La journée touchait à sa fin. Le soleil était sur le point de se coucher, en grande partie visible à travers la fine couche de brume qui entourait la montagne plate toute entière.
A défaut d'être parvenue à retrouver Yggdrasia, qui s'était enfuie après m'avoir administré une fessée en utilisant une fichue liane (la fourbe!), j'avais pris la peine d'effectuer une petite ronde dans les environs.
Les séides corrompus de Malvon n'y rodaient plus, ou alors ils étaient sacrément discret !
Fidèle à moi-même et à mon optimisme légendaire, j'avais fini par en déduire que le fantôme manipulateur de mon détesté d'ancêtre n'était pas parvenu à briser ses chaînes. Malvon piquait donc un nouveau roupillon à travers le sceau irrigué par mon propre sang. En somme tout était bien qui se terminait bien !
Sur cette belle pensée, mes pas me ramenèrent sereinement à l'entrée du domicile du Maître. Maître qui s'y trouvait ! Je le vis, de dos, sous le porche de sa demeure, son impressionnante silhouette se confondant avec les ténèbres dans lesquelles il était sur le point de pénétrer.
Il s'interrompit au moment où il perçut ma présence. Sa tête se tourna dans ma direction, et son corps suivit à son tour le mouvement lorsqu'il s'avisa de ma nouvelle tenue en Tisse-Rune, preuve irréfutable que j'étais parvenue à mener à bien mon apprentissage du jour !
Je rayonnais de fierté, à tel point que j'éprouvais toutes les peines du monde à le cacher.
Non, en fait... je n'avais aucune envie de le cacher~

- Je constate que ton entraînement à porté ses fruits, me dit-il sans émotion aucune.

Les mains dans le dos, j'affichai un sourire de vainqueur !

- Ouiiiii !~ Regardez moi ça, fis-je en tournant sur moi-même, avec certes un peu moins de grâce qu'une danseuse étoile. Taillée exactement comme celle que vous m'aviez façonnée juste avant de la réduire en cendres microscopiques, précisai-je tout de même, un brin rancunière.

Pour ne pas changer, il ignora superbement cette petite remarque. S'il ne bougeait pas d'un pouce son regard, lui, explorait ma tenue en Tisse-Rune avec grand intérêt.
J'écartai les bras pour lui faciliter la tache, ce sans même qu'il ait à me le demander.
Il hocha la tête une seule et unique fois. J'avais, de toute évidence, obtenu son approbation !
Victoire !!!

- N'oublie pas, reprit-il de sa voix caverneuse, cette évolution tu ne la dois pas qu'à toi-même. Sans le savoir que t'ont transmis tes dernières connaissances, tu n'aurais jamais pu manipuler les Runes aussi rapidement. Peut-être même que tu y aurais passé la semaine.
Je suis curieux... Comment t'y es-tu prise au juste ?

Je penchai la tête de côté, un sourcil arqué.
Il n'avait pas pour habitude de m'interroger - c'était même plutôt l'inverse ! Cela soulignait également qu'il ne m'avait pas épiée. Sans doute qu'il n'était pas non plus au courant pour l'intervention du sinistre Malvon ?
Mon sourire s’amincit.

- En me fiant autant à vos bons conseils qu'à ceux de mes proches, lui répondis-je respectueusement. Les bases que vous m'avez enseignées ont été les fondations-mêmes de ma réflexion, tandis que les informations relatives au savoir de mes précédents partenaires d'entraînement m'ont permis de tirer profit de l’environnement dans lequel je me trouvais. J'ai bien conscience que je dois énormément à beaucoup de personnes, tout comme je sais que mes prochains progrès dépendront surtout des nouvelles personnalités qui croiseront mon chemin.
J'imagine que c'est comme ça que fonctionnaient les Envoûteurs et les Envoûteuses ?

- Pas seulement, rétorqua-t-il. Les humains en général. Il en va de même pour les aliens. Ceux qui subsistent doivent leur prodigieuse durabilité - y compris leur épanouissement - à l'inspiration qu'ils ont su tirer de leurs rencontres, qu'elles eurent été bonnes ou mauvaises. Jusqu'ici, tu as su différencier les bons exemples des mauvais. Mais méfie-toi : plus l'on devient puissant et confiant, moins visible est la ligne qui les sépare.

Belle leçon de morale que voici ! Je me fis fort de la garder dans un coin de mon esprit qui ne risquait pas de prendre la poussière trop vite.

- En parlant de mauvais exemple, j'imagine que vous n'êtes pas sans savoir que notre éminentissime manipulateur "scellé" a refait surface pendant que je m'efforçais de maîtriser les Arts Runiques ?

- Non, répondit-il sobrement, ce qui me laissa pantoise. J'étais parti en quête d'ingrédients. Mais j'avais mes doutes à ce sujet en m’apercevant, sur le chemin du retour, que la brume s'était désépaissie.

- Vous m'aviez laissée seule et sans surveillance alors que j'étais en train d'apprendre à utiliser la Rune du Feu Primordial ? C'était...

Chose rare : l'esquisse d'un sourire des plus discrets lui rida la commissure des lèvres.
Il termina la phrase à ma place :

- Risqué ? Dangereux ? Irresponsable de ma part ? Hum ! Si je ne t'avais pas cru capable de venir à bout d'une Rune de cet acabit, jamais je ne t'en aurais parlé. Il fallait au moins que tu passes cette épreuve pour espérer surmonter les suivantes.
Ne te repose jamais sur tes lauriers, Hilaris.

Je me grattai l'arrière du crâne, passablement gênée par cette seconde remarque dont j'avais déjà fait les frais en combat réel.

- Oui... J'en suis consciente, dis-je tristement. "L'expérience douloureuse est un bon maître", comme vous le dites si bien. Mais en ce qui concerne la manifestation inopinée de Malvon... ? Celle-ci ne vous inquiète donc pas ?

Il fit volte-face et me coula un regard par-dessus son épaule.

- Très légèrement, avoua-t-il. Mais maintenant que je suis revenu, il ne tentera plus pareille folie. Bien sûr, il essaiera de me tromper. C'est dans sa nature - une nature à laquelle il est enchaîné. Je vais tout simplement me rendre dans le temple et colmater la faille qu'il a su emprunter pour rejoindre la surface. Ce qui est à sa portée est aussi à la mienne.
Va te reposer, Hilaris. Demain n'aura rien à voir avec aujourd'hui.

Puis il traça sa route à travers l’interminable couloir de sa demeure, les torches de feu mauve s'allumant à son passage et s'éteignant dans son sillage.
Les lèvres pincées, je calai mes poings sur les hanches en le suivant du regard.

- C'est toujours lui qui a le dernier mot, bougonnais-je. Bah ! fis-je en secouant la main à hauteur de mon visage. Je l'aurai un jour. Je l'aurai !

L'heure était au repos ! Seulement, avant le repos et le dodo il faut songer à son hygiène.
Mère était intransigeante à ce sujet : "Si tu ne te laves pas, tu ne dors pas". Père était du même avis, ce qui n'avait rien d'étonnant ; il passait son temps soit à commander, soit à s'entraîner. Et au bout d'un certain temps, les deux vous font sentir mauvais.
Ceci sachant qu'en compagnie d'Yggdrasia j'avais dû faire les deux...

Je partis donc en direction de la cascade, traversant un chemin bordé de végétaux noirs comme la nuit avant d'y parvenir enfin.
Il me suffit de plonger un doigt dans le lac pour me dire que prendre un bain dans ces conditions ne serait pas le "top". Or, après une si rude journée, le "top du top" je tenais fermement à l'avoir !
Je VOULAIS un bon bain chaud. Non, mieux : J'EXIGEAIS un bain digne d'une princesse ! Ou d'une magicienne, dans mon cas.
Sans plus tarder, je traçais une toute petite Rune Ferhu au bord de la rive. Malgré sa taille réduite, elle s'enflamma pile au moment où je l'activais !
Je m'en départis tout aussi vite pour en créer une seconde - inversée cette fois-ci - un peu plus loin, à l'opposé pour être exact. Elle ne créa aucune flamme, contrairement à sa virulente cousine qui commençait déjà à grignoter la rive ! Par contre, cette dernière création joua son rôle à merveille : malgré la distance, elle prélevait continuellement la chaleur grimpante de la Rune Ferhu.
Ainsi le Feu Primordial, jugé d'ordinaire incontrôlable par ses pratiquants, faisait simplement office de radiateur grâce à un effet de cycle entre deux Runes ! Et comme le lac se situait entre elles, celles-ci en chauffaient l'eau. Je découvris en y plongeant les doigts que mon calcul était juste : le précieux liquide était aussi chaud que je l'avais escompté~

- Impeccable ! m'exclamai-je, réjouie par la compatibilité et l'équilibre de mes Runes. Dans ces conditions, il ne reste plus qu'une seule chose à faire...

Je fis ni plus ni moins disparaître ma Tenue en Tisse-Rune ! Il ne restait plus que mes sous-vêtements, que je dus ôter et ranger normalement avant de me plonger intégralement dans ce délicieux bassin réchauffé par mes soins~

- Aaah, La magie ! 'Y a que ça de vrai~

Je poussai un soupir d'aise, détendue dans l'eau comme je ne l'aurais jamais été ailleurs !
Un espace aussi grand rien qu'à moi, hé ! Si ça c'est pas du rêve, je me demande bien ce que c'est~

Mais ma tranquillité fut d'assez courte durée : pas très loin de mon point d'eau, une explosion de magie retentit à travers les airs ! Ses relents se propagèrent dans les environs, me passant au travers au point de m'arracher un gros frisson.
Ce n'était pas commun, non ! Et la troublante intensité de cette détonation nourrissait l'idée que je m'en étais fait.

Chose très curieuse : il ne restait plus aucune trace dans l'air du puissant éclat de magie ressenti quelques secondes auparavant ! Le tout avait fait franchement vite pour s'éclipser. Et c'était d'autant plus surprenant en considérant le violent frisson dont j'avais été l'objet.
La question qui me taraudait l'esprit était la suivante : comment une telle quantité de magie a-t-elle pu se volatiliser aussi promptement ?
Je rejoignis la rive et sortis de l'eau en m'efforçant d'imaginer quelques hypothèses plausibles à ce sujet.
Peut-être bien que ma nudité me rendait plus sensible à la magie ambiante, auquel cas j'avais exagéré les faits ?
J'avais lu, il y a trois années de cela, dans un des innombrables ouvrages du Maître que les magiciens de l'ancien temps méditaient souvent sans rien sur le dos, nus comme un ver, afin de mieux « ressentir », d'accroître leur perception des choses...
La première idée qui m'était venue lors de cette surprenante lecture relevait autant de la critique que de la moquerie ; je m'étais dit dans ma jeune tête de débutante bienheureuse : « Bah, que de balivernes ! Ce n'est là qu'une excuse pour masquer la satisfaction qu'ils ressentaient en s'adonnant à quelques pulsions de naturiste. »
Rien qu'en y repensant, les rougeurs de la gêne m'étaient montée aux joues.
Je venais d'expérimenter la chose et moralité : oui, la nudité vous rend plus sensible à tout ce qui vous entoure, y compris dans l'ésotérisme !

- L'arrogance de tous les débutants, soupirai-je.

Mais tout cela ne répondait pas à ma question. Pire encore, ces petits détails en soulevaient une autre : quelle pouvait être l'utilité de cette fabuleuse propagation d'énergie ?
Je m'approchais le plus possible d'une des Runes en activité autour du lac pour accélérer le séchage de ma peau. Le temps que je réfléchisse à cette toute dernière question, c'était comme si je n'avais jamais plongé ne serait-ce qu'un seul de mes orteils dans l'eau !
A défaut de ronger tout ce qu'elle touche, Ferhu, quand elle est bien utilisée, fait des merveilles~
Je m'emparai de mes sous-vêtements pour les enfiler en toute hâte.
Puis ce fut au tour de ma tenue en Tisse-Rune, qui revit le jour à même ma silhouette grâce à l'accouplement des Runes déjà existantes (Ferhu et Ferhu-Inverse) ainsi qu'à l'association d'une Berkano tracée et infusée de magie sans préambule.
Je laissais mon regard triste errer sur la surface du bassin.
Le bain tant convoité ne s'était pas éternisé. De toute manière, étourdie comme je l'étais, j'avais complètement oublié de me dégoter du shampoing et du savon ! Et un bain sans ces précieux éléments ne lave pas vraiment...
Et ne me jugez pas pour avoir revêtu mes sous-vêtements sales : je ne m'étais pas encore lavée, donc cela ne compte pas ! Les ablutions sérieuses pouvaient encore attendre.
Il y avait bien plus urgent.
Je me tournai en direction de l'endroit où la magie avait supposément éclaté...

- Nord-Ouest du plateau, je dirais. En pleine zone aride. Enfin... à fortiori.

Rien n'est jamais sûr.
Mue par un réflexe vieux comme mon apprentissage au maniement de l'épée, je portais la main à ma ceinture, là où aurait dû se trouver ma Caladbolg rangée dans son fourreau. Elle n'y était pas, bien sûr ! Tout comme ledit fourreau. Ce pour la simple et bonne raison que le Maître ne me les avait pas encore restitués...
J'avais oublié de les lui quémander.
Je poussai un autre soupir, plus profond cette fois-ci.

- Une sacrée tête de linotte ! Il est plus que temps de te reprendre, Ryanne. Bientôt, c'est ta tête que tu vas oublier.

Je me frappai simultanée les deux joues avec la paume de mes mains, histoire de me réveiller un peu.
Oui, il y a des jours comme ça où...
Bref ! N'en parlons plus.
En me concentrant davantage, j'eus comme un déclic : et si la personne qui avait employé cette mystérieuse magie de haut vol se trouvait encore être sur les lieux ?
Je me plongeai immédiatement dans le Cœur de pierre pour bénéficier d'un calme plus propice à la situation, puis j'étendis ma Perception jusqu'aux limites de la montagne afin de détecter la source de mes multiples interrogations.
Mon univers se réduisit soudain au domaine du Maître, à tout ce qu'il portait et dissimulait. Sous terre, le temple renfermait la ténébreuse énergie magique de Malvon. Celle-ci se trouvait sous entraves. J'appris aussi que le Maître s'en était sensiblement rapproché, sa présence se confondant avec le flux de magie prisonnier du sceau sur lequel j'avais dû verser mon sang. Sans doute qu'il n'avait pas fait attention à la brusque détonation magique qui avait eu lieu à la surface, trop concentré par sa tâche actuelle.
La suite ne dépendait donc que de moi.
Sur cette pensée encourageante, je focalisai mon sens aigu de la Perception à la surface-même de la montagne. Outre les très rares formes de vie dont je parvins à déceler la position, j'en découvris une qui sortait du lot.
Elle ne brillait pas énormément. C'était même tout le contraire, car elle avait l'air mourante ! En revanche, la magie ne l'irradiait pas, ni en elle ni même dans l'air.
Ce que j'avais senti, c'était son esprit puis son centre de Ki.
Pas la moindre trace de magie.

- C'est franchement pas commun, tout ça, soufflai-je, sceptique. A quoi avons-nous à faire cette fois-ci ?

En portant deux doigts à mon front, j'usai du Shunkan Ido. La téléportation m'expédia dans l'un des coins les moins accueillants du domaine du Maître : un plateau aride (comme je l'avais escompté!) non loin du vide.
Je jetai un rapide coup d’œil autour de moi. Des parois rocheuses. Assez monotone comme paysage. Ce n'était pas l'endroit rêvé pour faire du tourisme. J'aurais d'abord commencé par rediriger l'attention sur la cascade mais bon... le choix ne se présentait point !
Je baissai les yeux, les posant sur ce qui ressemblait fort à la manifestation physique d'un mystère encore non-élucidé. C'était une fille d'un gabarit identique à celui de Pan, étendue par terre, la joue pressée contre la pierre. Le dos sa tenue rouge me disait vaguement quelque chose... ainsi que cette queue de singe...
Je m'accroupis à ses côtés en silence, évaluant la gravité de ses blessures... qui me fit grimacer.
Il y avait du sang. En assez grande quantité. Suffisamment pour que ça devienne alarmant !
Je me penchai un peu plus sur le côté, histoire de me rendre compte si l'accidentée était toujours consciente.
En voyant son visage, je la reconnus enfin comme étant l'amie de Pan que j'avais pu voir dans son cauchemar !
...Son nom ? Je dus fouiller dans ma mémoire pour le retrouver : Ceruly !
Ce fut un choc !
Que pouvait bien signifier sa présence en ces lieux ?
En tout cas, une chose était sûre : elle n'était pas une illusion.

