travers les bois.

- Hey, une minute ! Ça veut dire qu'il y a de la vie ailleurs que sur Zélod III ?! demanda-t-elle subitement à l'intention d'Elwen. Et il y en a beaucoup des comme ça sur le continent ?

Elle porta vivement une main à sa bouche trop loquace, consciente un brin tardivement que "des comme ça" n'était pas la formule la plus sympathique qui soit pour parler des amies d'Elwen.
Cirth s'empressa de s'excuser auprès des concernées.

- Mince... Pardon, les copines ! Hé hé ! Je crois bien que c'est sorti trop vite.

Puis elle reporta illico presto son attention sur Elwen, qu'elle n'avait toujours pas lâché, précisons-le !

- Mais du coup, Elwen... Elles proviennent de quelle(s) planète(s), tes amies ? Et comment c'est là-bas ?

Trop de questions se bousculaient dans sa jeune tête de Zélodienne. Au sujet des esprits, Cirth était calée comme personne, mais vis-à-vis du monde extérieur et de ses infinies particularités c'était clairement pas la même chanson !
Tout comme ses jambes qui n’arrêtaient pas d'avancer, les lèvres de Cirth ne cessaient à aucun moment de remuer. Ah ! et que dire de sa queue de renarde ? Elle pourrait servir d'éventail à un Empereur tant elle brassait l'air d'excitation !

- Et profites-en pour m'en dire plus sur toi aussi, s'il te plaît ! Ça risque de gâcher un peu la surprise mais je m'en fiche. Je suis sûr qu'il y a beaucoup trop à voir sur le continent pour que tu puisses tout me faire découvrir avec de simples mots~ Exactement comme la pêche à mains nues !

Bref ! Cirth était suspendue aux lèvres de son interlocutrice, une Zélodienne qui avait prouvé de par ses connaissances et ses relations qu'elle possédait une plus grande expérience de la vie qu'elle.
Ce petit interrogatoire n'était certes pas aussi plaisant qu'un jeu aux yeux de Cirth mais, à l'instar de ses études en Scriptomancie, n'en demeurait pas moins divertissant.
Entre-temps, l'habitante de l'île prenait garde à ne pas se tromper de chemin, elle qui comptait bien amener son escorte à bon port : à savoir un coin de la plage où l'eau était assez profonde pour que les poissons s'y plaisent en nombre.

Décidément ! cette brave Elwen ne manquait pas de nouvelles croustillantes. Rien qu'en l'écoutant, Cirth mourrait d'envie de partir à l'aventurière, tout en sachant maintenant que cette dernière risquait fort de s'étendre par delà les cieux rose de sa petite planète. Il y aurait tant de gens géniaux à rencontrer - de futurs partenaires de jeu, vous croyez ?! - et de merveilleux paysages sur lesquels tomber en arrêt.
La joueuse invétérée était bien trop candide pour s'imaginer que des planètes telle que la terrible et infernale Makyo puissent exister ; et elle préférait de loin partir optimiste, avec de belles images plein la tête, comme si elle était sur le point de partir en vacances et non pas dans une laborieuse quête d'apprentissage.
Mais même en considérant les choses sous cet angle, Cirth n'était pas aussi étourdie qu'on pourrait le croire ; quand elle pose des questions, elle mémorise toujours la réponse qui s'ensuit. Et en l'occurrence, dans les présentes circonstances, la Scriptomancienne apprit le nom de la planète dont était originaire la "sans-oreilles" - Pesto - qui se faisait baptiser "Terre" et qui comptait un nombre très réduit de mages. De ce fait, la magie n'y était guère aussi répandue que sur Zélod III, et pour palier à ce déficit, les "terriens" avaient dû développer d'autres de leurs facultés, comme la fabrication d'inventions très pratiques à en croire Elwen. Des outils leur permettant de donner naissance à "grands bâtiments", ou même de converser sans se soucier des distances. Sa copine Zélodienne lui fournit même un nom - "Phéténoles" - que Pesto, grande connaisseuse, corrigea aussi sec. S'ensuivit l'énonciation d'un autre exemple où il était cette fois-ci question d'une cuve pour faire ses besoins et d'une salle de pluie pour se laver...
Pour une fois, Cirth était trop étonnée pour rebondir. Entre ses oreilles animales, ça tournait, ça tournait et ça tournait sans cesse ! Si bien qu'elle perdit le fil de la conversation entre Elwen et la terrienne.
Comme quoi même en écoutant, des fois...
En revanche, la blondinette reprit pied suffisamment vite pour faire le rapprochement entre les prodigieuses petites capsules énoncées par la Zélodienne et celle que Pesto sortit de sa sacoche.
A la vue de ceci, Cirth, frappée de curiosité, retrouva immédiatement sa langue :

- Si j'ai bien compris, vous pouvez... capturer de grosses choses là-dedans ? Mais c'est vraiment tout petit ! Vos "trucs" ressemblent vraiment à de la magie, dites-donc !

Ses yeux s'étaient arrondis comme de grosses soucoupes !
Puis Elwen en vint au cas de Penne, qui n'en demeurait pas moins spécial que celui de son autre compagnonne. La tête de Cirth se tourna vers la dame à la belle poitrine et aux oreilles roses et pointues. Quand elle lui expliqua les spécificités de sa race et de son monde, la Zélodienne croyait presque entendre sa grand-mère lui donnait des cours - ceux-là n'étaient pas ennuyants à entendre étant donné leur caractère nouveau, guère répétitif.
En somme, ce qu'il fallait savoir sur les "Shinjins" relevait de leur façon de se développer, plagiée sur les races civilisées/évoluées qu'ils observaient depuis leur planète reculée. Les semblables de Penne avaient pour rôle de surveiller l'évolution des dites planètes.
Sans doute que Zélod III ne leur avait pas échappée, ce qui paraissait d'autant plus vrai aux yeux de Cirth étant donné la nature prétendument différente de la Kami de son peuple.
La blondinette gratifia son informatrice d'un hochement de tête reconnaissant.

- Alors comme ça vous êtes des "Veilleurs" ? C'est vrai que ça peut être amusant d'observer les autres à leur insu et sans risquer de se faire repérer~
Bon, après, j'imagine que ça va un temps ! A la place des "ChineDjin", je serais très certainement intenable ! Hé hé hé !