- Hey ! Tu m'entends... Ceruly, c'est ça ? hasardai-je. Je m'appelle Ryanne. J'ignore comment tu as fait pour arrivée ici mais tu ne m'as... vraiment pas l'air dans ton assiette. C'est pas très joli à voir, tout ça. Pas très joli, certes, mais je pense que je suis en mesure de te raccommoder un peu... Serre les dents, je vais devoir t'étendre sur le dos pour avoir un visuel parfait de ta blessure.

Peu encline d'assister plus longtemps à son agonie, je m’exécutai sur-le-champ !

- Essaie de te détendre, lui dis-je. Ça ne te fera aucun mal. En fait, c'est même tout l'inverse puisque c'est moi qui vais en faire les frais.
Ah ha ha !.... Non, c'est vrai : je ne blague pas. Je vais VRAIMENT souffrir à ta place.

J'inspirai un grand coup avant de survoler de mes mains la plaie brûlée. Mon Ki - mauve - se mit à jaillir de mes paumes et à caresser la chair meurtrie de la dénommée Ceruly. Quand la connexion fut enfin établie, l'Absolut qui Dedit commença à produire son miracle de régénération !
Je grimaçais de douleur en sentant l'impitoyable passage de cette fameuse « épreuve de la douleur », le terrible contrecoup de mon sort curatif. Très vite, je me suis mise à suer à grosses gouttes, le teint d'une pâleur mortelle. Mes mains tremblaient et je luttais intérieurement pour les garder au-dessus de la blessure de Ceruly. Là où cette dernière avait été touchée, je souffrais deux fois plus qu'elle !
J'avais envie de hurler de douleur mais je n'en fis rien. Je préférais me mordre les lèvres et garder les yeux grands ouverts, ce pour mieux définir l'efficacité de mon sort... ainsi que le temps qu'il me restait à tenir.

Atroce... proprement atroce ! J'avais l'impression que le doigt d'un géant s'était infiltré dans mon flanc et essayait, du bout de son ongle, de me déloger un rein. La blessure de la guerrière n'était pas à prendre à la légère ; si je n'avais pas pris la peine de m'aviser de la gravité des dégâts et de m'y préparer ensuite, je n'aurais probablement pas pu accuser le choc !
J'avais si froid. Tellement froid que je me demandais intérieurement si mon corps générait encore de la chaleur...
C'était définitivement un coup à y laisser la vie avec la patiente ! Entre la douleur et cette morsure frigorifique qui grimpait les échelons au fur et à mesure de la guérison...
Je dus faire un effort colossal pour garder l'esprit clair, à défaut de conserver les yeux ouverts.

- Ggh... Pas... d'la gnognotte, parvins-je à siffler entre deux gémissements.

Je commençais à me dire que le fait d'avoir oublié le shampoing et le savon avant de me plonger dans le lac n'était pas bien grave : je transpirais à si grosses gouttes que mes ablutions en auraient été gâchées.
Ne te laisse pas submerger par la douleur, me dis-je, de profondes cernes sous les yeux. Si cette dernière parvient à te dominer, alors tu mourras avec celle que tu tentes de secourir !
Et que pensera Pan de ce fiasco ? Qui lui en fera part, d'ailleurs ?
Le Maître trouvera-t-il nos deux corps vides de toute vitalité et aura-t-il la volonté d'en informer mes proches ? Ou bien sera-t-il trop déçu par mon échec et choisira d'en conserver le secret ?
D'un point de vue mental plus que physique, la souffrance commençait à me perturber.
Ressaisis-toi, bon sang ! Tu perds le fil, là ! Il représente ton souffle de vie alors si tu le lâches, tu meurs.
Je haletais, acculée par une nouvelle vague de souffrance. J'étais si mal que je commençais à me plier en deux dans l'espoir de trouver une posture un peu plus confortable. Et comme je me trouvais à genoux à côté du corps étendu de Ceruly, c'était un tantinet dérangeant...
En rouvrant les yeux, alertée par une voix à peine audible, je m'avisai de la faible émergence de Ceruly. La concernée n'était pas guérie - pas encore, non ! - mais n'était plus plongée dans ses propres ténèbres. Elle respirait un peu mieux, même si son geste trahissait une très grande faiblesse.
Je laissai sa main là où elle venait de la poser avec toutes les peines du monde. Cela ne me dérangeait pas, bien au contraire : c'était même motivant, dans un certain sens.
Bien plus que ses vaines protestations, en l'occurrence.
Je secouai la tête en m'efforçant de grimacer un mince sourire.

- Hors... de question... C-chut ! expirai-je, un œil clos dans l'effort pour ce faire.

Heureusement que je disposais de toute ma magie en cet instant ! Car oui, en plus du Ki, je m'étais mise à puiser dans cette seconde source de pouvoir.
Jamais je n'aurais pu recourir à une technique de ce genre au cœur d'un combat, tout comme comme je n'aurais pu user d'un tel sortilège avec une réserve de magie entamée au-delà du quart.
Je faillis lâcher prise au moment d'y réfléchir.
Cesse de divaguer, triple buse, et concentre-toi sur les soins ! Te voici connectée avec la patiente. Vos vies sont entremêlées le temps que tout revienne à son état initial... Pas de retour en arrière possible.
C'est souvent le hic avec la sorcellerie. Ce type de magie produit des miracles, mais n'en est pas moins terrible vis-à-vis des malédictions ! «L'épreuve de la douleur » en est une - et pas des moindres. Seul moyen d'en sortir : une excellent résilience.
Une lueur d'espoir brille toujours, même dans les heures les plus sombres !
Je me redressai en inondant de courant magique la blessure de Ceruly. La chair se reformait petit à petit à partir d'un sang coagulé. Mais, là encore, je fis une rechute qui manqua m'expédier au sol.
Je me redressai juste à temps, auquel cas mon sort aurait pris fin avec le mince lien de vitalité qui nous unissait, Ceruly et moi.

- C-ça va aller... Juste... un petit... effort et...

Je clignai des yeux. La tunique rouge de ma patiente se floutait à ma vue.
C'était mauvais signe. Vraiment pas bon du tout, ça !
Je plissai les yeux et inspirai un grand coup, nonobstant avec force difficulté cette effroyable douleur qui m'étreignait le flanc avec hardiesse.
Souviens-toi de ton vécu à l’hôpital ! De tous les gens que tu as soignés en compagnie d'Arcadia. Tu as réparé des membres cassés, des cœurs usés par le stress au cours de nombreuses années, des entailles si profondes que tu en as versé des larmes...
Tu ne peux décemment PAS échouer ici !
Je fronçai les sourcils, les mains crispées au-dessus de la plaie en voie de guérison. Je ne sentais plus mes doigts. Plus du tout ! Ils étaient ni chaud ni froid. Pas la moindre sensation... juste rien... le Néant.. qui commençait à m'absorber... lentement...

- Tu es bien trop optimiste, Hilaris, fit une voix grave dans mon dos.

Je sursautai. N'ayant pas la force de couler un regard par-dessus mon épaule, je pris sur moi pour répondre le plus calmement possible :

- Merci... C'est... gentil.

- Ce n'était pas vraiment un compliment, dit le Maître en s'installant à ma hauteur.

Il appliqua sa main par-dessus les miennes et usa de sa propre magie. Une lueur pourpre, toutefois plus sombre que celle issue de mon Ki, se mélangea à la mienne. Un sifflement magique ponctua ce geste bienvenu qui me permit de souffler un peu et, quelque secondes après qui me parurent une éternité, de récupérer un semblant de couleur.
Du coin de l’œil, je vis que le Maître en pâtissait. Seulement la douleur ressentie nous était partagée. Je souris et me focalisai davantage sur la plaie de Ceruly.
Comme je n'étais plus poussée dans mes derniers retranchements, je pus lui adresser quelques paroles réconfortantes :

- Tu es presque tirée d'affaire, Ceruly. Encore un peu de patience...

Pendant la finalité de ses soins, une partie de mon esprit se mit à cogiter.
Le Maître ne venait-il pas de quitter le temple pour me prêter son soutien ? Il avait sans doute dû ressentir ma puissance se réduire petit à petit à celle d'un nourrisson. Mais n'était-ce pas dangereux ? Je m'inquiétais au sujet de la faille dans le Sceau en forme de papillon que Malvon avait emprunté pour invoquer les élémentaires au cours de mon apprentissage des Runes.
S'il nous attaquait à cet instant précis, il aurait une chance de tous nous annihiler...
Cette idée sombre me faisait froid dans le dos !

Quelque peu requinquée, la Saiyajin avait fini par tendre la main. Je crus de prime abord qu'elle allait la poser sur moi pour me pousser et m'empêcher de la guérir à mes dépends, mais elle n'en fit rien. Au lieu de ça, elle prolongea son geste et ses doigts se refermèrent sur l'épaule du Maître.
J'eus comme un mauvais pressentiment...
Du coin de l’œil, je vis la main bienfaitrice du Maître battre en retraite. Entre-temps, Ceruly bégaya quelques mots, qui contenaient tout de même une drôle d'animosité.
Puis, pile au moment où je tournai la tête vers Ceruly, le Ki se mit à briller d'un puissant éclat argenté dans mon champ de vision périphérique !
Une sourde détonation survint. Quelque chose me tira hors de portée de l’explosion, en me saisissant juste au niveau de la taille.

- Mais qu'est-ce qu'- Waaaaaah ?!

Puis, à quelques mètres au-dessus de la poussière soulevée, je me découvris en suspension dans l'air. C'était la queue de singe de Ceruly qui me maintenait dans cette position, enroulée juste au-dessus de ma jupe en Tisse-Rune.
Je coulai un regard à Ceruly.
Ce qui venait de se produire m'avait choqué.
Pour une raison obscure, elle venait de rompre notre sortilège de guérison ! Il s'en était fallu de peu pour que je me retrouve dans le coma, à compter éternellement les moutons sans jamais pourquoi me réveiller. Sans l'intervention du Maître et son partage de la souffrance, j'aurais probablement terminé dans cet état.
Alors que je n'avais pas eu l'élan spirituel nécessaire pour placer ne serait-ce qu'un seul mot depuis l'explosion soudaine, nous retombâmes doucement au sol. Ce ne fut que sur la terre ferme que j'entrepris de me dégager.
L'état instable de Ceruly m'inquiétait toujours, certes, mais d'autres interrogations tout aussi urgentes me démangeaient sérieusement !

- Mais que...

Je jonglai du regard entre la guerrière à la tunique rouge et le nuage de poussière soulevé par sa terrible attaque.

- ...Mais, par le ciel, qu'est-ce qui t'as pris ?!

Et elle s'était mise en garde, en plus !
Mais qu'elle mouche l'avait piquée pour qu'elle se comporte ainsi ?!
Je n'en croyais ni mes yeux ni mes oreilles.
Une lueur combative dans le regard, elle venait de me souffler quelque chose d'étrange.
...Elle ne voulait pas le laisser me faire du mal ? Et il en avait déjà bien trop fait ? Qui ça « il » ? Le Maître ? Elle le connaissait ? Mais d'où ?!
Appuyée sur les genoux, je papillonnai stupidement des yeux alors que la poussière était en train de se dissiper. Contrariée par l'impulsion destructrice de Ceruly, je me dégageai  prestement de sa queue de singe !

- Du mal ? A moi ? Mais c'est complètement idiot ! m'insurgeai-je. Attends une minute... tu parles bien du Maître ? De MON maître ? Bon dieu ! C'est absurde : il comptait te soigner, et surtout m'aider dans cette tâche !!

- Humpf... Tu te fais de bien drôles d'amies, Hilaris, fit la voix du Maître.

Un vent mystique venait de balayer l'endroit, dispersant le nuage de poussière une bonne fois pour toute ! La silhouette du Maître luisait d'une aura mauve, crépitant toutefois d'étincelles rougeâtres. Ses yeux jaunes et perçants fixaient Ceruly, mais ils ne trahissaient aucune pulsion meurtrière ni aucune haine. Pas grand intérêt non plus. Une profonde lassitude ? Peut-être.
Une telle passivité était difficilement descriptible.
Le Maître baissa la main qu'il avait dû porter à son épaule. Celle-ci était dénudée et tout juste soignée. La toge qui la recouvrait avait été carbonisée mais le tissu, comme s'il était doté d'une volonté propre, s'étira en de longs fils noirs pour reconstituer le chaînon manquant du vêtement sombre.
Je reconnus la capacité régénératrice du Tisse-Rune. Celle-là même qu'il avait utilisée dans le temple en compagnie d'Arcadia, Pan et moi.

- Je n'ai rien compris à ce qui vient de se passer, avouai-je en me relevant, clairement embarrassée par la mauvaise surprise.

- Je m'en doutais un peu, répondit le Maître en toisant la guerrière à la masse capillaire clignotante. Il serait peut-être judicieux de lui demander quelques explications, tu ne penses pas ?

Il roula de l'épaule - celle que Ceruly avait failli atomiser - avant de me jeter un regard en coin chargé de sous-entendus.
Je rougis jusqu'aux oreilles, honteuse à en avoir le souffle coupé.
Par peur de revoir l'amie de Pan cracher son Ki sur mon mentor - et possiblement l'énerver à force de tentatives - je vins aussitôt me placer entre les deux concernés, les bras écartés et dos par rapport au Maître en qui j'avais le plus confiance.
J'adressai un regard de détresse profonde à l'exténuée qui m'avait tout l'air de nager en pleine confusion.

- Doucement, Ceruly ! Pas de précipitation, veux-tu ? repris-je en levant une main prudente à sa seule attention. J'ignore ce qui t'as pris ni comment tu es arrivée ici dans cet état, mais il faut que tu saches que nous sommes tous tes amis ici. Que ce soit moi ou mon Maître, lui assurai-je en me pointant du pouce avant de le pointer à son tour.

Je sentais la tension dans l'air, sauf qu'elle ne provenait que d'une seule direction : celle de l'amie de Pan. De son côté, malgré toute l'inimité qu'il recevait de la part de la guerrière à queue de singe, le Maître restait fidèle à son titre. Les bras ballants, il observait la scène comme s'il en était l'arbitre, bien que son aura fluctuait encore.
Il ne tarda cependant pas à l'éteindre, ce qui sembla donner pour ordre au vent de s'aplanir.

- Clarifions la situation, vous le voulez bien ? Batailler n'aurait aucun sens.

Je ne comptais pas leur laisser le temps de répondre. Il fallait que je sois rapide dans mes propos. Rapide mais tout aussi calme !
On allait quand même pas s'atomiser entre alliés, non ?

- Je ne demande que ça, me coupa le Maître au moment où j'ouvrais la bouche pour continuer. Qu'est-ce qui t'amènes sur mes terres, fougueuse guerrière ? Tu ressembles à cette jeune femme qui m'a rendu visite pas plus tard qu'hier, en compagnie d'Hilaris ici présente et de sa fille Shinjin...
Toutes les deux, vous me lancez le même genre de regard. Celui auquel je suis habitué. Ou abonné de par ma nature.

Je grimaçai et reportai mon regard sur Ceruly. En joignant les mains devant moi, je la suppliai de ne pas plonger tête la première dans une seconde crise de folie « protectrice ».

- Le Maître parle de Pan, précisai-je, l'air navrée. Et c'est à travers ses songes enténébrés que je t'ai vue, toi, au milieu d'un paysage en ruines.

La suite sortit tout naturellement :

- Pardonne-moi si je me trompe mais... N'es-tu pas Ceruly, l'amie de Pan ? Ce qui signifierait que toi aussi tu proviens du futur ? ...C'est bien cela ?

Oh, la grosse méprise !
 « Amis » n'était peut-être pas le bon mot à employer dans de telles circonstances. Peut-être aurais-je dû m'abstenir de le sortir aussi rapidement...
Je m'étais pincé les lèvres en l'écoutant parler de créature démoniaque, de fléau de l'humanité porteur d'apocalypse et de ce qu'on lui avait fait subir - « on » et pas « il » - à elle mais aussi aux parents de Pan. Il était aussi question de son incrédulité, remarque qui fut immédiatement ponctuée par une garde raffermie.
Je n'avais pas besoin de me retourner pour imaginer le Maître en train de soupirer.
On avait à faire au parfait stéréotype du Grand Méchant Démon.
Je coulai tout de même un coup d’œil au Maître par-dessus mon épaule. Toujours aucune émotion notable sur son visage de pierre. Il me fixa un instant, puis haussa tout bêtement les épaules, l'air de dire « Il fallait bien que ça arrive un jour ».
Puis le débat avait continué après que j'eus proposé de clarifier la situation.
Là encore, il était question des vilains démons. Qu'elle continuerait de combattre jusqu'à son dernier souffle. Des paroles virulentes, pleines de haine. Une haine justifiée par ce qu'elle a vécu, certes, mais une sacrée méprise envers d'autres « engeances » de cette espèce qui n'en partageaient pas les horribles mœurs.
L'intervention du Maître, succédé par mes quelques précisions au sujet de Pan et de ma source d'informations peu banale, n'eut pas l'effet escompté. La stupeur sur le visage de Ceruly s'était transformée en un mélange de rage et de tristesse. La couleur de ses cheveux s'était stabilisée, mais peut-être pas dans le bon sens à en croire les étincelles qui s'accumulaient autour de la silhouette de la jeune femme. Sous nos pieds, la montagne entière s'était mise à trembler. C'était pire encore sous les bottes de la guerrière, car le sol se brisait et les gravats arrachés commençaient à défier la gravité dans un ballet survolté.
Le vent se mit à souffler si fort que je dus me reculer d'un bon pas.
Puis vint la plus terrible de toutes les méprises. Ceruly était en train de s'imaginer des choses affreuses au sujet de Pan ! Des choses où le Maître et moi étions impliqués, à en croire le regard furieux qu'elle nous lançait.
Bon... c'est vrai. Dans un sens, j'avais certes touché Pan mais... pas dans ce sens-là, non ! Pas avec de si mauvaises intentions. C'était même tout le contraire, je...
 Nul besoin de s'étendre là-dessus !
Fermez de la parenthèse.

- Je crains qu'il va me falloir rebâtir le domaine sous peu, soupira le Maître en scrutant la réaction de Ceruly. C'est dommage. Je l'aimais bien, ainsi travaillé par les années.

- Mais non ! rétorquai-je, passablement agacée par le commentaire. Ce lieu ne sera pas le théâtre d'un affrontement ! Et personne n'y détruira autrui ! C'est dingue ça comme un petit quiproquo peut prendre des proportions aussi énormes...

- C'est généralement ce qui se passe quand on touche un point sensible, glissa le Maître tout en suivant du regard une pierre grosse comme son poing qui venait de s'arracher du sol. Si tu as une idée pour arrêter ce cataclysme, je te conseille de te presser : la météo annonce de l'orage ce soir.

Ce n'était pas qu'une simple figure de style qu'il venait d'employer. Je levai subrepticement les yeux. Des nuages noires se condensaient dans le ciel, dissimulant le coucher de soleil et une bonne partie de la lumière qu'il nous conférait.
Était-ce l’œuvre d'une Ceruly courroucée ou bien... ?
Pressée par le temps, je focalisai toute mon attention sur elle.
Sa puissance n'avait plus rien à voir avec celle de tout à l'heure.
Il me fallait trouver un moyen de la ramener sur terre, et vite ! Son imagination lui jouait des tours et la pauvre allait vraiment finir par partir en vrilles ! Je n'avais aucune envie de taper sur une amie de ma compagne - ou même de me faire taper dessus.
Je la regardai droit dans les yeux, les mains le plus bas possible pour ne pas lui donner l'impression que j'allais l'attaquer ou quoi que ce fût de semblable.

- Bon ! Je vais prendre ça comme une confirmation de ton identité, repris-je avant d'inspirer un grand coup. Avant que la rage ne te submerge, je veux que tu m'écoutes très attentivement. Aucun de nous n'a fait du mal à ton amie, Ceruly. Et ça, je peux te l'assurer ! Pan n'habite plus sur Terre. Elle a élu domicile sur Zélod III - ce n'est pas la porte à côté - et y occupe la fonction de Kami. Elle a à sa charge une petit fille du nom de Pina - une orpheline Zélodienne qu'elle considère comme sa fille. Et à vrai dire...

Je me grattai la joue, un peu gênée par ce que j'allais devoir lui révéler. J'étais sur le point de devenir rouge comme une pivoine. En d'autres circonstances, j'aurais peut-être usé du Cœur de pierre pour éviter cela mais... en cet instant, cela aurait été improductif.

- ...si je sais tout ça - et ne va pas t'imaginer un seul instant que je l'invente ! - c'est parce que nous sommes proches, Pan et moi. Dans le genre « Très » proches ! D'où la raison de sa visite hier, ici-même. Pan tenait absolument à voir le Mai-... hein ?

Alertée par un craquement de plus en plus fort, je baissai les yeux au sol.
Puis je me sentis emporté sur le côté alors qu'une violente détonation venait de se produire à l'endroit même où je me situais à peine quelques millisecondes plus tôt !
C'était le Maître qui m'avait épargné cette attaque surprise. Lui et moi avions les yeux rivés sur l'aberration qui avait inopinément jailli de terre, jusqu'à ce qu'il me lâche et que ses prunelles d'un jaune perçant se soient braquées sur moi.

- Quand tu argumentes, tu as souvent tendance à négliger ta défense, me fit-il remarquer, comme si c'était là notre plus grand problème.

- Oh, misère ! ...C'est bien ce que je crois ? m'avançai-je en levant les yeux sur la silhouette longiforme qui se découpait dans la poussière soulevée.

- Je n'ai pas eu le temps de colmater la brèche dans le Sceau alors oui : c'est bien ce que tu crains que ce soit.

Une sorte de serpent de fumée noire avait émergé de sous le sol. Son corps était strié d'éclairs mauvâtres. La chose faisait bien trente-six pieds de haut, si ce n'était davantage en considérant la partie inférieure de son corps dissimulée dans son terrier.
Si la brume s'était désépaissie depuis que j'avais débarrassé ce sol des élémentaires de Malvon, le ciel, lui, avait semblait-il pris le relais ! Des visages tordus dans une grimace de haine, de douleur, de tourments ou de chagrin profond avaient pris forme à partir des nuages noirs.
Leur « bouches » s’entrebâillèrent et des élémentaires - d'une composante plus ou moins semblable à celle du serpent de fumée noire géant - churent au sol comme autant de gouttes de pluie au cours d'une averse !

- Ton ancêtre est bien plus rusé que je ne le pensais. Profiter ainsi d'une faille aussi petite... je me vois dans l'obligation de lui concéder ce point.

- Vous êtes toujours aussi « légèrement » inquiet vis-à-vis de ses manifestations répétées ?

- Je le trouve très audacieux.

- .. Vous m'écoutez au moins ?

Ma question était passée à la trappe.
Il avait presque l'air fasciné par tous les élémentaires à qui feu mon ancêtre venait de donner vie.
Je n'avais pas fini de les compter quand le serpent maléfique se mit à grossir puis à cracher des éclairs mauves dans toutes les directions !
Le domaine du Maître était bel et bien devenu le théâtre d'un nouvel affrontement.

La situation s'était un tantinet améliorée. C'est du moins l'impression que j'avais eu en voyant Ceruly intervenir à la vitesse de l'éclair pour nous protéger, le Maître et moi ! Nous nous retrouvâmes ainsi entourés par les parois d'une étincelante sphère de Ki. On aurait dit un astre autant par sa forme arrondie que par son magnifique éclat.
Cela dégageait une telle puissance... !
Aux premières loges, j'assistais à la scène, bouche-bée.
La voix impassible du Maître me sortit de ma contemplation :

- L'heure n'est pas à la fascination.

Je calais mes poings sur les hanches en lui lançant un petit regard de reproche du coin de l’œil.
Deux secondes auparavant, c'était lui qui admirait les créations ésotériques de Malvon !

- Vous faites bien de le dire.

Plus loin derrière la protection, les élémentaires orageux commençaient tout juste à se diriger vers notre soleil protecteur. Les éclairs de l'espèce de serpent maléfique frappaient à répétition notre barrière, empêchant la horde de trop s'approcher de nous.
Le regard du Maître se baissa sur une Ceruly en proie à de grosses difficultés.
Je suivis ce regard qui ne trahissait pas la moindre émotion, si bien que je ne vis pas son propriétaire tracer une Rune encore inconnue à mon registre.

- Ce n'est plus qu'une question de secondes avant que ton... amie ne cède à ce nouvel assaut.

Le serpent avait changé de schéma offensif. Au lieu de balancer ses éclairs mystiques, je le vis se dresser au-dessus de la barrière et transformer son extrémité - faciale, je présume ? - en une sorte de perceuse à consistance brumeuse.
Heureusement que notre héroïque guerrière fit exploser sa puissance au moment où l'attaque du séide de Malvon heurta le mur de Ki !
Au-dessus des crépitements rebelles de cette terrible énergie, j'entendis Ceruly dire qu'elle n'abandonnerait le combat pour rien au monde, qu'elle... comptait maintenant sur nous pour prendre le relais ?
C'était comme ça que je l'avais compris, en tout cas !
Je voulus tracer une Rune, mais le Maître dressa l'un de ses bras devant moi pour me l'interdire.

- Ne gaspille pas ton énergie, me dit-il. Nous allons en avoir besoin.

Par contre, lui ne voyait pas à la dépense : sa peau vira subitement au violet et des cornes émergèrent de son front ! Il venait d'adopter sa première forme démoniaque, et de celle-ci se dégageait une énergie froide comme la Mort.
Tout le contraire de la transformation de Pan ou de Ceruly !
Son regard luisant, plus dur que de coutume, me faisait froid dans le dos alors même qu'il n'était pas posé sur moi.
Je n'avais l'autorisation de rien faire en cet instant, seulement d' observer la manœuvre. Le Maître appliqua une Rune dont le motif ressemblait vaguement à un trident.

- Elhaz, la nomma-t-il. La Rune de protection magique la plus puissante.

Quand Ceruly, manifestement à bout de forces, défaillit en emportant sa technique avec elle, celle du Maître s'y substitua le temps d'un battement de cils !
Non... malgré sa nouvelle teinte, cette dernière ressemblait bien trop à celle qui l'avait précédée. On aurait dit une réplique personnalisée de la technique de Ceruly. Je sentais d'ailleurs encore sa signature énergétique tout autour de nous.
Le Maître serrait les dents alors que la perceuse continuait de travailler la protection ressuscitée !
Du coin de l’œil, j'aperçus notre guerrière épuisée chanceler.

- Ceruly !

Elle tomba à la renverse et je tendis la main dans l'espoir de la rattraper. Un geste bien inutile : Pan venait de faire son apparition grâce au Shunkan Ido. Ce fut elle qui l'empêcha de choir au sol comme un pantin à qui on aurait coupé les fils.

- Ouf ! Tu tombes à pic !

Je n'eus pas le temps d'en placer une autre. Mon attention bascula sur autre chose de plus urgent. Les grésillements contre la barrière se faisaient plus insistants, plus forts, et les étincelles qui en jaillissaient n'étaient pas non plus de bon augure !
Mais le Maître, le bras dressé face au serpent qui se trouvait juste derrière notre bulle de sécurité, tenait bon. Tout comme moi, il n'était pas dupe : il savait parfaitement ce qui allait nous tomber dessus sous peu...
Les élémentaires tombés du ciel nous avaient encerclés.
Pan, qui venait de prendre soin de son amie en l'installant confortablement au sol, se redressa pour faire face au problème. De son avis, notre précieux Sceau que nous avions tant de mal à mettre en place avait cédé.
Le Maître n'était pas de cet avis, et il nous le fit comprendre malgré le duel de force qui avait lieu entre lui et l'horrible serpent-perceuse.

- Ils sont bel et bien de la même nature, concéda le Maître. Mais le Sceau n'est pas tout à fait détruit. Pas encore. Pas complètement.

Il infusa davantage de magie dans son bouclier et, de son autre main, traça une seconde Rune avec une facilité déconcertante et ce sans même la regarder. Le Compartimentage de l'Esprit - celui-là même qu'il m'a enseigné - lui permettait d'accomplir ce prodige.
Il ne cita pas la Rune et, tout comme la dernière qu'il avait utilisée, je ne la reconnus pas. Elle ressemblait à un « H » dont la barre centrale tirait vers la diagonale, comme une sorte de pont entre deux axes.

- Cette aberration est trop chronophage. Nous nous en occuperons plus tard.

La Rune en « H » se mit à luire d'un éclat rouge. La barrière céda à cet instant précis et le serpent-perceuse menaça de tous nous emporter d'un coup !
...Mais quand il chargea, il fut immédiatement happé par une faille. Celle-ci s'était ouverte d'un coup, dans l'air, à la place du la Rune invoquée par le Maître ! Elle ressemblait à une déchirure de l'espace, dont les bords irréguliers et rougeoyants s'écartaient sur une infinité ténébreuse.
Le « portail » fut projeté et avala la bête mystique sur toute sa longueur avant de disparaître hors de notre champ de vision, sous terre.
Je n'avais pas vraiment tout compris alors...

- ...Qu'étais-ce au juste ?

- Pour l'heure, tu n'as nul besoin de le savoir, rétorqua le Maître. Les festivités vont pouvoir reprendre dans un contexte qui nous sera plus favorable.

C'était vite dit !
Le Maître dissipa sa protection magique et nous vîmes tout autour de nous l'armée d'élémentaires de Malvon. Les nuages en forme de visages dans le ciel avaient vraisemblablement cessé d'en pondre.
Comme le temps jouait contre-nous, mon mentor revint très vite sur la question de Pan.
Il me pointa d'une griffe en regardant ma compagne.

- Hilaris est liée à ce Sceau étant donné qu'il a été activé à partir de son sang. C'est si jamais elle rend l'âme que tout prendra fin.

Il tourna son visage démoniaque vers moi et claqua des doigts.
Le Caladbolg apparut comme par magie. Puis, obéissant aux lois physiques de ce monde, elle initia sa chute en direction du sol. Je dus la rattraper en catastrophe ! Ce fut au bout de trois jongles que je parvins vraiment à la saisir :

- Ah... Whaah... Oh...Hey !... Merci d'avoir prévenu, me plaignis-je.

- Tu risques d'en avoir grand besoin.

Il se fichait pas mal de mon commentaire, car il se détourna et détacha une main de son flanc pour matérialiser son arme de prédilection. Le marteau du Maître prit forme, en commençant à apparaître à partir du long manche et en finissant par la lourde tête en forme de plateaux de balance.
C'était une arme impressionnante autant par son poids que par les nombreuses fioritures qui la recouvrent.
D'un lourd revers, il vaporisa une entité orageuse qui avait commis la bêtise de se jeter sur lui.
Quand la chose battit en retraite sous la forme d'un mince filet de brume dans l'espoir de se reconstituer, elle s'embrassa soudainement et poussa son ultime plainte dans un brasier mauve.
Je reconnus les effets dévastateurs du Feu Primordial !
...Une Rune dans une arme, sérieusement ?!
Nos assaillants eurent eu aussi un temps d'arrêt, dont le Maître sut tirer profit en nous donnant de précieuses consignes.
De sa main libre, il pointa du doigt le ciel.