C'était déjà pas évident pour les siens de la supporter quand elle pétait le feu, alors si en plus le nombre de Shinjins n'était pas aussi élevé que celui des Zélodiens... Bonjour le supplice !
Cirth glissa un clin d’œil enthousiaste à Penne avant de la quitter des yeux pour revenir sur sa favorite : Elwen la fougueuse !
Cette dernière continua sur son petit exposé, répondant ainsi à la dernière interrogation de son insatiable interlocutrice.
 En gros, le continent sur lequel allait s'amuser Cirth n'était rien d'autre qu'une immense île où plusieurs villages étaient éparpillés et reliés par tout un tas de routes.
La Zélodienne imaginait un réseau en toile d'araignée, avec en son centre la fameuse Tour du Bibliothécaire mentionnée comme édifice important par sa nouvelle amie. Une merveille de construction où était confiné le cristal magique de Zélod III, dont la grand-mère de Cirth n'avait pas manqué de lui en faire les louanges au cours de sa formation.
A en croire Elwen, dans ladite tour, il était possible de s'instruire par le biais des livres.
Je tâcherai de m'y rendre, tiens ! Peut-être que le nom de ma nouvelle amie m'ouvrira certaines portes, qui sait ?
Entre-temps, La Scriptomancienne apprit de la bouche de sa semblable un bon moyen pour deviner les moyens de subsistance de chaque ville ou village qu'elle visiterait sur le continent ; celles ou ceux qui ne se trouvaient pas à bonne distance des points d'eau vivaient du bétail, du commerce ou de la terre. Cela pouvait paraître logique, mais Cirth, qui avait toujours vécu sur cette île, ignorait encore bien des choses sur la vie en général.
Elle était toute contente d'avoir appris tant de chose en si peu de temps !
Son sourire se fit éblouissant, dévoilant à Elwen ses petites canines proéminentes qui, au lieu de lui donner un air féroce, lui conféraient un certain charme.

- Whaaaw ! Tu sais tant de choses que j'ignore, Elwen ! Sacrée toi ! Et sacrées vous deux aussi, les copines, fit-elle à l'intention de Penne et Pesto, qui n'étaient pas moins méritantes. Je sens qu'on ne va pas s'ennuyer toutes les quatre~ Et puis c'est toujours plus rigolo à plusieurs, non ?

C'était l'une des nombreuses leçons qu'avait tiré Cirth de ses longues sessions de jeu avec les esprits de cette forêt si particulière.
D'ailleurs, en songeant à son environnement et à ses habitants spectraux, la mise en garde d'Elwen sur la forêt noire et son odeur de magie noire lui revint tout de suite en tête !
Ce fut le sujet qu'elle aborda, à défaut de faire crouler sa copine sous une autre montagne de questions :

- Cette magie noire dont tu viens de me parler... je peux savoir ce qu'elle a de si terrible ? s'enquit-elle. Non parce que, dans l'état, tu n'as fait que titiller ma curiosité. Si bien que je n'ai plus qu'une seule envie : c'est d'aller y mettre un pied !~
Qui sait ? Peut-être que les esprits qui hantent cette forêt magique ne sont pas aussi mauvais que tu as l'air de le prétendre !

Sans jamais cesser d'avancer, Cirth leva les yeux sur la cime des arbres. Elle sourit d’autant plus en voyant un esprit parfaitement translucide passer à travers un rayon de soleil.

- Grand-mère m'a appris qu'autrefois ceux qui habitent encore ces bois que nous arpentons étaient très capricieux, expliqua-t-elle. Tant et si bien que les villageois les redoutaient, avant que le premier Scriptomancien voit le jour et les ramène à la raison ! Après ça, les nouveaux défunts ont suivi les anciens, qui s'étaient dès lors assagis.

Elle tourna son visage vers Elwen et la gratifia d'un énième sourire.

- Mais ça ne les empêche pas de vouloir taquiner les vivants de temps à autres ! J'adore jouer avec eux, et je ne vois pas toujours l’intérêt de mon peuple à vouloir refréner leurs ardeurs. Pour qu'ils se calment, il suffit de parvenir à les épuiser~

Ce qui n'était pas tâche aisée pour tout le monde.
En l'occurrence, Cirth savait, de par son caractère enfantin, se distinguer des autres, plus sérieux et coincés qu'elle.
D’ailleurs peut-être que son petit cours d'histoire allait susciter la curiosité d'Elwen ?
Sur le continent, l'Art de la Scriptomancie n'était guère très répandue.

Oh... Cette description de la forêt noire faite par Elwen avait tout de suite de quoi rebuter n'importe quel type d'auditoire. C'était tout sauf un endroit pour se faire des amis parmi les potentielles âmes qui s'y trouvaient !
Pour autant, le poil de la Zélodienne ne se hérissa point à la mention de cet avertissement sur la magie noire. De toute sa jeune vie, jamais n'avait-elle encore connu la peur de l’inconnu ! C'est d'ailleurs cette innocence très prononcée qui fut, chez elle, à l'origine de son évolution plutôt rapide dans la pratique de son Art ; ses confrères et consœurs ayant tous sans exception, au tout début de leur formation, éprouvé certaines peurs à l'encontre des esprits des défunts.
En fin de compte, Cirth se contenta de saluer les explications de sa semblable d'un simple hochement de tête appréciateur. Tout avait été joliment dit mais, secrètement, la joueuse n'en demeurait pas moins intriguée par ce phénomène si obscur dont leur planète ne pouvait pourtant pas se passer sans que son équilibre en fasse les frais...
Ça mérite quand même un coup d’œil - au moins un tout petit !
Quand le regard de la blondinette croisa de nouveau celui de sa camarade de découverte, elle parvint à lire, à travers ses grande prunelles, cette soif de connaissance dont elle-même ne manquait pas. Ceci sans compter la question d'Elwen qui était restée en suspend, traitant de la présence des Scriptomanciens dans le village de Cirth.

- Mon village forme des Scriptomanciens, confirma-t-elle. Cet un Art assez complet ! Il parait que l’environnement des îles est propice à son apprentissage. Grand-mère dit que c'est une question de flux magiques que suivent tout naturellement les esprits. Il y en a bien quelques-uns qui se rejoignent sur cette île à proximité du village, ce qui nous assure toujours de nombreuses allées et venues de la part de nos visiteurs.

Chaque Scriptomancien se doit d'étudier le comportement de chaque spectre pour mieux les comprendre. Et ce n'est qu'après cette phase d'étude que les praticiens peuvent remédier aux éventuels maux qui affectent leurs invisibles pensionnaires avec différentes méthodes, allant de l'exorcisme, du domptage, à l'apposition de sceaux complexes.
Dans le cas de Cirth, c'était presque toujours du rentre-dedans : la première étape se mélangeait souvent à la suivante, ce qui curieusement lui fournissait d'assez bon résultats...

- Si jamais tu te rends dans mon village, promènes-y toi la nuit ! Les esprits choisissent surtout ce moment pour se montrer aux non-initiés - ils sont bien moins craintifs que ceux qui hantent ce bois.
Tu verras : c'est toujours amusant de les voir dessiner des arabesques vaporeuses et colorées quand ils se mettent à danser autour de nos lampes !