- Vous l'avez remarqué, n'est-ce pas ? Les nuages n'en crachent plus. Ce qui signifie que les réserves magiques de Malvon sont limitées...
Massacrons un maximum de ces entités. Leur disparition impactera sur le pouvoir de leur invocateur. Privilégiez le Ki ou les attaques magiques ; elles sont insensibles aux assauts standards.
Ah ! Et tâchez de vous contrôler : ne détruisez ni cette montagne ni le temple qu'elle abrite.

Il déploya ses grandes ailes de chauve-souris à travers le tissu déchiré de sa tenue en Tisse-Rune, puis plongea dans la mêlée !
Je me tournai vers Pan.

- J'ai l'impression qu'il est notre fer de lance, dis-je avant de baisser les yeux sur Ceruly endormie. Combattons ces choses en veillant à ce qu'aucune d'entre-elles n'effleure ton amie !

Je m'étais déjà mise en garde, la lame pourpre de ma Caladbolg infusée de magie.
La horde d'élémentaires orageux se rua dès lors sur nous !

J'avais ramené ma lame en arrière, à deux centimètres de ma hanche, tandis que ma main libre était relâchée. Une fois que l'élémentaire qui se trouvait en première ligne fut à quatre mètres de distance, il s’octroya une impulsion et bondit avec l'intention manifeste de m'écraser via ses deux poings chargés d'une foudre obscure !
En entreprenant une attaque de cet acabit, il avait ouvert sa garde en grand ; je profitai de cette opportunité pour frapper aussi vite que bien. Un pas osé et un revers de lame plus tard, la créature maléfique coupée en deux s'écrasa par terre en effectuant une laborieuse série de roulés-boulés, puis ses deux morceaux noirâtres s'évaporèrent plus loin comme s'ils n'avaient jamais existé. Entre-temps, les "yeux" du monstre brumeux avaient cessé de luire.
Un de moins, donc !
J'avais entendu Pan exprimer sa rancune envers cette montagne.
Cela me fit glousser. Dans un sens, c'était compréhensible venant d'elle.

- Il y fait bon vivre en temps normal, tu sais ? Simplement, nous sommes arrivées au mauvais moment.

C'est à croire que Pan y est abonnée à ces sales moments. Encore une fois, elle n'avait pas été bien reçue. Cela faisait deux fois, pardi ! Deux.
Il fallait vraiment mettre un point final à cette histoire !
Trois élémentaires foncèrent sur moi. Mon dernier pas en avant m'avait permis de m'éloigner un peu de Pan et Ceruly - juste assez pour me permettre quelques esquives sans que mes alliées en pâtissent - alors j'allais pouvoir m'en donner à cœur joie.
Un poing orageux me loupa d'un cheveu, car je venais de l'éviter au tout dernier moment. Un coup de pied fut stoppé par le plat de ma lame, que je fis tournoyer autant pour bloquer un autre coup que pour déséquilibrer mon second assaillant. Une jambe à l'apparence de coton - mais sale de par sa couleur ! - s'écrasa par terre avant de disparaître aussi promptement.

- Tiens ? Vous êtes plutôt fragiles, en fait !

D'un coup droit, je décapitai mon deuxième adversaire avant de fondre sur celui qui avait voulu me donner un coup de poing. J'étais partie pour lui balancer ma botte dans le ventre mais c'était sans compter les propos avisés du Maître. Je m'en abstins donc et, d'une rotation du buste, esquivai une autre attaque qui creusa un grand trou dans le sol, à un pouce de ma botte.
Je haussai les sourcils.

- Quelle brute ! m'exclamai-je.

Il était sur le point de m'en donner un autre quand je levais prestement la main à hauteur de ce qui lui servait de visage. Mon Sattelès - un joli petit astre violet, pour les néophytes - désintégra le faciès grimaçant ! La créature porta les mains à sa tête disparue, puis se volatilisa comme de la poussière soufflée par un courant d'air.

- Et que je ne t'entende pas chouiner, mécréant~

Pauvre bougre.
Je me tournai vers le troisième pour découvrir qu'il avait créé de la distance entre nous.
Curieux ça ! j'étais pourtant persuadée que ces créatures ne ressentent pas la peur ?
Soudain, un tout petit grésillement en provenance du séide de Malon m'avertit d'un danger - c'était l'Aperception qui venait de bousculer mes sens. Louées soit les bases de l'entraînement psychologique du Maître, car je pus me jeter en arrière juste à temps, esquivant un éclair noir tiré à l'horizontal ! Je me rétablis sur mes pieds après avoir exécuté un salto arrière, la garde de mon épée posée contre terre et l'autre main appliquée à proximité de cette dernière.

- Rusé, le pion !

Il commençait tout juste à baisser le bras quand je fonçais sur lui, lame en avant !
Cette fois-ci, j'avais chargé mon épée en Ki. Elle transperça mon ennemi qui, pour le coup, me parut un peu plus consistant que ses tristes congénères.
Tiens, tiens ?
L'un d'entre-eux nous contourna dans l'optique de me frapper la nuque d'une redoutable manchette ! Le coup étant chargé de foudre, il y avait fort à parier qu'il me court-circuiterait pendant un laps de temps non négligeable en cas de réussite.
Dommage pour lui car il n'était pas prêt de l'emporter~
Je fis un pas en avant, enfonçant plus en profondeur ma lame dans le corps de celui que j'avais empalé. Derrière-moi, la violente manchette vrombit dans l'air !

- Ryyyaaaaaaaaah !

J'invoquai le Praesidium comme une extension de la garde de mon arme - voyez cela comme un garde-boue nouvelle génération ! Je n'eus donc pas à entrer en contact avec mon ennemi - sait-on jamais, avec les effets de la brume ? - pour le faire rouler par-dessus mon épaule. Pendant que l'élémentaire s'écrasa sur son méchant voisin, ma lame était débarrassée de son fardeau.
Je me retournai pour transpercer d'une traite les deux aberrations de Malvon, et cette fois-ci en tournant bien ma lame dans la brume. Les deux élémentaires moururent en émettant une sorte de grondement chargé de tristesse.

- Je ne suis pas prête de vous pleurer.

Je redressai ma lame dans l'alignement du ventre de mes nouveaux ennemis.
L'étau s'était semble-t-il resserrer car les entités magiques s'étaient massées autour de moi. Ils grognèrent comme un seul homme et, comme des ersatz de barbares, se contractèrent, l'air menaçant ! Sans doute que ces choses reconstituées par magie disposaient, dans leurs subconscients, de quelques micro-réminiscences propres à leur ancien vécu.
De mon point de vue, et ce malgré leur nombre, c'était plus fascinant qu'effrayant !
J'adressai un signe de la main à Pan, qui ne se trouvait plus vraiment à côté de moi à en croire la distance qui nous séparait et les deux paquets de méchants qui nous encerclaient.
Je plaçai la main qui la saluait en porte-voix pour lui crier :

- Ne t'en fais pas ! Tout baigne par ici. Je danse avec les vagues~

Le tonnerre se mit à gronder ! J'eus à peine le temps de lever les yeux que la foudre s'abattait déjà sur un groupe d'ennemis, les réduisant à néant sur le coup.
Dans le ciel, le Maître battait des ailes, la tête de son marteau parcourue d'éclairs mauves. Ses yeux jaunes me fixaient avec leur impassibilité coutumière.

- Reste concentrée, Hilaris, me rabroua-t-il de sa voix caverneuse, dont le timbre me paraissait encore plus sinistre en raison de son apparence démoniaque. Ce ne sont là que des pions. Le pire reste à venir.

Il projeta son regard au loin et je vis, par-dessus les rangs ennemis, l'abomination serpentine sortir de la faille dans laquelle elle avait été exilée. Elle émit un son grave et fantomatique, qui respirait une menace tout à fait perceptible.

- Quand on parle du loup, soupirai-je.

- Ne t'en approche pas, m'ordonna le Maître avant de retourner au casse-pipe, droit vers le revenant longiforme.

Je roulais des yeux au ciel, reportant ensuite mon attention sur ma prochaine charge de travail.

- Et si c'est LUI qui vient à ma rencontre, j'aurais le droit de taper dessus ?... Bon. On y retourne !

Je ne comptais pas les laisser reformer les rangs de si tôt !
Ma lame luisante de Ki en faucha un autre, à l'oblique, avant de projeter dans la continuité de mon geste un slash d'énergie - au cœur tirant légèrement sur le rouge - qui en emporta deux autres. Le Magnus Discidium dont je venais de faire usage épura un peu mon groupe d'assaillants, laissant dans son sillage de l'air sans poussière et une parcelle de terre fendue nette.
Ce n'était pas une technique si énergivore que ça. Je restais donc fidèle aux consignes de mon Maître, à savoir : « ne gaspille pas ton énergie ».
N'avait-il pas dit que nous allions en avoir besoin ?
Sans doute que ça n'allait plus tarder.
Parmi mes adversaires, ceux qui se trouvaient le plus en retrait étaient de loin les plus massifs. Un peu comme les golems que j'avais affrontés plus tôt dans la journée !
Je me sentais attirée par la perspective de les découper en de délicats petits blocs de brume avant qu'ils ne disparaissent entièrement~

- Je ne vais pas vous attendre, colosses ! Et je ne quitterai pas ce sol avant de m'être occupée de vous. Je veux vous voir tomber et que, de là où il est installé en tant que spectateur, mon ancêtre s'en morde les doigts~

Je bouillonnais d'énergie ! C'était agréable. En fait, je crois que j'ai toujours adoré les combats de ce genre. Les combats de masse ! Ça me rappelait le carré d'entraînement à l'armée, là où je m'entrainais face à de fortes têtes sous le regard vigilant de Père.
Oui, ce genre de combat représente un excellent défouloir !

On m'avait rendu mon jouet alors, euphorique comme j'étais, il était parfaitement normal que je veuille m'en servir !
Je me décidai donc d'aller à la rencontre de mes ennemis au lieu de patienter. Cela me permettait également d'en rameuter un peu moins à proximité de Pan et de son amie. Seul bémol : je n'allais pas pouvoir garder un œil sur elles, car elles se trouvaient dés lors hors de mon champ de vision. Enfin bon... connaissant Pan, fière Kami de Zélod III, pour elle le problème n'en était pas vraiment un !
A l'aide de deux vives frappes en croix, je scindai en quatre le premier de mes adversaires, qui mourut comme ses prédécesseurs non-regrettés. Derrière lui s'en cachait un autre, que je vis traverser les restes éphémères de son congénère dans l'espoir de me saisir à la gorge.
Pour le coup, le monstre fut malin - davantage que les autres en tout cas - car son membre de brumes s'étira comme un élastique ! Je dus placer le plat de ma lame dans la trajectoire de l'attaque, tout en ralentissant quelque peu ma course. Le choc eut lieu, plus fort qu'escompté, et je faillis passer sous ma lame. Juste avant de ramener sa main le monstre me l'arracha des miennes en grognant !

- Hey ! m'écriai-je, les mains tristement vides. Ah, le gredin ! Il m'a piqué mon épée !

Doté d'une certaine intelligence et fort peu enclin au suicide, l'élémentaire la tenait maintenant par le manche. Il savait qu'un contact prolongé avec une lame chargée de Ki lui causerait de sacrés dégâts.
Derrière-lui, quelques-uns de ses cousins se remirent à avancer, puis à le dépasser comme si de rien était. Certains avaient de biens vilaines griffes au bout des mains. De longs « ongles » chargé d'une foudre peu banale.
A ce train là, je n'allais pas tarder à me retrouver en bien vilaine posture...
Une autre que moi ce serait sans doute tordu les méninges pour résoudre cet épineux problème.
J'esquissai un sourire en coin, les yeux rivés sur mon épée volée.

- Ne jamais voler le matériel d'une magicienne, leur dis-je en tendant la main. J'élevai ensuite la voix : Caladbolg, viens voir maman !

Mue par un pouvoir dont mes pions d'ennemis n'avaient pas conscience, l'épée vibra un bon coup puis se dégagea tout aussi violemment des mains de son kidnappeur !

- Bien ! Très bien ! Ça, c'est une brave fille. Maintenant, stop ! lui ordonnai-je en levant le doigt.

Elle se figea dans les airs, entre moi et mes adversaires qui me ciblaient toujours.
Deux d'entre-eux levèrent les bras et m'arrosèrent d'éclairs. Pile au moment où je fis tourner mon doigt, engrainant un mouvement circulaire auprès de ma fantastique épée. Tous les tirs foudroyants se répercutèrent sur la Caladbolg, mon paratonnerre de fortune qui n'en fut pas corrompue pour autant.
Bien au contraire : elle brillait d'autant plus !
Les élémentaires s'interrompirent un moment pour lorgner mon arme.

- Caladolg... Nettoie-moi tout ça.

Je lui le intimai également par un geste. Il n'était pas tout à fait inutile, car il me permit de gratifier ma lame d'un petite décharge de Ki. Quand elle se mit à jouer la scie circulaire dans les rangs de mes ennemis, ce fut un véritable carnage !
Ses plus stupides victimes tentèrent en vain de l'attraper par le manche avant de se retrouver manchots en un temps record, tandis que les autres, plus fuyantes, se firent trancher de part en part.
C'était un peu frustrant de découvrir que ma lame taillait plus d'ennemis que lorsque j'en tenais le manche. Après elle disposait de mon énergie et d'une partie de celle de feu ses assaillants donc... Bref.
Une main calée sur la ma hanche, je toussotai légèrement dans mon poing avant de le lever et de crier joyeusement :

- Beau boulot ! Retour au bercail, Caladbolg~

Fidèle à sa bien-aimée maîtresse, elle revint se loger dans mon poing.
Son dernier voyage lui avait fait dépenser quasiment tout ce que je lui avais fourni en Ki. Il allait falloir la recharger pour espérer la revoir découper des élémentaires mais...cela commençait quelque peu à devenir lassant.
Les colosses se dressaient maintenant devant moi, débarrassés de leurs « camarades » que moi et ma lame venions tout juste d'occire.

- On passe au plat de résistance~

Mais un ordre de Pan me fit tiquer. J'étais sur le point de tourner la tête quand je compris soudain où elle voulait en venir. Me tenant de dos par rapport à elle, je ne fis pas mine de remuer.
Une fois le nom de la technique crié par mon aimée, le flash de Ki irradia les environs, y dévorant jusqu'à la moindre zone d'ombre ! Les colosses poussèrent un cri grave ; ils venaient de perdre une bonne partie de leur imposante masse, mais tous avaient conservé leur horrible trogne.
J'étais trop fascinée par ce spectacle pour m'intéresser à la horde à laquelle Pan était confrontée. Les plus petits devaient sans doute s'être envolés, rongés par un Ki outrageusement éclatant.
Comme mus par une volonté supérieure à la leur, les colosses dont les morceaux manquaient se rapprochèrent les uns des autres et se reformèrent ! On en dénombrait beaucoup moins suite à cette impressionnante technique de survie de groupe, mais les résistants disposaient maintenant d'une masse d'énergie plus importante.
...Ils puaient l'orage !

- Pas mal ! m'exclamai-je. Plutôt expéditif, comme méthode. Mais ça manque un peu de piquant. Les plus gros ont tenu le coup, de toute évidence. On pourrait presque les penser solidaires !

A tort, bien entendu !
Je rangeai ma lame dans son fourreau - que je dus créer et fixer à ma ceinture par magie, pour le coup, l'apprentissage du Tisse-Rune m'y ayant aidé. En passant la main dessus, je l'infusai secrètement d'un délicieux soupçon de magie. Avec le temps, ce dernier allait croître et quand viendra le moment où je dégainerai... Surprise !
Les colosses orageux grondèrent à l'unisson.
J'en dénombrais cinq. Dont trois assez proches pour que je sois contrainte de les affronter en même temps, étant donné leur configuration serrée.
Je bondis en arrière pour m'accorder un petit délais avant la prochaine offensive.

- Être grand ne vous rend pas complètement stupides...

Je m'étais privée de mon épée à dessein.
Nul besoin de réfléchir bien longtemps pour trouver des techniques qui ne me demandent pas énormément d'énergie. D'aucuns auraient banni les Runes...
Pas moi !
Contre toute attente, je traçais l'impitoyable Ferhu à même ma main droite. C'était un coup à finir en torche humaine dès son activation, et ça j'en avais bien conscience. Raison pour laquelle j'avais anticipé cette triste et regrettable fin en dessinant une autre Rune sur le dos de ma main opposée. Il s'agissait de Ferhu-inversée.
Cela ne m'avait pas pris plus de trois secondes.
J'esquissai un sourire provocateur.

- D'épéiste je passe à pugiliste ! Mais ce n'est pas tout...

J'entrechoquai mes deux poings au moment d'activer simultanément les Runes.
Le long de mes gants noirs en Tisse-Rune, le Feu Primordial s'était allumé, ses flammes mauves illuminant mes poings fermés ainsi que mon visage. Sans doute que les ombres menaçantes qui le recouvraient me donnaient l'air d'une horrible sorcière. Par bonheur, je ne pouvais pas les voir. Ni Pan d'ailleurs, puisqu'elle ne se tenait pas à ma hauteur.

- …Cela fait également de moi une Runiste !

Je ponctuai cet état de fait en enclenchant le Cœur de Glace (ou Sang Froid pour les Humains). Les symboles mauves qui apparurent partout à la surface de ma peau devinrent aussi rouges que des charbons ardents !
Sous cet aspect, j'avais l'air encore plus maléfique qu'auparavant.

- En avant !

Je n'eus pas besoin de le dire deux fois : le trio de géant s'était jeté sur moi, enhardi par la perspective de me faire taire une bonne fois pour toute.
Le Feu Primordial m'étant autant utile en attaque qu'en défense, je me servis de mes poings embrasés pour bloquer les assauts qui me paraissaient abordables. Les chocs répétés me firent toutefois reculer, et je serais sans doute tombée si je n'avais pas eu l'intelligence d'en éviter quelques-uns. Mais il faut aussi savoir qu'à mes parades s'ajoutaient de violentes ripostes !
En l'occurrence, un "simple" direct me permit d'ébranler un colosse. Il tituba en arrière et dut laisser place à ses virulents collègues. Le feu n'avait pas encore pris sur lui.
Cependant...

- Votre ami n'a pas l'air très en forme.

Ils s'en fichaient, bien sûr ! Tout ce qui les intéressait, c'était de m'abattre.
L'un leva le pied pour me piétiner mais un bond latéral me permit d'éviter de me convertir en crêpe. Son voisin, devant lequel j'atterris inexorablement, me tira des éclairs par les yeux !
J'usai de ma vitesse doublée pour me glisser entre ses jambes massives. Face à ce monstre et dans mon sillage, la roche vola en éclats au contact de la foudre !
Du dos du poing, je frappai derrière le genou de mon assaillant qui dut se rattraper pour ne pas tomber. Il faillit faire choir son "piétineur" de camarade. Celui-là, grognon, repoussa son énorme main d'un geste.
Pour ma part, je me tenais juste devant le titan que j'avais préalablement sonné. Il s'en était visiblement remis, car il leva ses énormes poings gonflés de foudre avec pour maigre espoir de me réduire en de sanglants confettis !
Je n'avais rien à lui envier en terme de puissance brute.
J'inspirai un grand coup...

- Haaaa-YAH !

Avant d'opposer mes poings chargés de Feu Primordial aux siens !
L'impact fissura le sol sous nos pieds mais pas au point de nous faire tomber sous terre. En revanche, le contrecoup fut terrible pour mon adversaire : il avait perdu ses deux mains et ses bras se faisaient ronger par un torrent de flammes mauves.
Je le frappai au niveau des tibias pour le pousser à s'effondrer.
Qu'il fût constitué de brume mystique ou d'autre chose encore, il mourut entièrement consumé sous les yeux de ses semblables.
Ceux-là, maintenant au nombre de quatre, m'encerclaient avec l’éphémère dépouille de feu leur congénère - joli jeu de mots, je sais~

- Deuxième Round, les cocos ? Personnellement, je suis chaud bouillante !

Tout en les narguant, je sautillais sur place en une parodie d'un certain artiste martial non sans distribuer quelques petits jabs dans l'air.
Je ne me souciais ni du Maître ni de Pan, car force était de constater que les envoyés de Malvon manquaient de force pour vraiment nous mettre à mal.

Quatre. C'était le nombre d'Orageux - classe et concis comme nom, vous ne trouvez pas ? - qui m'observaient en chien de faïence ! Dans mon état, je me sentais parfaitement en mesure de leur faire face. Ce n'était pas de l'orgueil ou du grand optimisme : seulement une agréable constatation.
Je n'aurais jamais pensé me familiariser en si peu de temps avec le Feu Primordial !
Les Orageux ne ressentaient pas la peur. Ils levèrent les poings et poussèrent un horrible grondement !
J'avais bien compris le message.
Je fléchis sur mes jambes...

- Deuxième round, donc !

La grêle de poings massifs s'abattit dans l'espace étriqué où je me trouvais.
...Trop tard, cela dit !
Au dernier instant, j'avais bondi entre leurs énormes mains qui ne pouvaient que frapper tour à tour par souci de place. En suspension dans l'air, je vis les éclairs noirs accompagnant chacun de leurs coups déchirer la terre tout comme j'entendis la dévastation se propager dans les environs.
...Le Maître n'allait pas très content de tout ce fouillis.
Bah ! Nul besoin de s'arracher les cheveux pour si peu : je l'aiderai à tout remettre en place quand le moment sera venue.
Et celui-là n'allait pas tarder à arriver.
Mes géants d'ennemis cessèrent leur martelage improductif. A leur insu, j'eus le temps de me glisser dans le nuage de poussière pour retrouver ma place. A travers l'étouffant écran opaque, j'arrivais à définir l'emplacement de mes différents opposants : leurs yeux jaunes luisaient comme des lucioles dans la nuit noire !
Quand l'une de ces paires d'yeux maléfiques se posa sur moi - n'oubliez pas mes tatouages luminescents - je fus extraordinairement réactive.
J'incantai un Satteles - pas plus gros qu'une balle de golf - dans le creux de ma main droite et la tendit dans la direction du monstre !
Le symboles rouges brillaient toujours à même ma peau, aussi mon petit astre de Ki mauve s'en retrouvait naturellement affecté au grand dam de mes opposants. L'attaque fut bien plus terrible qu'en temps normal car, malgré son petit gabarit, la maigre boule de feu résultante détona à hauteur du visage de l'Orageux. En fait, je crois avoir trop bien visé car elle avait pénétré dans l’œil de l'élémentaire pour y exploser sourdement !
On aurait dit le bruit que fait un gros pétard dans une pièce sans fenêtre.
L'imposante créature tomba à la renverse en hurlant, une main plaquée contre son visage détruit. Puis elle fut successivement gagnée et rongée par une mer de flammes mauves !
Le spectacle était vraiment captivant.
Si bien que je m'y étais attardée un peu plus que de raison...
Ceci en sachant que la poussière s'était dissipée, soufflée par l'onde de choc d'une explosion concentrée... Eh bien, mes trois autres adversaires avaient pleine vue sur moi !
Ils étaient tous très remontés, à en croire leurs expressions.

- Ho-oh ?

D'énormes mains se refermèrent sur moi.
Un effroyable étau qui me donnait la désagréable impression d'être une poupée Barbie victime de l'étreinte d'un gros enfant trop jeune pour comprendre qu'il faut être soigneux avec ses jouets !
Je résistai à la pression en opposant mes avant-bras contre les énormes paumes brumeuses.
Mais les deux compagnons de jeu de l'Orageux qui me maintenait dans cette position délicate me lardèrent d'éclairs noirs ! Le courant me frappa à plusieurs reprises, entamant d'abord mon écran de Feu Primordial pour en venir ensuite à ma tenue en Tisse-Rune.
Je serrais les dents, une veine imprimée sur mon front à force de produire de titanesques efforts !
A trop vouloir jouer avec le feu, on finit toujours par se brûler... dans les conditions actuelles, cet axiome ne s'appliquait pas que pour moi.

- Gggghh.... NuaaaaaH !

Usant d'une bonne partie de ma puissance physique (renforcée), j'écartai les bras en poussant ce cri.
Les mains de l'Orageux furent repoussées, tout comme les autres éclairs noirs qui ne parvinrent qu'à griller mes vêtements, ce à la limite de m'égratigner la peau. Je punis immédiatement mon ex-geôlier avec une grêle de coups de poings infusés du terrible Feu Primordial !
Il s'effondra et goûta à leur insoutenable chaleur, jusqu'à disparaître dans un nuage à l'odeur âcre. Le sol se mit à subir les affres de mon feu, à la fois touché par le premier géant que j'avais descendu ainsi que par le dernier.
Mes adversaires restants ne me laissèrent pas le temps de leur lancer une petite réplique bien salée : l'un me frappa de la jambe tandis que l'autre chargeait une énorme sphère aux pulsations électriques !
Du Feu Primordial infusé jusqu'aux chevilles, je sautai pour éviter cette balayette de géant. Je n'atterris guère bien haut, cela dit.
Mais c'était prévu.
D'une simple pichenette alors que je me trouvais encore en l'air, je tirai un Satteles miniaturisé en direction de l'Orageux posté légèrement en retrait. Il n'eut pas le temps de continuer son œuvre car, aussitôt, elle s'embrasa au contact de mon impitoyable projectile avant d'exploser dans une gerbe de flammes et d'éclairs ! L'élémentaire mourut sur le coup sans même voir le temps de tourner la tête.
Je ne m'en étais pas soucié, à vrai dire. J'étais bien trop occupée avec l'autre pour espérer l'observer jusqu'à son trépas.
Les jambes fléchies, il ne s'était pas encore écoulé une seconde depuis que l'Orageux avait tenté de faucher mes appuis. Sa grosse jambe brumeuse se trouvait toujours sous mes pieds, à seulement quelques petits centimètres de distance.
Mes bottes irradiaient de Feu Primordial, alors j'eus la violente idée de les écraser sur le très vilain membre inférieure de l'élémentaire !
Résultat : la jambe tendue fut à la fois sectionnée et détruite. Son propriétaire suivit le même chemin, dévasté par les flammes. Puis je sentis le sol s'affaisser sous mes bottes au moment de toucher terre. Il était mou comme du goudron !
Je levai les yeux pour contempler le paysage. Plus aucun ennemi en vue mais...

- J'y suis peut-être allé un peu fort. Juste un brin, dirons-nous.

...autour de moi, dans un rayon de cinq bons mètres de distance tout n'était plus que flammes !
En agitant la main gauche, je fis l'effort de rapatrier le brasier dans la Rune prévue à cet effet - Ferhu-Inversée. C'était un moyen plus ou moins sûr à la fois pour endiguer cet incendie mais également pour me restituer toute la magie que j'avais dépensée !
Quand j'eus enfin terminé la tâche que je m'étais auto-assignée en jouant les sapeurs pompiers, je partis en quête de Pan et de Ceruly.
Sous mes bottes, le sol était noir, vraiment pas très beau à regarder. En plus de ça, il humait très, très fort ! Il ne me fallut guère longtemps pour localiser celles que je cherchais.
Force était de constater que les Orageux avaient mis de la distance entre nous. Pas de bol pour eux car cela avait davantage fait mon affaire que la leur~
En chemin, ma transformation prit fin et mes Runes s'éteignirent. Elles avaient fait leur boulot, donc ce n'était pas plus mal.

Pan en avait visiblement fini avec ses assaillants alors j'avais accouru sans plus tarder.
Je n'avais pas vraiment conscience du profond état de délabrement ma tenue, ni de l'odeur de souffre qui exhalait de ma personne et pas même de la vapeur qui s'en échappait !
Non : j'étais simplement en joie de retrouver ma mie~

- J'ai bien l'impression que avons éradiqué les suppôts de Malvon, fis-je avec un sourire éclatant. Les petits comme les grands ! C'est du beau travail, je trouve ! Enfin...

Je coulai un regard en arrière pour constater les dégâts que mon Feu Primordial avait engendré sur le sol. Inutile de vous dresser un nouveau tableau de la parcelle de terre - pour ne pas la qualifier de « champ de braise ».

- ...Disons que c'est plus ou moins joli quand on plisse les yeux. En plus, ce n'est pas détruit. C'est seulement fondu. Ah ha ha ! Voyons le bon côté des choses !

Il était très discret mais soit.
Je levai le nez vers le ciel pour observer les nuages ténébreux. Ils semblaient moins nombreux. Moins oppressants aussi. L'expression sur les visages qui bordaient cette voûte cauchemardesque n'exprimaient plus ni chagrin ni haine. Ils étaient neutres, un peu comme mon mentor.
Je baissai les yeux sur Pan mais, avant que je puisse lui poser des questions sur sa ravissante amie inconsciente, un puissant coup de tonnerre retentit dans les cieux.
En tournant la tête, je vis le serpent de brume descendre dans notre direction... mais sa posture me fit tiquer. L'élémentaire longiforme ne venait pas à notre rencontre : il chutait en direction du sol, renversé sur le dos et la tête pendant dans le vide.

- Ah ! Je me disais bien~

Il disparut à mi-chemin comme tant de ses congénères avant lui dont Pan et moi nous étions occupés.
Au-dessus de la zone carbonisée, l'espace parut soudain se déchirer. Une faille aux bords rougeoyants s'ouvrit et une main, violette et d'origine démoniaque, en jaillit. C'était celle du Maître, qui finit par sortir du portail sous la forme qu'il avait emprunté avant de nous laisser détruire la horde d'Orageux..
Il avait l'air comme neuf à en juger par la propreté de sa toge. Ce n'était pas le cas de ses ailes de chauve-souris, cela dit : leurs membranes rouges avaient connu des jours meilleurs.
Le Maître nous toisait de ses prunelles aussi jaunes que de l'or.
Il finit par baisser les yeux sur le sol qu'il foulait, et par soupirer la remarque suivante :

- Heureusement que je vous ai demandé de ne pas endommager la montagne...

Je lui adressai un clin d’œil chargé de malice avant d'écarter solennellement les bras.

- Faux ! Vous avez dit, je cite : « ne détruisez ni cette montagne ni le temple qu'elle abrite ». Jusqu'à preuve du contraire cette montagne, bien qu'endommagée, tient toujours sur sa base ! Et le temple aussi, j'imagine.

Un petit blanc sonore plus tard, il me pointa du doigt en détournant subitement les yeux.
C'était bien étrange comme réaction, venant de lui.

- J'aurais aimé pouvoir en dire autant de ta tenue, finit par répliquer le Maître.

- Ma tenue ? répétai-je naïvement, un sourcil arqué.

Puis je baissai les yeux.
C'est à ce moment-là que je me sentis rougir jusqu'à la racine des cheveux !
Ma tenue était certes criblée d'auréoles noirâtres produits par l'impact répétée des éclairs des Orageux, mais tous ces petits détails n'étaient rien en comparaison du tissu déchiré à un certain endroit.
Oui, j'avais la poitrine à l'air !
Il faisait tellement chaud à cause du Feu Primordial que je ne m'en étais pas rendu compte.

- Kyaaa ! hurlai-je en me couvrant précipitamment la partie concernée.

Oh-ce-ma-laise !
Ça ne m'arrivait pas souvent de pousser ce genre de cri, mais quand ça sortait... eh bien, ça sortait !

Je m'étais écartée un peu du groupuscule pour renouveler (pour la deuxième fois déjà en seulement une journée) le Tisse-Rune qui composait mon vêtement. L'embarras du moment m'avait fait oublier certaines choses que Pan ne manqua pas de me faire remarquer... mais tout de même !
Quelques secondes plus tôt, je m'étais approchée d'elle le cœur empli de fierté d'avoir annihilé tout un régiment d'ennemis, puis j'avais répondu au Maître, toujours avec force assurance... avant de me rendre compte de ce que j'aurais dû voir bien avant.
A vrai dire, il n'y avait pas que ma nudité qui était honteuse : ma tendance à avoir la tête un peu en l'air n'y était pas pour rien non plus.
Le Maître ne fit aucun commentaire. Pan avait raison. Il s'en fichait royalement, et qu'il ait détourné les yeux au moment de me signaler le souci ne changeait rien à cette idée.