Quand elle ne dormait pas d'un profond sommeil, Cirth appréciait tout particulièrement se joindre à eux ! Et lors de plus rares occasions, la jeune Zélodienne s'adonnait à cette activité sous une forme plus ou moins comparable à celle de son entourage fantomatique ; il lui fallait pour cela entrer en communion parfaite avec lesdits esprits.
Ce n'était pas donné à tout le monde de pouvoir trouver cet équilibre entre les deux plans mais Cirth, elle, y était parvenue !
Néanmoins, le plus souvent quand elle se laissait entraîner dans la danse au point de s'en retrouver épuisée, il lui fallait bien davantage qu'une simple journée pour récupérer... Raison pour laquelle sa bien-aimée grand-mère l'avait naguère rappelée à l'ordre à ce sujet.
Cirth ne lui en voulait pas le moins du monde étant donné que sa tutrice ne voulait rien d'autre que son bien-être. Cela dit, cet état d'esprit ne l'empêchera pas de récidiver quand elle aura quitté cette île, direction le continent~
La Scriptomancienne sourit à pleines dents !

- J'ai vraiment hâte de rencontrer les esprits disséminés sur le continent ! Il y en a sûrement pas mal qui méritent d'être rappelés à l'ordre. Ce qui ne me gêne pas : ce sont les plus rigolos, à vrai dire~

Cirth était si enthousiaste qu'elle en sautillait presque !
Elle tourna la tête vers Elwen au moment où cette question prit racine dans son esprit fertile :

- Tu ne connais les Scriptomanciens que de nom, c’est ça ? s'enquit-elle, amusée par la perspective. J'ai une idée ! Et si tu me disais tout ce que tu sais sur nous avant que je t'en dise plus ? Je suis curieuse de savoir ce que les tiens disent à notre sujet~
Ah ! Profites-en aussi pour me parler entre-temps de TON domaine de prédilection en matière de magie, car c'est bien la première fois que je vois une Zélodienne habillée de la sorte.

Elle ne connaissait quasiment rien de la culture Zélodienne propre au continent, ayant toujours suivi les coutumes de sa petite île exotique.

Ainsi donc les connaissances d'Elwen en matière de Scriptomancie ne se résumaient qu'à ce simple mot. Comme quoi cet Art Magique était quasiment inconnu pour tous les gens du continent !
Du coup, avec sa dernière proposition de jeu, Cirth avait l'air un peu idiote...
Elle gonfla modérément les joues, mais sans croiser le regard d'Elwen. C'était un peu vexant d'apprendre que les habitants du continent s'intéressaient si peu aux petites îles qui le jouxtaient. Cela dit, d'un autre côté, ça rendrait le voyage de la Scriptomancienne plus amusant encore : son style guère répandu différerait radicalement de celui de ses semblables, à tel point qu'on aura tôt fait de la remarquer.
Cirth jugea tout de même bon d'ajouter quelque chose d'encore inavoué au résumé que lui avait fait sa collègue magicienne sur la Scriptomancie :

- En dehors de l'exorcisme et de notre rapprochement avec les esprits, nous sommes aussi d'excellents calligraphes ! Et certains d'entre-nous dessinent très bien aussi, dit-elle avec un petit sourire de renard.

Elle parlait un peu d'elle, pour le coup. Mais qui pourrait le savoir dans leur groupe ? Personne, puisque aucun indice visible - en dehors du rouleau que Cirth transportait dans le bas du dos - ne donnait matière à la suspicion. Ceci étant donné que ledit rouleau disposait d'un petit étui caché où reposait le fameux pinceau de la Scriptomancienne.
Celle-ci se fera un plaisir - plus tard peut-être, si jamais leur rencontre s'éternise pour le meilleur - de surprendre Elwen avec son habilité de peintre, notamment en reproduisant son portrait sur une petite portion de son rouleau magique.
Une fois cet interlude passé, Cirth se remit à écouter la magicienne issue des plaines continentales.
Cette dernière était donc axée sur le soutien, maîtrisant aussi bien des sorts de protection que des pouvoirs de guérisseuse. Elle possédait bien quelques savoirs plus offensifs, mais ceux-là ne brillaient pas par leur nombre à l'entendre. D'ailleurs, Cirth apprit ainsi que sa nouvelle amie possédait une capacité magique transmise par une terrienne.
La Zélodienne ne put s'empêcher de couler un regard à Pesto à la mention du qualificatif employé. Toutefois, elle revint très vite sur les paroles d'Elwen.

- Ton "truc préféré" ? Le "Chun-Quand Hido" ? Jamais entendu parlé ! ...Ça consiste en quoi, au juste ?

Pas banal comme nom de technique, ça !
Mais Elwen n'en avait pas terminé avec son étalage de connaissances dont Cirth raffolait encore et toujours.
En l'occurrence, le manteau que portait Elwen n'était pas simplement décoratif : il comptait sur son tissu quelques runes aux pouvoirs spéciaux, conçus par les membres de son clan. On remettait ce vêtement aux mages confirmés d'une tribu, ce qui en disait long sur le niveau actuel de sa détentrice. Bien incapable de sentir son niveau de puissance, Cirth accordait toute sa confiance à Elwen à ce sujet.
Le commentaire de l'adorable tête blondemonde ne vint qu'après qu'elle eut engrangé toutes ces précieuses informations.

- Oh, tant de pouvoirs que ça ! Elle est pratique ta tenue, dis-donc, fit-elle tout en tournant autour de sa congénère. Un peu trop ample pour moi peut-être, mais je trouve le concept très réfléchi~

Elle n'avait pas grand-chose à demander de plus pour le moment.
Les yeux dorés de la Zélodienne exploraient chaque broderie avec un intérêt bien particulier - l'idée de les reproduire sur une estampe lui avait bel et bien traversé l'esprit. Ce ne fut que lorsqu'elle eut fini son analyse qu'elle se rendit compte qu'elles venaient toutes les deux de quitter le couvert des bois.
Cirth leva les yeux sur l'horizon rosé que lui offrait l'étendue océanique, par-delà la plage au sable blanc et fin. Elle tourna la tête sur sa droite, laissant ses jolies prunelles se promener le long des palmiers, avant que son regard ne s'arrête sur un point précis de cet environnement si attrayant et baigné de lumière.
Sur son crâne, ses oreilles blondes se mirent à remuer d'excitation.
Elle tira Elwen par la manche et, comme une gamine devant une aire de jeu, pointa du doigt la direction idoine !

- C'est ici, Elwen ! C'est le coin rêvé pour pêcher à mains-nues. MON coin favoris~

Elle lâcha son amie et se mit à sautiller dans le sable, se dirigeant droit vers les rochers qui cernaient la plage où, un brin plus loin, l'eau était plus profonde.
Cirth, intenable, pivota sur un pied en faisant de grands gestes à l'attention du trio d'amies.

- Allez, allez, les copines ! piailla-t-elle. On arrête de marcher maintenant : on court~
La chasse aux poisons n'attend plus que nous !

Le bateau qui l'attendait sur la plage - et qu'on ne voyait pas encore, d'ailleurs - pouvait toujours patienter ; dans son état, Cirth l'avait presque oblitéré de sa mémoire. Elle était bien trop contente d'avoir de nouvelles partenaires de jeu !