- ...Je sais, je sais... mais je... Humpf ! Oubliez ce passage. C'est préférable. Pour tout le monde.

Surtout pour moi, en fait !
Je me tus pour invoquer l'énergie runique indispensable à la reconstruction de ma précieuse tenue. Cela demandait de la concentration et un peu de temps, oui. Heureusement que nous disposions des deux ! Je fermais les yeux afin de visualiser le plus sereinement possible le moindre petit détail, la moindre mesure de mon vêtement magique. J'avais gaffé une fois, il n'était pas question de renouveler une telle expérience aussi rapidement !
Ce n'est pas vraiment bon pour l'égo, voyez-vous ?

Le Maître, continuellement indifférent à mon cas, s'intéressa plutôt à celui de ses « invitées ». Tout ce qu'on pouvait lui balancer de bon (Je n'y crois pas trop) ou de mauvais (j'en doute beaucoup moins!) sur ses origines démoniaques ne soulevait pas la moindre vaguelette d'émotion en lui, à en croire l'expression austère qu'il arborait...
De ce que je pouvais en voir, ses yeux jaunes fixaient l'étrange rouleau que Pan venait de déplier.
Il ne mit pas très longtemps à formuler quelques hypothèses au sujet de cet objet potentiellement magique.

- Le futur... Vous en êtes toutes les deux issues si j'en crois tes paroles. Hmm... De toute ma vie, jamais je n'ai touché un objet de ce genre mais je suis convaincu d'une chose : il est l'origine même de cette explosion de magie que j'ai ressentie tout à l'heure. Que ton amie soit apparue ici, sur cette montagne et au même moment, n'est pas une coïncidence. Le parchemin en est la clé.

Ceruly était donc venue du future pour retrouver son amie ? Je me souvins en effet qu'elle avait répété le nom de Pan à maintes reprises. Ceci sans omettre l'état dans lequel elle s'était retrouvée quand on lui avait parlé de sa meilleure amie !
Par-dessus mon épaule, je coulai un regard au Maître, juste à temps pour le voir froncer les sourcils.
Quelque chose avait l'air de le déranger dans tout cette histoire...
D'un geste nonchalant, il reboucha la faille dimensionnelle qu'il avait ouverte pour nous rejoindre plus vite et reprit la conversation :

- Toujours est-il que sa signature magique est proche de celle de l'entité corrompue que nous avons affronté dans le temple. Peut-être s'est-elle servie d'un pouvoir similaire propre à son époque pour faire fonctionner le rouleau qui l'aurait ensuite fait apparaître sur ces terres ?
 Les sorts temporels mineurs ne me sont pas inconnus, mais ce n'est pas le cas de ceux qui permettent de tels voyages. Sans doute qu'ils réclament un lourd tribu afin d'être utilisé correctement... Plus un sort est puissant, plus longs sont les préparatifs nécessaires à son activation.

De mon côté, j'avais enfin fini de colmater les défauts de ma tenue. Entre-temps, l'usage du fameux Compartimentage de l'Esprit m'avait également permis de ne rien manquer de cette discussion fort instructive. Nous avions eu droit à un petit cours du Maître~
Dommage que le chagrin de Pan ne semblait pas l'affecter. Sans doute que sa transformation n'y était pas pour rien. Il m'avait dit autrefois qu'elle le rendait moins patient et guère plus empathique vis-à-vis de ceux qu'il affrontait. Il y a de cela trois ans, lors de mon ultime test, il aurait tout aussi bien pu me tuer que son humeur n'aurait pas énormément changé...
Une idée véritablement terrifiante !
Je m'approchai de Pan, d'abord dans l'espoir d'apaiser un peu son chagrin.

- L'important c'est que ton amie est parvenue jusqu'ici en un seul morceau. Je pense qu'elle n'aimerait pas te voir faire cette tête-là - même si c'est parfaitement compréhensible. Non ! M'est avis qu'elle compte beaucoup sur toi. Que tous ses espoirs reposent sur toi ! Sinon elle ne se serait pas autant énervée contre nous au point de refuser les soins et de faire trembler la montagne tout entière. Tu sais... c'est ton nom qui a quitté ses lèvres lorsque je l'ai trouvée mourante, et c'est aussi ton nom qui l'a poussée à se surpasser.

Je m'accordai une petite pause, le temps d'observer la fille à queue de singe dont le visage n'était plus aussi pâle qu'au début de notre laborieuse rencontre.

- Tant qu'elle ne se sera pas réveillée pour nous en dire plus, nous ne saurons pas si elle est venue ici afin de fuir son monde ou, au contraire, avec pour objectif de tenter de le sauver en requérant ton aide.

Je ne jugeais pas bon de m'étaler sur cette histoire de rouleau et de signature magique semblable à celle de Malvon. Il était tout à fait possible que cette intense propagation de magie ait excité mon ancêtre corrompu, et si le Maître n'en avait pas parlé je devinais à son regard qu'il pensait probablement la même chose que moi au sujet de toute cette histoire.
Je le remerciai intérieurement pour son tact quand soudain, le ciel se mit à s'agiter !
Le Maître leva les yeux en même temps que moi.

- On dirait bien que le Trompeur va jouer sa dernière carte.

Les nuages venaient de se rassembler, de se tordre dans le sens des aiguilles d'une montre, puis de se creuser en leur centre. Une sorte de vortex s'était ainsi formé. Des éclairs noirs le parcouraient. Ils se condensèrent en un point, comme guidés par une seule et même volonté, puis fondirent dans le gouffre céleste.
Une violente détonation, ponctuée par quelques coups de tonnerre, nous parvint aussitôt !
Je captais une présence profondément maléfique en provenance de l'abominable trou.

- Elle ne lui sera pas d'un grand secours. Depuis le début, il n'a fait que piocher la mauvaise.

J'avais raffermi mon regard en disant ça.
Une silhouette ténébreuse, dont seuls les yeux luisaient de mauve, descendait lentement sur terre. On ne pouvait pas différencier ses cheveux de la peau de son visage, car l'entité était d'un noir d'encre des pieds à la tête. Des étincelles sombres lui parcouraient le corps mais je devinais quand même les contours d'une toge à priori indissociable de sa personne.
Me sachant protégée par le Maître en cas d'attaque soudaine de la part de notre ennemi commun, je me tournai urgemment vers Pan :

- Si tu veux mettre Ceruly en lieu sûr, c'est le moment ou jamais ! Notre manipulateur d'adversaire n'hésitera pas à mettre toutes les chances de son côté. Utiliser ton amie pour réduire l'écart de puissance entre lui et nous, c'est bien le genre de stratagème qu'il serait prêt à employer. Je ne tiens pas à ce que cela se produise...

Je posai la main droite sur la garde de la Caladbolg avant de gratifier Pan d'un sourire confiant.

- Tu n'auras pas à t’inquiéter pour moi. Je réserve une petite surprise à mon lointain ancêtre. Pas sûre qu'elle soit à son goût~

Évidemment, je ne lui forçais pas la main. Mais combattre une entité aussi perfide en cherchant à protéger une personne inconsciente me semblait un poil trop optimiste, même pour moi !

Pan avait l'air sûre de sa décision et du bon déroulement des évènements à venir. A son humble avis, Malvon ne risquait pas de s'en prendre à son amie, et ce n'était pas seulement à cause de sa présence  - ni de celle du Maître. En se lançant dans un assaut général, les chances de victoire de mon ancêtre s'amenuiseraient. Il ne disposait plus de ses pions, et les efforts de ceux-là n'avaient pas été suffisants pour nous épuiser.
Cela avait même eu l'effet inverse : j'étais toute excitée à l'idée de continuer le combat, moi !
Et l'argumentation de Pan n'était pas pour me déplaire non plus. Elle ne voulait pas se lancer dans le second affrontement qui se profilait. Non : elle tenait à ce que je me débrouille toute seule, comme une grande. J'allais donc pouvoir - en usant du jargon de mon frangin - « oblitérer comme un timbre la gueule de mon lointain ancêtre ! ».
A moins que...
Je coulai un regard au Maître qui, en le remarquant, riva ses prunelles jaunes sur moi.
Les bras croisés sur sa poitrine, il ne manqua pas d'approuver la décision de Pan :

- La raison est de son côté alors fais ce qui doit être fait.

Puis il reporta son regard sur la cause de tous nos soucis.
Bien déterminée à m'opposer à ce fléau auquel j'étais liée, je hochai la tête en frappant des poings.

- Très bien ! Je m'en vais de ce pas lui mettre la pâtée~

Sans me perdre davantage en conjectures, je m'envolai à la rencontre de notre si détestable entité.
J'atterris en face de Malvon au moment où il mit le pied à terre.
De son corps émanait une froide énergie. Si intense que j'aurais pu perdre contenance trois années plus tôt. Ce n'était pas prêt de m'arriver aujourd'hui à moins d'une très, très mauvaise surprise.
Je souris à mon adversaire, qui ne partageait manifestement par mon humeur joviale.
Sa voix était... sépulcrale !

- Qu'est-ce qui te fait tant rire ?... Ta mort imminente ? hasarda-t-il, se voulant provocateur. Avec elle viendra ma liberté et le début de mon Apogée.

Il ferma son poing droit, des étincelles de ténèbres dansant autour de celui-ci.

- Passionnant, éludai-je avant de rédiriger la conversation selon mon sens : Le Maître m'a dit que c'est l'ivresse du pouvoir qui vous a rendu aussi mauvais.

Son regard se durcit aussitôt, arborant ainsi une expression des plus sévère.
Ne viendrais-je pas de toucher un point sensible ?

- Sottises ! Bien et mal sont des notions éculées. Seuls les benêts y prêtent attention.

Ses yeux maléfiques scrutèrent quelque chose au loin derrière-moi - sûrement le Maître, étant donné le venin qu'ils contenaient.

- Ce démon est stupide. Il ne s'en est probablement pas rendu compte mais le fait de renoncer à assouvir ses pulsions bride ses capacités. En s'attachant à autrui, on s'impose des barrières, des entraves. Moi, je suis parvenu à briser mes chaînes, à détruire cette faiblesse qui érode le cœur des hommes !

Il secoua la tête, l'air profondément écœuré par tout ça.

- L'idée qu'un démon ait accepté d'élever une sang-mêlée à son niveau me révulse. La logique aurait voulu que ce monstre t'écrase comme un insecte ! Il est, en définitive, la honte des siens, s'insurgea-t-il.

Il avait maintenant les deux poings chargés d'électricité.
Son temps de parole lui avait permis d'accumuler pas mal d'énergie...
Mais il ignorait que cela m'était tout autant bénéfique !

- Quant à vous, vous êtes la honte du genre humain. Et de notre famille ? C'est pire encore ! Vous n'êtes qu'un ramassis de pensées négatives qui a cessé de voir la splendeur d'une matinée ensoleillée. Vous n'êtes rien de plus qu'un torrent de magie corrompue qui se croit maître de ses pouvoirs, alors qu'en fait il n'est rien de plus qu'un furoncle qui n'obéit plus qu'à une seule chose : sa propre croissance au détriment de la surface sur laquelle il pousse.

Je le sentis s'embraser ! Il leva aussitôt les mains et deux éclairs en jaillirent.
Je les évitais après avoir posé deux doigts sur mon front. Malvon n'était peut-être plus fait de chair, de sang et d'os, mais de lui émanait un esprit, une présence qu'on ne pouvait pas louper. Le Shunkan Ido me permit d'apparaître dans son dos tandis que la foudre qu'il m'avait balancée s'était perdue à l'endroit où je m'étais tenue l'instant d'avant.

- Comment ?!

- Surprise !~

Je fis détonner mon Ki à bout portant, si bien que l'impact me força à reculer.
Je n'avais pas besoin d'attendre que la poussière soulevée par mon attaque se volatilise pour savoir qu'il s'en était bien sorti. Une sorte de barrière sphérique à la consistance huileuse lui avait servi de protection.
Un point pour lui !
Son temps de réaction était vraiment phénoménal.
Le dernier sort qu'il venait de produire réintégra la paume de sa main tendue dans un abominable bruit de succion.

- Diablement habile pour un relent toxique, m'amusai-je. Mais ce n'est rien à côté de ce qui vous attend...

Il pencha légèrement la tête de côté et je reconnus là un petit réflexe de chez nous. Mère aussi avait ce tic quand elle cherchait à m'interroger du regard.
Malvon n'était pas né de la dernière pluie.
D'un geste de la tête, il m'indiqua Pan et le Maître.

- C'est à eux que tu fais référence ? Si tel est le cas, tu aurais dû quémander leur aide plus tôt au lieu de venir me défier en duel.

La lumière malsaine irradia dans ses yeux, et de ses doigts écartés quelque chose de visqueux et de noir se mit à goutter, d'abord lentement puis de plus en plus vite !
La tête légèrement penchée de côté, j'eus le même tic d'incompréhension que lui à la vue de ce liquide étrange.

- Oh, non ! rétorquai-je, amusée par sa logique défaillante. Pas du tout. Je tiens absolument à vous punir par mes propres moyens. Vous savez... à leurs yeux, dis-je en pointant du doigt Pan et le Maître, vous n'êtes rien de plus qu'un obstacle que je dois surmonter. Mais je trouve que c'est encore beaucoup trop élogieux vous concernant.

- Suffit ! Je vais te faire ravaler ton fiel ! hurla Malvon.

Il agita les doigts en commençant à léviter. Sous ses pieds, une flaque avait commencé à se former. Sa surface se mit à bouillonner, puis du relief commença à s'y élever. On aurait dit la tête d'une créature enfoncée dans le sol jusqu'au cou.
Je traçai une Rune dans l'air avant d'écarter les bras de façon théâtrale.

- Et vous prenez tout votre temps, surtout !

L'espèce de Slime qu'il venait d'invoquer gonfla les joues et me cracha dessus à répétition à la manière d'une mitrailleuse dressée sur un trépied.
J'activai mon symbole magique - Berkano - pour essuyer les tirs. Et je ne m'étais pas trompée : il s'agissait de projectiles extrêmement corrosifs. Fidèle aux propriétés purificatrices de sa Rune, la barrière de mouse mauve que je venais tout juste de créer pour leur faire obstacle tint bon.
Elle serait tout aussi parfaite pour faire la vaisselle !
Sentant que l'assaut avait pris fin, je coulai un regard par-dessus ma protection runique pour avoir un visuel de ce qui m'attendait.
Malvon avait de la foudre noire dans les mains.
...Ma grosse éponge n'était pas faite pour résister au crash d'un éclair !
Je m'en départis d'un geste de la main et démarrai alors un sprint.
Le Slime, qui avait de nouveau les joues gonflées, me canarda de nouveau. Cette chose faisait office de tourelle défensive, car elle suivait mes mouvements en cherchant par la même occasion à me trouer la peau. Très pratique pour attirer l'attention de l'ennemi alors que le véritable danger était ailleurs.
Mon regard accrocha celui de Malvon.

- Ferme-la à tout jamais et meeeeeeeeeeeeurs !!!

Il était très remonté, le bougre !
Des éclairs ramifiés me foncèrent dessus. Ils étaient gros. Très gros !
Pendant ma course, les symboles cabalistiques apparurent à la surface de ma peau. J'avais enclenché le Cœur de Glace (Transformation Sang Froid) pour gagner en vitesse et éviter ce qui allait suivre. Malheureusement, l'explosion fut plus intense que prévu car malgré le fait qu'elle eut lieu à trois pas de distance de ma position son souffle me projeta en avant !
Je me gamelais de façon magistrale avant de parvenir à me rattraper sur un genou au bout de trois roulades. Dans mon sillage, le fourreau de mon épée avait tracé une balafre en pointillés sur le sol.

- Ouch !... Mais c'est raté~ Blblblbl ! le narguai-je, les pouces collés aux tempes et la langue tirée.

- Sale peste ! rugit-il.

Il s'éleva davantage dans les airs et concentra de la foudre dans la paume de ses mains.
Pendant ce temps, je balançai un Satteles sur son Slime. L'explosion résultante anéantit la créature et provoqua une petite onde de choc, toutefois assez puissante pour bousculer Malvon qui se trouvait juste au-dessus. Cela le dérangea un peu et m'accorda suffisamment de temps pour travailler mes deux Runes !
Ferhu et son Inversée revirent rapidement le jour, tracées à même le dos de mes poings. Aussitôt, les symboles cabalistiques issus du Cœur de Glace adoptèrent une teinte flamboyante.
J'étais ainsi redevenue l'ardente pugiliste de tout à l'heure.

- La récréation est terminée, vilain !

Je fléchis sur mes jambes, provoquant le bouillonnement du sol sous mes bottes, puis chargeai mon adversaire comme une fusée !
Conscient du danger, Malvon, au lieu de lancer sa foudre maléfique, croisa brutalement les bras devant lui pour se fabriquer un mur du même type. Voyant cela, j'intensifiai mon Feu Primordial au point de m'en entourer complètement !
 J'avais l'air d'une boule de feu au moment de passer outre la protection magique du Trompeur et de le percuter du poing.
Il fut projeté dans les airs comme une toupie avant de parvenir à se stabiliser.
Un trou aux bordures rougeoyantes et gros comme mon poing s'était formé à la place de son plexus.

- Urgh !... Sale petite chienne !

La rage le gagna d'autant plus, car il contracta tous ses « muscles » en dégageant une terrible aura ! Brume et foudre sombres suintaient à la surface de son imitation de corps humain.

- Tu crois m'avoir blessé, moi ?!

Il appliqua la paume de sa main gauche à l'endroit où je croyais effectivement l'avoir meurtri et quand il la retira, le trou avait disparu, remplacé par la noirceur des ténèbres qui le constituait.
Ah, ben tiens ! Je n'avais vraiment pas à faire à n'importe quel monstre, décidément...

- Mais c'est à hurler de rire !

- Hmm...  Nan. Là, pour le coup, je n'ai plus très envie de rigoler, répondis-je avec les lèvres de travers.

Son humeur bascula subitement, passant de la rage au mépris affiché.

- Vraiment ? Tu devrais en profiter pourtant... car le temps qu'il te reste à vivre se compte en secondes. HA !

La brume noirâtre moula ses poings et de petits éclairs se dessinèrent à sa laborieuse surface.
De toute évidence, il avait l'intention de me molester à coups de gantelets magiques.
L'idée me fit sourire.

- Tiens donc ? Vous savez faire autre chose que balancer des éclairs à outrance et pondre d'abominables séides du mal ? C'est franchement étonnant venant de vous !

- Je vais te corriger, insolente !

Ce fut à son tour de me foncer dessus, et ce fut bien entendu à mon tour de le réceptionner comme je le devais~
Son poing droit fila à quelques centimètres de mon visage, suivi par son poing gauche en direction de l'autre joue. Je répondis par un crochet qu'il évita en se baissant. Je dus reculer pour éviter son uppercut, puis pour enchainer sur un coup de genou accompagné de flammes primordiales ! Il bloqua ce coup avec ses deux mains en commettant l'erreur de baisser les yeux dessus. Je saisis cette opportunité pour ramener ma jambe en arrière et m'octroyer un nouvel élan, qui me permit de lui administrer une belle droite !
Le coup lui déforma le visage, puis les flammes résultantes se mirent à le lui ronger. Il dut porter vivement une main à son faciès afin d'éviter à mon feu de se répandre. Je ne savais pas encore comment il s'y prenait exactement mais je ne voulais absolument pas le laisser faire : je le mitraillai donc de coups de poings !
Malvon chancela et grogna, mais je ne lui accordai aucun répit.
Mes coups n'étant cependant pas assez appuyés pour le blesser plus que ça, je choisis de lui décocher un nouveau coup de genou en pleine mâchoire ! Ne s'y étant pas attendu, il se le prit de plein fouet et décolla dans les cieux pour la seconde fois.
Je ramenai une main en arrière tandis qu'il essayait encore de se remettre de notre petit duel au corps à corps. Des symboles rouges apparaissaient autour de mon point fermé tandis qu'une lueur mauve irradiait entre mes doigts.

- Alors ? Je suis à combien de secondes de sursis, monsieur le Pourvoyeur de la Mort ? lui hurlai-je, un méchant sourire aux lèvres. Voilà un cadeau pour votre « prédiction » : Exilium !

J'ouvris le poing après l'avoir balancé dans sa direction. Le rayon propre à ma technique déchira l'espace qui nous séparait, aiguillé au millimètre près par les symboles cabalistiques qui le longeaient. En bonne commandante, je lui fis dessiner une vrille, et cette même-vrille explosa après avoir percuté Malvon !
J'eus droit à un joli feu d'artifices coloré de pourpre et de rouge éclatant.
...Mais la présence de mon ennemi se faisait encore ressentir dans toute cette fumée.
A en croire cela, je n'en avais malheureusement pas terminé avec lui.
Je me remis en garde, parée au prochain contact, le Feu Primordial enveloppant toujours mes membres ignifugés par la Rune-Inversée.

- M'est avis que vous avez perdu le compte.

La fumée se dissipa, dévoilant un Malvon en voie de reconstruction. Il ne lui manquait qu'un bras et quelques morceaux d'un visage aux traits tirés par une colère sourde. Dans son dos dépassait une sorte de cordon noirâtre, à peine visible, qui semblait relié à cette espèce de vortex dont il était sorti.
Je devinai toutefois que l'épuisement le gagnait : ses épaules tressaillaient légèrement. Un détail à peine perceptible mais qui trahissait son état... ou devrais-je plutôt dire celui de son pantin.
Le vrai Malvon, cet infâme marionnettiste, travaillait en coulisses. Autrement dit : dans le temple, à derrière le sceau auquel j'étais liée.

- Je n'ai jamais éprouvé de plaisir en abimant les poupées d'autrui, vous savez ?
Je me demande... qu'est-ce que vous ressentez au travers de vos créations quand elles combattent à votre place ?

- ...Où veux-tu en venir, vipère ? s'enquit-il d'une voix où perçait la haine.

- Vous ne ressentez plus ni amusement ni joie, continuai-je de façon purement rhétorique, ce qui avait le don de l'agacer. En somme, vous n'êtes rien d'autre qu'un charognard qui se nourrit des émanations sentimentales néfastes de l'âme humaine. Cette puissance n'est pas la vôtre. Vous, vous vous ne faites que recycler. Votre personnalité est morte le jour où vous avez noyé votre âme dans cette immonde mélasse !

La tête basse, il se mit à rire doucement. Puis de plus en plus fort, ses épaules tressautant au rythme de son hilarité. La moquerie pointait déjà le bout de son horrible nez au travers de ce vilain rictus.

- Cette langue insupportable, souffla-t-il... avant de river brutalement ses yeux maléfiques sur moi. Je vais te l'arracher sur-le-champ !

Son corps ayant eu le temps de se reconstituer, Malvon fondit sur moi, ses poings chargés en énergie néfaste !
Nous reprîmes le combat dans un concert de percussions et de détonations magiques.


Sans piper mot, les bras croisés sur le devant de sa toge, le Maître, les yeux levés vers le ciel, observait le combat d'un air impassible. Comme à son habitude, il ne laissait rien transparaître. Son visage était de marbre, son expression toujours aussi sérieuse. L'humour et lui, ça faisait deux.
A vrai dire, il analysait sa disciple en train de combattre ce mal ancestral tapi au fond d'un temple dont il avait la charge. Le silence ne le dérangeait pas - même s'il était ponctué par les lointaines impacts des coups que s'échangeaient les combattants - mais il finit malgré tout par prendre la parole, d'une voix toujours aussi grave et caverneuse.
D'une voix qui respirait l'âge et la sagesse.

- Hilaris est joueuse - souvent un peu trop pour son propre bien - mais elle sait ce qu'elle fait. Les informations que je lui ai dites ne sont pas tombées dans l'oreille d'une source, visiblement. Les réserves d'énergie de Malvon sont limitées, et elle compte justement exploiter cette faiblesse...

Il fronça ses sourcils blancs, ce qui lui donnait l'air soucieux malgré son apparence de démon.

- Néanmoins les siennes le sont aussi, et son corps n'est pas aussi résistant que celui de son adversaire. C'est la raison pour laquelle je lui ai demandé de ne pas gaspiller son énergie face aux élémentaires, tout à l'heure. Le Feu Primordial auquel elle recourt lui confère sa puissance et sa protection, mais il n'a pas été créé pour ça. Malgré tous les usages qu'on peut en faire, c'est dans l'attaque pure que Ferhu réveille tout son potentiel. Si elle continue sur cette voie sans recourir à l'Expiration, Hilaris brûlera ses réserves sans pouvoir les ramener à la normale par le biais de l'Inspiration. C'est une course contre la montre qui s'annonce, car la Rune inversée de Ferhu ne lui sera pas d'une grande aide pour très longtemps...

Il ferma les yeux un instant, sondant plus facilement les réserves de chaque protagoniste, avant de reprendre sur le même ton :

- Pour l'heure, les ressources de Malvon s'assèchent plus vite que celles de sa lointaine Héritière. Elles dépendent en grande partie des peines et de la rage que ton amie a libérées en ces lieux, expliqua-t-il à Pan en baissant les yeux sur Ceruly. C'est l'une des raisons pour laquelle je rebute à recevoir du monde sur ces terres. Les exceptions ne sont guère nombreuses, et le sang n'a pas si grande importance dans cette histoire. Pour Hilaris, qu'elle soit de lignée démoniaque ou non, c'est son optimisme naturel qui fait la différence. Inconsciemment, elle est parfaitement incapable de donner du pouvoir à Malvon.

Puis il se tut et continua d'observer la bataille.

Arenthor hocha la tête de façon brève après que sa locutrice en eut terminé avec l'énonciation de son propre point de vue. Le fait que Pan ait rétorqué qu'il avait tort ne le contrariait guère. Dans son analyse, beaucoup de choses ne pouvaient pas être discutées tandis que d'autres pouvaient tout aussi bien l'être, malheureusement. Si l'optimisme de son élève représentait une défense efficace contre les pouvoirs occultes de Malvon liés en grande partie aux émotions négatives, cette qualité n'en demeurait pas moins une arme à double-tranchant ! En baissant sa garde, la magicienne encaisserait de lourds dégâts. Et si jamais cela venait à se produire à la toute fin du combat, alors ce serait forcément dramatique...
Tandis que le Démon stoïque avait les yeux rivés au ciel, le vacarme de ce duel lui parvenait en échos.


Les frappes de Malvon étaient foudroyantes - dans les deux sens du terme - mais je ne pouvais que me féliciter de ne pas en avoir fait les frais. J'avais certes dû bloquer quelques-uns de ses coups à défaut de pouvoir les esquiver tous au cours de cet échange, malgré tout mes bras et mes jambes tenaient toujours bon !
L'association des Runes Ferhu et son opposée avec le Cœur de Glace minimisait les chocs, sans être trop énergivore. En fait, je m'arrangeais secrètement pour qu'ils ne le soient pas. Il en allait autant de ma survie que de ma victoire, après tout !
Je me décalai sur le côté pour esquiver un coup de poing avant de gratifier mon adversaire d'un violent contre en travers du ventre. Malvon eut les yeux exorbités au moment de l'encaisser ! Son corps se tendit, comme sur le point de se plier en deux.
Après avoir ramené mon poing, je me glissai prestement dans son dos pour y loger mon coude.

- Avale-moi ça ! Yiiiaaaah !

Je renouvelai cette torture à quatre reprises mais en frappant d'autres parties du corps.
D'un œil extérieur, Malvon ressemblait certainement à la bille d'un flipper, projeté de part et d'autre par des bumpers dont je jouais parfaitement le rôle.
Je ne pouvais pas me permettre de le laisser souffler ! Lui accorder un peu de liberté pourrait me porter de gros préjudices. Et pour éviter de m'épuiser bêtement, il me suffisait de caler ma respiration sur mes propres mouvements.
Mais Malvon ne l'entendait pas de cette oreille, bien évidemment. L'un de mes coups le projeta plus loin que prévu et je n'eus pas l'occasion de le contourner pour frapper encore. Le Trompeur s'était servi de la force de ma frappe pour gagner de la distance. Et quand je l'eus enfin rejoint il avait déjà initié sa parade : son poing chargé de brume maléfique s'allongea comme celui de feu ses élémentaires.
Je n'avais pas vraiment le temps de m'arrêter, partie à toute vitesse comme je l'étais.
En revanche, croiser les bras ne m'était chronologiquement pas impossible, chose que je fis sans traînasser !

- Accepte ton destin et disparais ! me lança-t-il, son visage sombre encore meurtri par mon dernier enchainement.

Oh ! j'allais exaucer son souhait, mais pas dans le sens où il l'entendait.
Mon Feu Primordial fit barrage à sa brume électrifiée, mais la force du coup à elle-seule suffit à me propulser en arrière, en plus d'avoir démoli ma garde.

- Kkh !

A deux doigts de me crasher en beauté, je portai la main à mon front et invoquai le Shunkan Ido !
Je réapparus dans le dos de Malvon qui, comme au début du combat, réagit au quart de tour.
Il s'y était attendu, le bougre...

- Pauvre imbécile ! se moqua-t-il en dévoilant des rangées de dents aussi noires qu'effilées.

Il voulut me faucher d'un revers de poing gonflé par son insupportable brume !
Je disparus de nouveau mais, pour cette fois-là, en faisant simplement exploser ma vitesse au tout dernier instant. Me glisser sous son bras et riposter d'un coup de pied ne fut qu'un avant-goût de ce qui l'attendait !
Ce fut donc à son tour de décoller en direction du sol.
Je le poursuivis avec la ferme intention de le rosser dûment !
En pleine chute, il se tordit tout de même le cou pour m'avoir en visuel.

- Nuaaah !

Il serra les mâchoires et projeta brutalement ses mains en direction du sol. Des éclairs noirs s'en échappèrent et permirent à leur invocateur une certain regain d'altitude. La foudre continua de frapper malgré le fait que Malvon s'en était tiré à bon compte.
Manque de bol pour moi, j'avais freiné juste assez fort pour me retrouver pile sous cette douche électrisante !
Le sol se fendit autour de moi alors que je recourus d'urgence à mon Praesidium sous forme de parapluie. La protection pourpre céda au bout du troisième éclair. Le quatrième me frappa de plein fouet et je me mordis la langue, secouée de la tête au pied par l’électricité qui me parcourait.

- Ouaaaah-gah-gah-gaïeuh !

Je parvins malgré tout à déraper un peu plus loin, là où la terre ne risquait pas de s'affaisser davantage. L'un de mes genoux céda et je dus prendre un peu de temps pour souffler.
De toute évidence, les attaques magiques de mon ancêtre étaient supérieures aux miennes.
Je levai les yeux pour me rendre compte qu'il s'était débarrassé de toutes les vilaines blessures que je lui avais infligées, alors que de ma tenue en Tisse-Rune s'échappaient des volutes noirâtres.
Infâme tricheur !
Il me toisait de haut, maintenant. Mais son mépris finit par laisser place à de la curiosité. Quelque chose semblait le perturber dans ma manière de l'affronter...

- Jeune sotte, dit-il. Pourquoi ne dégaines-tu pas ton arme ? Ta force de frappe est ridicule, même en y associant Ferhu. Qu'est-ce que tu t'imagines pouvoir faire dans ces conditions ?

Je secouai la tête, puis je levai un index en me fendant d'un sourire qui se voulait courtois.

- Une seule question à la fois, s'il vous plait ! C'est que ce coup de foudre m'a mis les idées en vrac.

Renfrogné, il me balança un éclair que j'évitai.

- Parce que vous vous en pensez digne ? repris-je.