La joueuse fut bien entendu la première à arriver sur les lieux. L'endroit comptait autant de parcelles de sable que d'étendues rocailleuses - glissantes par endroits. Cirth s'était trouvé un espace aux pieds de quelques palmiers où elle pourrait déposer ses affaires en toute tranquillité.
Et ses affaires, justement, ne se résumaient pas qu'à son rouleau et son petit pot scellé accroché à sa ceinture, non ; la Zélodienne, ne faisant pas grand cas de la pudeur, s'était débarrassée de l'intégralité de sa tenue, qu'elle avait proprement pliée et rangée.
Ainsi se tenait-elle, là, non loin des rochers, les pieds dans le sable, nue comme un ver, le sourire aux lèvres et droite comme la plus parfaite des éveillée. Sa queue de renarde s'agitait derrière son arrière-train, plus avide de liberté de mouvement que jamais !
Tout en échangeant un regard avec chaque bouille présente, Cirth s'étirait les bras au-dessus de la tête tout en s'échauffant les poignets. Dans une de ses mains, elle tenait son Inhibiteur d'Âmes - ce mystérieux pot qu'elle avait détaché de sa ceinture après s'être dévêtue.
Elle attendait que tout le monde soit prêt pour fournir les explications adaptées à son sport fétiche.

Le moment était venu !
Tout ce joyeux petit monde, allégé de leurs vêtements, n'allait plus tarder à s'en donner à cœur joie avec le monde aquatique. Pas une ne protesta à l'idée de devoir se dénuder, tout comme aucune d'entre-elles ne prit la peine de s'interroger sur la raison de tout ceci. C'était d’ailleurs assez logique : si Cirth s'était débarrassée de son kimono et de tout le reste, c'est qu'elle était bien partie pour plonger la tête sous l'eau tout en préservant ses vêtements de l'humidité.
Lorsque Elwen l'interrogea quant à la véritable nature du pot que la Scriptomancienne tenait entre ses maison, cette dernière l'ouvrit d'une simple torsion du poignet. Le sceau imprimé sur l'ouvrage en terre cuite s'était mis à briller au contact de ses doigts, puis avait cessé de luire une foi son contenu chatouillé par la lumière ambiante.
Cirth trempa deux doigts dans l'espèce de bouillie bleuâtre que ledit pot contenait avant de relever les yeux sur sa semblable.

- C'est un Inhibiteur d'Âmes, déclara la Scriptomancienne avec force jovialité. Nous autres - exorcistes, calligraphes, peintres et j'en passe - utilisons ces petits pots à des fins purement magiques. Celui-ci, fit Cirth en le portant sous les yeux de sa Zélodienne d'amie, contient de l'essence spirituelle.

De cette manière, la descendante des Chamans des plaines avait pleine vue sur la pâte mystique. Aucune odeur ne s'en dégageait, seulement de très minces filets de vapeur tirant vers le bleu clair quasi transparent. Ah ! Aussi, des étoiles microscopiques scintillaient à la surface de cette matière chimérique.

- On peut en faire plein de choses, dit la blondinette en ramenant le pot vers elle. Pour ma part, je m'en sers la plupart du temps comme de l'encre. Avec elle, je peux dessiner de belles choses et les effacer en un tourne main sans que ça laisse la moindre trace ! Mais je te passe les détails : l'heure est à l'action.

Cirth posa le pot dans le sable - à bonne distance des vagues qui s'écrasaient contre les rochers - puis fit appel à la magie qui dormait en elle.
De ses deux doigts imbibés d'essence spirituelle, la Scriptomancienne se frictionna les mains. Au lieu que la pâte visqueuse ne dégouline sur le sol, elle épousa la forme de ses doigts et les recouvrit à la manière d'un film protecteur. Les mains de la Zélodienne brillaient maintenant d'un éclat argenté. Le tout s'étant stabilisé et aimanté à sa magie, plus aucune volute ne s'en échappait.
Elle exposa le dos puis le creux de ses mains luisantes à l'attention de toutes.

- Avec le savoir qui va avec, ça peut aussi faire office de colle, sourit-elle. Les poissons n'ont qu'à bien se tenir ! Pas un ne me filera entre les doigts~

Une colle, certes, mais dont le collant agissait sur commande, par le biais d'une simple impulsion mentale.
Cirth hocha sèchement la tête, l'air résolue, puis toisa chacune de ses camarades avant de leur demander :

- Pour que je puisse faire pareil avec vos mains, tendez-les-moi. Et ne vous souciez de rien, ajouta-t-elle en fixant Pesto. Ici, c'est ma magie qui est à l’œuvre ! 'Pas besoin de la vôtre. Et 'pas grave non plus si vous ne brillez pas dans son utilisation.

La Scriptomancienne allait s'occuper de tout ! Sans ces préparatifs, le jeu perdrait beaucoup de son intérêt. Or, Cirth, peu désireuse de blasphémer de la sorte, tenait absolument à ce que les pêcheuses en herbe partent toutes sur un pied d'égalité.
En outre, ce n'étaient pas quelques sortilèges de ce niveau qui allaient entamer lourdement ses réserves de magie, et encore moins d'essence spirituelle. Ladite matière se renouvelait assez facilement quand on daignait accorder un peu de son temps aux entités éthérées dont elle était issue. Cirth, en l’occurrence, priait souvent pour ces âmes qui, au final, le lui rendaient bien ! Son empathie à leur égard mêlée au son goût prononcé de la Zélodienne pour le jeu représentaient, aux yeux des esprits, un attrayant mélange ; tels des mouches attirés par le sucre, ils ne répugnaient jamais de satisfaire les pulsions de leur magicienne préférée. Et le fait que cette dernière n'eut jamais éprouvé aucune aversion ni aucune crainte à leur sujet y était aussi pour un peu dans cette fantastique collaboration. Malheureusement, tous les Scriptomanciens ne partageaient pas tous la candeur de Cirth. Ceci dit, tous n'avaient pas eu droit à la même enfance que la concernée. Elle qui, dès son plus jeune âge, avait été retrouvée dans une plaine, entourée par quelques âmes compatissantes...

Cirth se fit un plaisir d'enduire les mimines de son agréable entourage. Et comme Elwen s'était montrée encore plus loquace et aimable que les deux autres, ce fut elle qui reçut le traitement en première ! Elle passa peut-être quelques secondes de plus que nécessaire à lui badigeonner les doigts avant de s'occuper de ceux de la terrienne, qui avait vraisemblablement repris le flambeau à la place de la Zélodienne admirative.
En lui tripotant ainsi les mains, la Scriptomancienne remarqua tout de suite la différence physique entre Pesto et Elwen. L'une se servait de ses mains avec une certaine finesse, indispensable pour tisser des sorts fiables, tandis que la guerrière brandissait ses poings avec une fermeté qui n'était pas sans laisser des traces sur son épiderme. En somme, Pesto avait des mains sensiblement plus musclées que celles de sa copine Zélodienne.
Cirth, concentrée sur son analyse, finit par tilter que Pesto lui avait posé une question.
Elle se repassa ladite bande son en catimini puis hocha vigoureusement la tête.

- Oui ! C'est vraiment "tout ce qu'il y a à faire".
On va s'éclater ! Sois-en sûre~

Enjouée comme personne, la Zélodienne lui adressa un clin d’œil accompagné d'un petit sourire en coin avant de basculer sur les mains de "l'extrazélodienne" à la peau rose bonbon.
Là encore, rien qu'au toucher, la blondinette ne mit pas longtemps pour comprendre à quel type de personnage elle avait affaire.

- Aaaah ! s'exclama-t-elle, avec un sourire si large qu'il exposait allégrement ses jolies canines proéminentes. Toi, les outils, c'est définitivement ton truc !

Ça se sentait grâce aux petites cals que Penne avait sous les doigts et sous les paumes. Encore une fois, Cirth s'attarda sur son opération plus que de raison si bien qu'on pourrait l'accuser d'être un chouïa fétichiste sur les bords...
Les mains roses de Penne chatoyaient presque autant que celles d'Elwen tant la Scriptomancienne avait traîné dessus.
Elle eut un petit rire en constatant cela - un peu tardivement, oui.
Ses prunelles d'or, appréciatives, voyageaient d'une paire de mains à l'autre.

- Hé ! Au moins, comme ça, on est sûres que ma magie ne va pas se dissiper de si peu tôt~

Elle se tourna vers l'océan et s'approcha de l'eau salée non sans sautiller - marque d'une joie prononcée. Sa queue de renarde, frémissante et touffue, lui conférait inconsciemment, de par sa taille, un minimum de pudeur - dont, on ne va pas se cacher, elle se fichait pas mal !
Comme si elle avait oublié de dire quelque chose d'essentiel à ses camarades, Cirth se figea en plein mouvement pour leur couler un regard en coin, en prémices à ce qu'elle allait leur dire.

- Ah ! je savais bien que j'avais oublié quelque chose, fit-elle en se cognant le front avec le dos de ses phalanges, la langue tirée, tout en balançant sa tête d'un côté et de l'autre. Pour que la colle de l'essence spirituelle puisse fonctionner, il vous faut y croire - avec une pensée bien appuyée ! Et pour qu'elle cesse d’agir sur la matière... Et ben il vous suffit de ne plus vous focaliser sur vos mains, tout simplement.
Maintenant, fini la parlotte et à l'attaque les filles !

Cirth quitta les intéressées des yeux pour porter son regard au loin, sur la surface passablement agitée de la mer. Rien qu'au mouvement des vagues, elle arrivait à deviner la profondeur moyenne et si obstacle à demi-enfoui il y avait ou non à tel ou tel endroit...
En conséquence de son analyse silencieuse, elle se décala d'un demi-pas sur son côté droit.
La légendaire joueuse inspira un très, très, très grand coup. Une fois sa poitrine bombée à la limite de la saturation, elle se recula de trois grands pas, prenant ainsi son élan... pour finir par détaler comme un lièvre et exécuter un saut en longueur sur une distance stupéfiante !
Scriptomancienne, certes, mais non moins agile Cirth disparut très rapidement du champ de vision des trois autres, ne laissant sur la surface de l'eau qu'elle venait de crever qu'une succession d'ondes fugaces. On aurait dit qu'une simple pierre avait été jetée à la mer tant les traces de son passage ne s'étaient étendues ni dans le temps ni sur l'océan.
Dans ce jeu-là, Cirth ne privilégiait pas la quantité : elle cherchait bien évidemment le plus gros des lots ! Et pour mener à bien pareil objectif, il lui fallait plonger le plus loin possible.

Le jeu avait commencé !
Cirth nageait sans jamais se soucier du courant, ses jambes brassant l'eau de façon interminable. Elle rencontra bien des poissons dans son sillage mais choisit de ne pas les ajouter à son escarcelle ; ils étaient certes joliment colorés mais demeuraient bien trop petits à son goût. Aussi, vifs comme l'éclair, ceux-là ne se firent pas prier pour se dégager de la voie, en le faisant parfois sous la forme d'un banc intimidant comme s'ils avaient affaire à un requin ou un autre prédateur des mers. Cirth n'en était pas loin, dans un sens : elle qui se plaisait à chasser le gros gibier !
Elle frôla des colonnes de pierres colonisées par le corail, s'y frayant un chemin sans jamais perdre de son élan, ce même au risque de se déchirer la peau sur des aspérités plus prononcées que d'autres. On aurait pu croire qu'elle était prête à braver n'importe quel danger pour remporter la partie, mais ce n'était pas le cas ; la Zélodienne disposait d'un avantage certain sur ses partenaire de jeu : il s'agissait là de sa connaissance du terrain !
Je sais où tu te caches, mon gros !~
Il commençait à faire vraiment trop sombre, même pour la Scriptomancienne sans peur. Celle-ci fit donc appel à sa magie, qui se manifesta alors sous la forme d'une aura grise. Elle avait l'air passablement instable bien que ce n'était pas du tout le cas.
 L'aura de Cirth, d'un gris clair, épousait étroitement sa silhouette en la dédoublant, voire même en la triplant mais de façon un peu moins visible. Cette forme de magie pulsait au rythme des battements du cœur de son amusante propriétaire. De tous les siens, Cirth était bien la seule à disposer d'une aura aussi particulière, les autres adeptes de la Scriptomancie bénéficiant plutôt d'une énergie plus diffuse et vaporeuse, clairement moins "spectrale".
Bref ! L'heureuse blondinette évoluait maintenant dans les ténèbres, sans trop se soucier de savoir si Elwen et ses camarades l'avait suivie jusqu'ici. Peut-être s'étaient-elles attarder sur les plus petits poissons afin de tester l'efficacité de la colle fabriquée à partir de l'essence spirituelle ? Possible !
Toujours est-il que Cirth, elle, lumineuse au cœur de son aura si particulière, avait maintenant posé ses jolis petits orteils sur un sol sableux. Autour d'elle, en partie éclairés par son énergie pulsante, des parois rocheuses formaient comme une enclave.
C'est maintenant que tout va se jouer.
Car Cirth l'avait repéré, ce "poisson" exotique sur lequel elle avait jeté son dévolu... sur lequel elle avait parié sa victoire ! Elle connaissait suffisamment bien cette espèce pour en deviner la localisation précise.
La chasseuse s'approcha donc d'un élément bien particulier du décor : une sorte de petite sphère suspendue à une tige. Par intermittence, de grosses bulles s'échappaient du sable, signe que la créature marine dormait encore à cette heure si avancée de la matinée.
La Zélodienne prit le temps de récupérer un peu d'oxygène en laissant les sphères d'air lui caresser le visage, puis elle s'éleva à quelques mètres de la surface sableuse non sans emporter avec elle une pierre d'une certaine taille qu'elle avait ramassée entre-temps.
Elle se retint de sourire à pleines dents pour ne pas laisser exfiltrer son air renouvelé.
Que la course commence ! Trois, deux, un...
La pierre lui "échappa" des mains et, en tombant, rencontra lourdement la fameuse sphère.
Et BAM !
Cette dernière, secouée par le choc, se mit à clignoter de façon alarmante. La tige à laquelle elle était accrochée se mit à remuer puis, pile au moment où Cirth détourna le regard, un flash aveuglant irradia les alentours !
Un cri déformé par l'environnement aquatique résonna alors dans les profondeurs avant qu'une créature massive s'arrache violemment de sa couche de minéraux broyés.
Le "poisson" ciblé par l'audacieuse Cirth n'était pas une image de beauté. Il disposait d'une lanterne accrochée entre deux yeux d'un jaune luisant, sur une surface d'un violet sombre et presque plane. Un peu comme celle d'une raie manta mais curieusement recouverte de petits motifs ronds et qui, à eux tous, formaient comme des rayures verticales. La queue du monstre, au moins aussi longue que le reste du corps, était dotée de pointes acérées.
Cirth rouvrit les yeux pour croiser avec amusement le regard envenimé de sa proie.
C'est bien connu : les Globuls sont toujours en rogne quand on les réveille.
Et ça faisaient d'eux des animaux prévisibles.
Cirth savait que son statut de chasseresse n'allait pas tarder à devenir celui de la proie, ce qui ne l'inquiétait pas le moins du monde~
Toujours parée de son aura mystique, véritable lueur dans les ténèbres affamées, elle refit le même chemin à toute vitesse mais en sens inverse !
Le Globul poussa un nouveau rugissement avant de se lancer à sa poursuite, son ignoble gueule dentée grande ouverte sous laquelle dansaient des pointes flasques et quatre longues antennes.
Oui : Cirth jouait maintenant au chat et à la souris avec la terreur des profondeurs !
Elle croisa Elwen sur le chemin du retour, à qui elle adressa un signe des mains qui voulait sans doute dire "Remonte, remonte, remonte !".
La Scriptomancienne se devait avant tout de s'approcher de la surface, après quoi elle appliquerait la suite de son plan que constituait son projet de capture.