- Comment ?!

- Vous m'avez très bien comprise.

- Petite teigne !

Trois autres éclairs, qui arrachèrent des pans rocailleux du sol tout autour de ma position alors que je les avais tous esquivés.

- Vos marionnettes d'élémentaires méritent bien plus de respect que vous, crapule !

Je traçai une Rune dans les airs avant qu'il ne puisse continuer à me bombarder d'éclairs.
Le B de « Berkano » illumina la zone, produisant dans le vide un cercle de magie mauve fluorescent. Des ronces le transpercèrent comme un portail et fondirent sur mon redoutable assaillant. Il voulut reculer les mains mais n'y parvint pas à temps. J'avais entortillé mes liens tranchants autour de ses poignets ténébreux.
Lui qui grimaçait dès lors se mit subitement à sourire.

- Risible ! Mais puisque tu as l'air d'y tenir, je m'en vais te foudroyer sur place.

Je savais ce qu'il comptait faire. Je m'étais déjà faite à l'idée que sa foudre noire, qui ne disposait pas des mêmes propriétés physiques que la standard, pouvait circuler à travers les éléments non-conducteurs. Le fait que ma tenue en Tisse-Rune n'était pas parvenue à m'en préserver totalement me l'avait enseigné.
L'expérience douloureuses est un bon maître.
Malvon avait les mains prises et l'esprit occupé à faire appel à sa foudre diabolique, tandis que moi j'avais déjà la main tendue vers lui. Je pus lui tirer un Satelles enflammé juste après avoir exécuté un petit mouvement de traction sur mes longues ronces.
Ce fut plus subit qu'il ne le pensait, car l'explosion le percuta en pleine poitrine !
Aidée par l'impulsion de Ferhu et la semelle de mes bottes affectée par les flammes, j'abandonnai ma prise éphémère pour récompenser mon ennemi d'un coup de pied sauté derrière la tête, juste au-dessus de la nuque.
Cet assaut-là il ne l'avait pas vu venir puisqu’il termina sa chute avec fracas, déchirant le sol dans son sillage tout en y rebondissant à trois reprises.
Puis il s'affala dans les décombres, allongée de sorte à ce qu'on ne puisse pas voir son visage.

- C'est ce qui s'appelle tomber avec panache ! exultai-je.

Le filin relié au dos de la carcasse de Malvon depuis les cieux éventrés m'était parfaitement visible, et j'aurais très bien pu le couper net. Mais cela n'aurait pas mis un terme à cette histoire. La copie surréaliste de Malvon ici présente aurait cessé d'être alimentée et après ?
Un autre se serait sans doute ramené en ces lieux pour réclamer une revanche, quitte à m'emporter avec lui une fois sa réserve d'énergie liquidée.
Je n'avais aucune intention de reproduire cette bataille, ni même de faire en sorte qu'elle s'éternise.
Le contrecoup d'un usage aussi intensif du Cœur de Glace associé à la Rune du Feu Primordial n'allait pas tarder à me brûler les miches.
Je ne pouvais plus me permettre de jouer la montre.
Il était plus que temps d'en finir !

- Vous n'étiez pas à votre maximum, Malvon. Votre invasion d'avant-combat vous aura diminué. Bien plus que moi, sans doute. Grossière erreur.

L'intéressé commençait tout juste à se dresser sur les genoux. Je devinais sa frustration car même à cette distance, elle était presque palpable.

- Maudite... Grr... Tu ne... peux pas me TUER !

Je secouai la tête.

- C'est bien vrai. J'en suis encore incapable. Mais cela ne m'empêchera pas de vous sceller, bien au contraire~

Je traçai une nouvelle Rune dans l'air, avant de lui demander en toute candeur :

- Est-ce que vous êtes prêt ?

- Non... Tu... ne peux pas...

- J'ai rien entendu du tout !~

- NOOON !

En désespoir de cause, il leva les mains au-dessus de sa tête pour invoquer tout le pouvoir qui lui restait ! Le sol se mit à trembler quand la brume, sous forme de tourbillon, descendit juste au-dessus de sa tête.

- C'est ce que je voulais entendre.

D'un geste vif, je saisis la Rune sans pour autant les activer. Enfermée dans le creux de ma main, elle ne risquait rien.
Puis je recourus, pour la toute dernière fois de ce combat, au Shunkan Ido.
Malvon m'avait encore détecté, mais comme il avait les bras en l'air et qu'il était un peu occupé à contrôler la gigantesque masse de magie dont il comptait faire usage...

- A la revoyure!~

Mon « attaque » ne fut pas bien méchante : j'activai ma Rune en ouvrant la main en grand. C'était Berkano, de laquelle jaillit une autre ronce en forme de ressort. Quand il se détendit, Malvon fut expédié vers les hauteurs, dans l'alignement du vortex dont il puisait l'énergie mystique.
Je dégainai ma lame à cet instant précis. Quand elle quitta son fourreau, elle crépitait de magie. Un pouvoir latent, économisé sur le long terme, qui alimenta l'assaut que j'énonçai sur-le-champ :

- Expiration !

D'un bout de ma lame, la déflagration de Ferhu surgit dans un grondement de fin du monde, allant jusqu'à débarrasser les symboles qui me recouvraient de leur teinte écarlate ! Le Feu Primordial atteignit Malvon et le happa avant de s'en prendre au vortex lui-même. En un instant, le ciel ne fut plus que flammes.
J'étais à la limite de l'exténuation suite à cette effroyable déferlante d'énergie.

- Bien... Inspiration !

Je tendis mon épée en en appelant à toute ma volonté !
Ferhu-Inversée fonctionnait toujours et son pouvoir me permit de rapatrier le Feu Primordial ainsi que tout ce qu'il venait de ronger, Malvon et ses horreurs compris. Mais je ne pouvais pas me permettre d'emmagasiner tout ça. Pas dans mon propre corps, en tout cas ! La corruption de Malvon aurait raison de moi et ce serait lui qui l'aurait emporté. Ma lame pouvait en contenir une partie mais, là encore, elle risquait de se briser sous le coup d'une surcharge en énergie.
Alors j'usai d'une autre fonctionnalité de ma Rune, à savoir l'art de façonner l'énergie en matière. Le processus me demanda du temps, car il y avait matière à exploiter avec tout ce que je venais de consumer. Mais je parvins finalement à produire une statue à l'effigie d'un Malvon hurlant de désespoir - elle mesurait près de deux fois ma taille !
L'objet imposant prit forme dans le ciel et s'écrasa par terre au moment où je n'en pouvais plus de garder mon épée et ma main levées. Le souffle me fit basculer en arrière et je m'effondrai sur les fesses, laissant aussi choir mon arme qui tinta au contact du sol.
Mes tatouages occultes dus à l'usage du Cœur de Glace s'étaient complètement évaporés.

- Ouille...

Je me passai une main sur le front en contemplant mon œuvre.
Ce n'était pas si moche, à bien y regarder !
Le symbole de Ferhu-Inversée était imprimé au milieu du front de la réplique solide de mon ancêtre. L'idée de faire quelques selfies à côté de cette œuvre d'art me chatouillait la conscience...
Puis je remarquai que sur la garde de ma lame la Rune était également présente.
J'étais ainsi parvenue à scinder et sceller les pouvoirs du maléfique Malvon dans deux artefacts distincts.

Psychiquement, j'étais vidée. Je n'entrepris donc pas de me redresser tout de suite. Au lieu de ça, assise les avants-bras reposés sur les genoux, je détaillai du regard la statue nouvelle aux côtés de ma précieuse lame.
Pan ne tarda pas à venir à ma rencontre, tout comme le Maître qui avait renoncé à sa peau mauve pour adopter une apparence bien plus humaine. Le fait qu'il ait mis fin à sa transformation démoniaque signifiait que le combat était bel et bien terminé. Car oui : avec le Trompeur comme adversaire, j'étais encore sur mes gardes - même si ma position actuelle laissait paraître tout le contraire.
A sa manière, ma compagne me félicita non sans souligner mon "manque de finesse".
Je ne pus m'empêcher de sourire en coin suite à cette réplique.

- De la finesse ? répétai-je. Ce n'est pas faux, dis-je en levant les yeux sur un ciel pluvieux et grondant.

Comme pour recueillir quelques gouttes, je tendis une main ouverte devant moi.
C'était toutefois assez ironique venant de ma chère guerrière, elle qui pas plus tard qu'hier était prête à faire sauter la montagne et le temple qui l'abritait dans l'espoir d'endiguer le fléau que j'avais combattu...
Je ne voyais pas l'utilité d'en venir à cette histoire alors je m'en abstins.
Un coup d’œil en direction du Maître me permit de me faire une idée de ce qui semblait le préoccuper. Il observait mon œuvre sans piper mot.
Profitant de ce petit blanc sonore ponctué par le clapotis des gouttes sur notre bonne vieille terre - écorchée, balafrée, pas mal retournée... oui, je sais, merci! - je me fis un plaisir de le taquiner :

- J'ai bien essayé de m'appliquer mais il s'est avéré que ma base n'était vraiment pas de premier choix.

En faisant référence à mon ancêtre, bien sûr.
Le Maître n'en avait cure, apparemment, car il continua son analyse silencieuse comme si de rien était.
Bah ! j'ai l'habitude qu'on me snobe donc je partageais son indifférence à ce sujet.
Je revins sur mon interlocutrice, porteuse de bons conseils, sans me départir de ce qui fait la définition même de mon nom : mon éternel sourire.

- Et je te rejoins sur ce point. C'est aussi pour éviter une catastrophe de cette envergure que j'ai frappé en ancrant mes pieds au sol. Je m'y étais attendu, car la première fois que j'ai recouru à l'usage de l'Expiration fut une grande surprise !

Un grand pouvoir impose de grandes responsabilités, certes, mais il implique aussi qu'il faille faire montre d'une prudence tout aussi grande. Je n'ignorais pas cette leçon puisque détruire la planète signifierait me détruire moi-même ainsi que tous les miens...
Pan reprit la conversation, m'aiguillant sur de potentiels enseignants ou sources de sagesse susceptibles d'attirer mon attention.
Aussitôt prononcé, un mot en particulier éveilla mon insatiable curiosité :

- Une Bibliothèque ? Dans une tour ? Pour sûr que je risque d'y passer des semaines !~

Et de possiblement sauter quelques repas, absorbée comme je le serais dans mes innombrables lectures. Quelques provisions ne seraient pas vraiment pas de trop.
Entre-temps, la pluie s'était mise à tomber pour de bon. Je trouvai cela rafraîchissant étant donné que j'avais passé une bonne partie de mon combat drapée d'une mince pellicule de flammes. Sans Ferhu-Inversée, ma peau ne s'en serait probablement pas si bien tirée.
Pan, pour qui les pensées étaient tournées vers le bien-être de Ceruly, nous annonça son imminent départ. Elle ne manqua pas de me proposer de la rejoindre sur Zélod III quand son amie aura repris connaissance. Auquel cas son Ki me servirait de signal.
J'approuvai d'un franc hochement de tête.

- Ce n'est pas de refus. J'aimerais beaucoup m'entretenir avec elle quand viendra l'heure. Je garderai mes sens à l'affût.

L'instant d'après, je me retrouvais donc seule avec le Maître. Au bout d'un petit moment, il finit par se tourner vers moi. Ses prunelles étaient redevenus noires comme la nuit. Libérer une bonne partie de son pouvoir lui avait sans doute fait bien plus de bien qu'il ne le laissait paraître. Les paroles de Malvon me revinrent aussitôt à l'esprit : "Il ne s'en est probablement pas rendu compte mais le fait de renoncer à assouvir ses pulsions bride ses capacités."
Je me demandai vaguement si c'était réellement le cas...
Le Maître, une main posée sur la grande statue, me coupa dans ma réflexion :

- Aujourd'hui, tu auras su remplir tes objectifs et plus encore. Inverser un Rune pour en tirer un effet contraire est osé mais efficace, ça je suis bien forcé de l'admettre.

Je penchai légèrement la tête de côté.
"Mais"... ?
Son regard bascula sur l'épée.
A mon insu, son apparence avait changé. Sa garde n'était plus seulement ornée de cornes courbées, et le pentagramme en son centre s'était vu remplacé par le symbole propre à ma Rune Inversée - ce dernier détail, je l'avais déjà vu, oui. Un visage endormi avait émergé du métal. On y décelait un nez, des pommettes, des yeux clos et des arcades sourcilières.
Ce faciès m'était étrangement familier...
En comprenant à qui il appartenait, je m'entendis déglutir.

- Mais tu te fourvoies si, avec elle-seule, tu t'imagines pouvoir contenir un être aussi maléfique et puissant que ton ancêtre.

Aïe. Plus que l'humidité, ça sentait aussi le sermon dans l'air !
Du plat de sa main, il frôla la matière sombre de la statue pour en sonder la structure.
Alors, verdict ?

- Je ne lui donne pas plus de quatre jours avant que son prisonnier ne la brise en mille morceaux. Ton Art reste à peaufiner, Hilaris, mais je tiens à te féliciter pour avoir vaincu ton ennemi. Il t'était super en puissance magique ; tu as su faire la différence avec ta technique.

Je crus voir l'ombre d'un sombre se dessiner à la commissure de ses lèvres.
C'était si soudain et inattendu de sa part que je sentis mon cœur louper un battement !
Whoow ! Quelle journée forte en émotions~

- J'ai un bon Maître, répondis-je avec fierté. Mais il le sera beaucoup moins s'il me demande d'affronter une nouvelle fois ce qui reste de mon ancêtre dans les quatre jours à venir. Je sais que je n'ai affronté que son ombre aujourd'hui, tout comme j'ai conscience de mes nombreuses lacunes.
La prochaine fois, le Trompeur saura me tromper.

- Rassure-toi, me dit-il en ramassant la Caladbolg pour mieux l'examiner. Je vais consacrer le jour suivant au renforcement des sceaux.

Quand ses yeux se posèrent sur la figure imprimée à même la garde de mon épée, il fronça ses sourcils blancs et son front se rida d'autant plus.

- On dirait bien que tu viens de maudire ta propre lame.

Il passa un pouce sur son tranchant et, toujours sans émotion aucune, déclara :

- Elle est fendue. Dans ces conditions, je ne lui donne pas plus de deux jours avant qu'elle ne se rompe et libère son pensionnaire. Tu vas donc devoir t'en passer jusqu'à ce que je la remette en état.

Ah, non ! En gros, il allait me confisquer mon jouet ! Ma précieuse Caladbolg...
Baisant piteusement les yeux au sol, je poussai un long soupir de circonstance.

- ...Est-ce qu'elle restera la même après cet épisode ? m'enquis-je.

- Son apparence a changé, c'est un fait. Mais en y appliquant mon savoir technique, elle te restera fidèle. Plus puissante, certainement, mais toujours aussi fidèle.
Crois-en elle et elle t'obéira au doigt et à l’œil, doute d'elle et cette pensée la contaminera.

Non désireuse de me faire bouder par ma propre lame, je devais suivre ces sages conseils. Caladbolg est et restera ma Caladbolg, et nous continuerons de mener bataille quoi qu'il puisse advenir !
C'était là ma résolution.
Le Maître me congédia d'un geste de la tête.

- Maintenant, va. Tu empestes le soufre.

- D'accord ! fis-je en me tournant vers le domaine, avant de lui couler un regard par-dessus mon épaule et de lui demander : Et vous... ?

- J'ai à faire avec cette statue. Il ne faut surtout pas qu'elle tombe entre de mauvaises mains alors je vais me charger de la déplacer dans un lieu sûr, à l'abri des regards.

Tout comme lui, je ne jugeais pas ces précautions comme exhaustives. Quelques pilleurs pourraient avoir un jour la mauvaise idée de visiter le domaine du Maître et de chercher à s'emparer de ma création. Ce qui serait le début d'un désastre pour notre planète.
J'écartai ces noires pensées pour me focaliser davantage sur de plus heureuses, telle la perspective réjouissante d'un bon bain avant de tomber entre les bras de Morphée.