Globul:

Il y avait... comme une couille dans le potage.
Cirth vit sa copine Zélodienne emprunter la direction contraire à la sienne. La concernée, entourée de son aura verte, avait littéralement plongé sur le Globul avant de l'esquiver au dernier moment et de lui glisser un coup en travers des entrailles au passage.
La spectatrice incomprise cessa subitement de nager vers la surface pour se rendre compte de l'ampleur de sa bêtise.
Mince ! Qu'est-ce qu'elle est forte, la bougresse ! Et je lui ai servi mon poisson sur un plateau d'argent, en plus...
A peine songea-t-elle à sa défaite qu'Elwen tenait déjà la queue du Globul entre ses griffes et le tirait à toute berzingue vers la surface !
Cirth, bien qu'agile sur bien des points, se rendit vite compte qu'elle n'était pas assez rapide pour espérer la rattraper.
Les continentaux ne plaisantent pas !
Elle en faisait déjà une généralité.
Pas pour autant dépitée par sa très notable infériorité, la joueuse continua sur sa lancée, droit vers la lumière. Elle ne croisa ni Penne ni Pesto. Pas plus qu'elle n'arriva à la surface avant que sa prodigieuse amie à queue de renarde n'en ait terminé avec le Globul. Elle ne le savait pas encore mais celui-ci gisait déjà dans le sable, avec un énorme trou aux contours brûlé au milieu du front.
Cette vision lui éblouit les prunelles. Cirth n'eut pas à chercher sa congénère, puisque celle-ci l'avait déjà trouvée. Et elle était intacte, qui plus est !
La Scriptomancienne, ébahie, la tête enfin sortie de l'eau, jongla du regard entre Elwen et le défunt Globul. Elle fut bien heureuse de constater que son amie magicienne n'avait pas réduit le poisson en cendres car elle comptait bien en manger plus d'un morceau.
Vite fait bien fait.
Son action bascula enfin sur la miss à l'aura verte.

- S'il m'a fait mal ? s'étonna Cirth tout en clignant des yeux, un peu ahurie. Aaah... D'accord !~ Je comprends mieux...

Si Elwen s'en était pris au Globul avec tant de fougue, c’est parce quelle l'avait crue en danger.
Alors même que Cirth avait agité les mains pour lui dire de retourner à la surface, la Zélodienne à la longue chevelure blanche s'était laissée duper par son esprit de camaraderie.
Le sourire de Cirth se fit éclatant ; cette défaite lui était plus que supportable. Non, en fait, elle était même ravie d'avoir perdu face à cette redoutable représentante de son peuple !

- Quel talent, Elwen ! exulta-t-elle sous le nez de l'appelée. Je pensais être la meilleure dans ce jeu-là mais force est de constater que je me suis bien fait avoir !

Elle considérait même cet événement sous un autre angle ; en jouant les appâts et en se fiant à ses connaissances sur le monde aquatique et ses occupants, Cirth, avec la collaboration d'Elwen, pourrait attirer de sacrés spécimens - suffisamment gros pour donner lieu à un véritable festin !
Enhardie par cette pensée, comme s'il s'agissait là d'une idée de génie, Cirth frappa du poing dans la paume de sa main.

- Ok, Elwen ! Je t'engage à plein temps~

Elle fit volte-face en adressant un signe à Elwen afin que celle-ci veuille bien la suivre, juste avant de prendre une grande inspiration et de plonger encore une fois la tête sous l'eau :

- Allez, copine ! 'Pas de temps mort. On y retourne !

Surexcitée, la joueuse guida sa redoutable semblable dans une zone autrement plus jolie et éclairée que la précédente. Là encore, Cirth laissa les petits poissons pour les petits joueurs. Ce qui l'intéressait maintenant sortait vraiment de l'ordinaire, et il ne s'agissait pas d'une horreur de profondeurs comme en témoignait les pierres magiques et lumineuses incrustées dans la roche blanche, au milieu d'une forêt de corail.
Je suis sûre à deux cent pourcents qu'ils ne sont pas loin...
Elle eut raison d'y croire car, quelques minutes plus tard, Cirth les vit apparaître : une meute d'Hydrocampes !
Lesdites créatures ressemblaient à des chevaux mais avec davantage de couleurs ainsi que des nageoires beiges à la place des pattes et de la crinière. La plupart d'entre eux avaient la peau bleu et rouge par endroits. Tous arboraient une queue plus ou moins semblable à celle des sirènes.
Cirth trouvait ces animaux tellement jolis qu'elle était partagée entre le désir de les monter et celui de satisfaire le vide que cette balade sous-marine aura tôt fait de créer dans son estomac.
La décision finale lui vint au moment où elle entreprit de s'approcher de quelques spécimens ; ceux-là, plus peureux et fragiles que le Globul, se détournèrent d'elle avant de la fuir aussi vite que possible !
Encore une fois, pour Cirth, l'appel du jeu fut irrépressible.
Elle partit à leur poursuite, et son seul regret était de ne pas pouvoir rire aux éclats au risque de perdre tout l'air que contenait ses poumons surentraînés à force d'amusements de ce genre.
Ignorait-elle seulement que les Hydrocampes étaient déjà dans le collimateur d'un autre prédateur aquatique ?
Toute cette agitation n'allait pas être sans conséquence.

Hydrocampe:

Partez pas, mes jolis chevaux des flots ! Je suis sûre que vous ferez d'excellentes montures~
Quand bien même les Hydrocampes paraissaient délicieux, les rêves secrets de Cirth revinrent chatouiller la surface de sa conscience folle. En l'occurrence, il s'agissait pour l'heure de "faire un peu de dada" sur l'une de ces créatures sous-marines. Et ce projet, la Zélodienne l'aurait crié à tue-tête si jamais elle se trouvait pas sous l'eau, à nager aussi vite qu'elle le pouvait. Car oui : elle ne savait pas se propulser avec la danse de l'air, le Ki étant pour elle quelque chose de totalement inconnu.
Cirth, consciente qu'elle ne parviendrait pas à s'approcher suffisamment près de cette meute de peureux, dut revoir ses plans. Elle ne pouvait pas se permettre de laisser le temps s'écouler comme ça ; l'air viendrait à lui manquer et il faudrait alors faire le chemin inverse, direction la surface, pour ensuite repartir dans l'autre sens non sans espérer que les Hydrocampes n'aient pas migré ailleurs entre-temps.
La joueuse se remit à la verticale et gonfla les joues, ses poings calés sur ses hanches dénudées. Elle réprimandait du regard les fuyards.
Ce que vous pouvez remuer, bande de froussards !
Un des Hydrocampes était à la traîne, et ce fut sur celui-ci que la Zélodienne jeta son dévolu.
Avec un sourire pincé pour ne pas que l'air s'échappe entre ses dents serrées, la Scriptomancienne leva une main en direction de son élu. Très vite, la pêche à mains-nues devint la pêche à la Télékinésique. L'Hydrocampe avait beau se débattre comme un beau diable que Cirth le tractait malgré tout vers elle. On eût dit qu'une corde invisible était nouée autour du cou du cheval chimérique.
Tu es à moi, petit dada ! Rien qu'à moi~
Elle finit par en faire sa monture. Même si la bête, clairement mécontente, se mit à ruer comme une folle ! Pour ne pas se retrouver projetée, Cirth enroula ses bras autour de son encolure avant de se pencher dessus. Elle ne savait pas trop où l'Hydrocampe allait - et sans doute que l'animal l'ignorait aussi, vu les zigzags qu'il dessinait sous l'eau - mais elle ne s'en souciait pas le moins du monde ! Tout ce qui lui importait, c'était de faire du rodéo avec le cheval sous-marin.
Hé hé hé hé ! Hue ! hue ! C’est ça ! Déchaine-toi, mon poulain ! Fatigue-toi et, une fois à la ramasse, tu deviendras mien~
L'Hydrocampe n'avait pas vu à la dépense en énergie ; il s'était grandement éloigné d'Elwen, avec toujours cette petite peste blonde accrochée sur son dos comme une satanée puce !
Finalement, poussé dans ses derniers retranchements, l'animal se fendit d'une succession de pirouettes et d'acrobaties plus infernales les unes que les autres. Il rua en direction de la surface et bondit carrément hors de l'eau. Un moment dont Cirth tira pleinement profit puisqu'elle avala une grande goulée d'air salvatrice ! Elle osa même, pendant le processus, lâcher le cou de l'Hydrocampe d'une main juste avant qu'il ne retourne sous mer avec elle.
J'ai choisi la bonne bête ! Énergique. Fougueuse. Une vraie tête de pioche. Presque autant que moi !
Le duel reprit de plus belle mais jamais Cirth ne lâcha prise. Elle était définitivement plus têtue que sa monture. Si bien que le destrier, au bout d'un certain temps et de multiples essais infructueux pour éjecter sa cavalière, abandonna le duel et baissa la tête en signe de reddition.
Le sourire de Cirth était sans équivoque !
C'est bien ! Sois sage, mon joli. Ça c'est un bon Hydrocampe ! Oui, oui ! Ça c'est la gentille bêbête à sa môman~
Complètement gaga, Cirth se mit à gratifier sa monture d'un florilège de caresses. Celle-ci, plus décontractée quoique encore essoufflée, avait plutôt l'air d'apprécier.
Après cela, juchée en victorieuse sur son Hydrocampe, Cirth se tourna vers Elwen et lui fit le signe de la victoire avec l'index et le majeur écartés de sa main gauche.
C'est alors que plusieurs Hydrocampes la dépassèrent par les flancs. Deux la frôlèrent dangereusement, poussant sa monture presque assagie à reculer prudemment. D'autres chevaux chimériques filèrent comme des flèches dans le sens inverse tout en produisant des couinements déformés par leur environnement aquatique !
C'était visiblement la panique parmi les Hydrocampes. Celui que montait Cirth, sentant de la tension dans l'eau, paraissait reprendre du poil de la bête ! Il couina à l'attention de la Zélodienne. Une façon qu'il avait trouvé pour la supplier de battre en retraite, de faire volte-face et au plus vite !
Whow ! Minute papillon ! Du calme, mon grand ! Du calme !
Cirth ferma d'autant plus ses jambes pour contenir l'Hydrocampe récalcitrant. Puis ses yeux d'or repérèrent des lueurs bleutées, instables, percer à travers la pénombre marine. La demi-obscurité se vit alors teintée d'un rouge sombre mais pas suffisamment prononcé pour virer au noir complet.
C'était un nuage de sang !
Le regard de Cirth se durcit aussitôt.
D'étranges serpents de mer firent alors leur apparition. Parés de nageoires blanches semblables à de la soie fixées tout le long de leur carcasse filiforme, les monstres scintillaient de tout leur être. Ils avaient une gueule de dragon et deux cornes plantées au milieu du front ainsi que derrière le crâne.
Des Hydronakes ! reconnut la Zélodienne. Et en bon nombre en plus.
Autour de ces prédateurs reptiliens crépitaient de fins éclairs bleus. Les saisir à pleines mains ne serait vraiment pas l'idée du siècle...
Ils se mirent à siffler à la face de leurs proies qu'ils avaient vraisemblablement encerclées. Un coup d’œil circulaire suffit à Cirth pour se rendre compte du traquenard.
Vous n'aurez pas mon dada ! Foi de Scriptomancienne.
Prête au combat, la Zélodienne infusa ses doigts du Feu de Esprits. A l'instar de l'encre qu'elle utilisait, cette magie particulière ne craignait pas l'eau - Du moins pas autant qu'un feu ordinaire.
Cirth baissa brièvement les yeux sur son Hydrocampe qu'elle tenait par la crinière d'une seule main, ses jambes assurant le reste de la prise.
Montre-moi dans quel orichalque tu as été taillé, mon joli ! YAH !
Ses talons s’enfoncèrent dans les flancs du cheval, qui se propulsa à toute vitesse en ligne droite, brisant ainsi l'encerclement des Hydronakes ! Une partie de ces derniers, bousculés, se lança à la poursuite de Cirth tandis que l'autre partit à l'assaut de son amie Zélodienne restée sur place.

Hydronakes:

Il y a quelque chose qui cloche.
Cramponnée à son Hydrocampe, Cirth songeait aux petites habitudes de ses poursuivants. Sa monture des mers nageait à une vitesse impressionnante, sensiblement supérieure à celle des Hydronakes ; de quoi permettre à la jeune Scriptomancienne de mettre au point une stratégie avant que la fatigue n'affecte son destrier apeuré.
Par précaution, la Zélodienne jetait de très bref coups d’œil en arrière, histoire de jauger un peu mieux le danger électrique qui la talonnait avec un certain acharnement - et probablement un très grand appétit.
Tant d'Hydronakes alors que nous ne nous trouvons pas sur leur territoire ?
Oui, Cirth disposait de connaissances sur la faune alentour à son île. Il est vrai qu'elle pouvait parfois se montrer très paresseuse, mais elle n'en demeurait pas moins une petite tête blonde bien remplie !
Alors que son Hydrocampe filait comme une flèche, la Scriptomancienne laissa tomber sa main droite le long de son flanc et se mit à puiser dans son énergie spirituelle. Louée soit l'aisance de l'habitude car il ne lui fallut pas longtemps pour invoquer son sort fétiche - Mýrarljós. Ses cinq doigts, écartés, brillaient dès lors d'un feu bleuté.
A l'aide d'une rotation du buste, Cirth cibla l'Hydronakes le plus proche avec l'un des cinq rayons ardents qu'elle avait en stock. Le prédateur marin, particulièrement souple et doté d'un corps comparable à celui d'une anguille, esquiva le tir qui alla immédiatement se perdre dans les fonds. Si l'attaque avait manqué, la Zélodienne put toutefois se rendre compte qu'elle ne se trouvait pas du tout dans une situation enviable ; en chemin, la lumière produite par son rayon avait éclairé quelques nouvelles ombres filiformes. Comme quoi d'autres Hydronakes, plus malins et plus patients que ceux qui la suivaient, comptaient à fortiori l'assaillir depuis un angle mort.
J'apprécie le goût du risque mais tout de même ! Quelques petites pincées auraient suffit...
La Zélodienne gonfla les joues, passablement agacée par la tournure des événements.
Quand son Hydrocampe sera épuisé, le glas sonnera pour elle. Mais il restait avant ça un autre problème : celui-ci du manque d'oxygène. A jouer ainsi avec le feu, Cirth risquait la noyade !
Mais si je remonte maintenant, je suis cuite.
Elle ne s'en sortira pas toute seule. Elle était bien trop désavantagée, qu'il s'agisse de l'environnement où elle évoluait ou même en terme du nombre d'ennemis à ses trousses.
Cirth se pencha d'autant plus sur l'encolure de sa monture dans l'espoir d'opposer un peu moins de résistance avec l'eau. Cela lui permit de gagner un peu de distance... jusqu'à ce qu'un Hydronake plus massif que les autres fasse subitement son apparition ! Sans doute que la Zélodienne, un peu trop effrontée, s'était un peu trop enfoncée dans les rangs de ces monstres.
L'Hydrocampe se crispa et ralentit sensiblement son allure.
Tout le contraire de sa cavalière.
Attention ! il va faire noir.
Le gros serpent électrique ouvrit grand la gueule, prêt à les gober d'un coup !
Cirth tendit deux doigts collés vers son horrible gosier et épuisa un rayon deux fois plus large que le précédent. Elle raffermit ensuite sa prise sur la crinière de sa monture tout en lui administrant un double coup de talons, de sorte à ce que l'Hydrocampe surmonte sa peur et passe à travers le trou aux contours brûlés qu'avait créé sa cavalière dans la chair du serpent de mers. Ils manquèrent de peu se prendre un coup de jus au cours de cette funeste traversée.
Dans leur sillage, le cadavre du Hydronake fit momentanément obstacle à ses congénères, permettant ainsi au duo d'infortune de continuer leur fastidieuse progression.
Mais l'ennui étant que...
Cette accélération était le coup de trop.
Ce qui devait arriver arriva : l'Hydrocampe ne pouvait plus assurer le coup.
Les prédateurs les avaient déjà rattrapés. Cirth croisa le regard luminescent de l'un d'entre-eux qui se trouvait à seulement deux pas d'elle, sur son flanc droit. Il lui fonça dessus et la Zélodienne, lorsqu'elle fut sûre de son coup, l'intercepta avec ses deux derniers tirs incandescents ! Dans sa chute enflammée, le monstre emporta miraculeusement deux de ses paires.
Cirth n'eut pas le temps de s'en réjouir : le manque d'air commençait à se faire sérieusement ressentir !
Je n'ai plus le choix. Il faut que j'en appelle à eux.
Pour éviter le pire, elle choisit de prendre des risques ; comme lors de son premier rodéo à dos d'Hydrocampe, la monture acculée se vit forcer d'entreprendre une remontée vers la surface.
Sauf que les Hydronakes ne l'entendaient pas de cette oreille. Plus rapides et endurants, ils étaient déjà arrivés à hauteur de leurs proies. Ils se mirent à rugir de concert avant de tenter, tous crocs sortis, de prendre le destrier des mers en tenaille !
Quand soudain un puissant courant marin - grand merci à la détonation sous-marine produite par Elwen ! - traversa l'assemblée, bousculant tout le beau monde vers la surface !
En quittant l'infini bassin, Cirth fut carrément désarçonnée. Elle avait la tête en bas et le corps suspendu dans les airs lorsqu’elle entraperçut son "dada" s'envoler au loin avant qu'il ne réintègre lourdement son habitat naturel.
Au moins n'était-il plus poursuivi par les Hydronakes.
Malgré cet au revoir des plus brutal, Cirth eut le réflexe de remplir à nouveau ses poumons d'air avant de retomber sous l'eau. Entretemps, elle accusa un plat magistral, ce qui lui fit l'effet d'une grosse baffe en travers de l'estomac.
Ouillouillouille !
Elle laissa échapper un peu d'air dans son malheur. Puis se surprit encerclée par les quelques Hydronakes qui avaient vraisemblablement survécu à la déflagration d'Elwen.
La main plaquée contre son ventre rougi, toute grimaçante, Cirth laissa courir son regard sur chaque tête de dragon.
Heureusement, la Scriptomancienne n'avait pas encore joué son va-tout.
Ses pupilles dorées commençaient à virer lentement au gris argenté.
En catimini, les esprits avaient répondu à son appel de détresse...
Dans la tête de Cirth, une seule incantation résonnait en échos.
Allur Eldur Og Logi !
Quelques secondes plus tard, le Feu des Esprits, sous une forme peu commune, s'anima et se mit à rugir à travers la mer !

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