- Hum-hum-hummm~

Le monde était en paix. Il n'y avait rien à combattre. Le temps était propice à tout type d'activités en plein air. J'aurais très bien pu choisir de passer un peu de temps dans le biome du maître, sur ce plateau surélevé où plus aucune brume malsaine ne planait, mais je m'étais plutôt mis en tête de feuilleter quelques ouvrages traitant de sujets divers et variés - stratégie, psychologie, magie ancienne et langues mortes...
Au fil de la journée, alors que le soleil avait bondi d'un coin à l'autre de l'horizon sans pour autant s’éclipser derrière les montagnes lointaines, les livres s'entassaient et s'éparpillaient sur le carré d'herbe grasse que je m'étais synthétisé en guise de tapis au milieu d'une zone particulièrement aride.
Étendue ventre à terre, dressée sur les coudes et le visage entre les mains, j'avais les yeux encore rivés sur cet ouvrage qui accaparait toute mon attention lorsqu'un grand "BANG!" retentit de l'autre côté des montagnes rocheuses.
J'étais si absorbée par ma lecture que je ne m'étais absolument pas rendue compte de la présence de cette énergie phénoménale, précisément là où une espèce fort peu fréquente d'étoile filante s'était envolée en direction de l'espace pour y mourir dans un vacarme d’outre-terre.

- Ces quelques résidus de lumière vive ont quelque chose d'inquiétant, bredouillai-je en scrutant paresseusement la couche d'ozone teintée de rouge et d'une étrange nuance de vert.

Je devais avoir l'air de ne pas faire grand cas d'une telle démonstration de puissance pourtant, intérieurement, le doute commençait à s’insinuer dans mon esprit...
Refermant le livre que je consultais d'un mouvement de main, j'adoptai, assise en tailleur, une posture un peu plus convenable à la situation ; la tête légèrement penchée de côté, les bras croisés, je fis travailler ma capacité de Perception afin de mieux juger du potentiel danger qui se profilait par-delà les rocs épars.
Ladite puissance avait étrangement décrue quand bien même restait-elle impressionnante, bien au-dessus de tout ce qu'on pût trouver sur la surface du globe.

- Je me demande si... Oh ?

Comme si ma vue me permettait de voir aussi loin que celle d'un faucon, je plissai les yeux en direction de la piste de tir qu(avait dû improviser le parfait inconnu à l'aura troublante. Outre les vies mineures que je détectais çà et là et qui, en proie à la panique, courraient se mettre à l'abri, il y en avait une autre, plus distincte. Celle-ci, nantie d'une force qui m'était familière, volait à toute berzingue droit vers cette mystérieuse et fascinante présence.
J'eus un sursaut en achevant de comprendre à qui elle appartenait.

- Fichtre et foutre ! m'exclamai-je en entreprenant de rassembler précipitamment mes trésors de littérature. Marisa ! Diable ! Mais qu'est-ce qu'elle est partie faire encore ?!

Comme toujours, la remarquable casse-cou débordait d'énergie. Une énergie qui n'était pas prête d'échapper à qui que ce soit capable de ressentir le Ki ; la jeune fermière ignorait tout de son potentiel et du pouvoir qu'elle renfermait. Le tout irradiait d'elle pendant son vol digne d'un avion de chasse !
La petite folle ne se doutait vraiment de rien. Candide à souhait, elle fonçait tête baissée vers l'inconnu.

- Bon sang de bon soir ! Ça ne lui arrive donc jamais de réfléchir un peu avant d'agir ? Valéria va lui passer le savon du siècle une fois qu'elle se sera rendue compte de sa disparition !

Pressée par le temps, je finis par lâcher la bride à ma magie, invoquant un soupçon de ma Télékinésie Zélodienne pour soulever de terre l'ensemble des ouvrages posés à la diable.


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Depuis qu'elle avait consommé l'Eau Sacrée de Maître Karin, Marisa se sentait plus en forme que jamais !
En la voyant ainsi fendre les airs, qui donc aurait pu croire qu'elle avait passé une grosse période de sa courte vie coincée dans son lit, victime de terribles maux cardiaques ? personne !
Ce fut donc à la manière d'une ogive à tête chercheuse qu'elle s'en était allée retrouver la prodigieuse source d'énergie responsable du rougeoiement des cieux. Malgré le fait qu'elle ait vu le trait d'énergie traverser l'espace en moins de temps qu'il ne fallait pour le dire avant qu'il explose bien loin de la Terre, la jeune fermière sans peur ne pouvait se résoudre à juguler ses pulsion d'aventurière.
En un temps record, elle dépassa les montagnes sèches et, poussée par son intuition, rasa le sol en s'efforçant de diminuer son allure. L'ennui, c'est qu'elle le fit un brin trop tard et point assez loin de la terre craquelée ; en voulant réintégrer le plancher des vaches, Marisa se gamela de façon magistrale, déboulant cul par-dessus tête au beau milieu d'un espace dégagé où, justement, un homme solidement charpenté contemplait la paume de ses mains avec une fascination jubilatoire.
Il semblait ne pas avoir encore remarqué la nouvelle arrivante, ce malgré son entrée fracassante...

- A-aïe... Ouï-ouï-ouille ! En-encore loupée ! C'que ça fait mal, dis donc ! Saperlipopette... Ouh ! Ah ! (Après avoir sauté un pied sur l'autre en secouant les mains, elle se renversa par terre et se tordit dans tous les sens, ses lèvres retroussées et sa bouche grande ouverte en une expression de douleur intense.) J-je douille ! Mais qu'est-ce que j'douille, Cré vain diou !

Une bonne partie de sa robe de fermière avait pris cher. Elle n'était pas cul nu, certes, mais le tissu était déchiré à bien des endroits...
Valéria la tuera dès son retour à la maison : ça, la cadette le savait.
Au bout d'un moment, elle cessa de gémir à haute voix et s'immobilisa sur le dos en se mettant à souffler comme un phoque. Elle n'avait pas trouvé mieux pour faire passer la douleur de ses membres éraflés. D'autant plus que cette position fit remonter de très mauvais souvenirs dans sa mémoire fouillis...
Elle ne traîna pas et, finalement, se redressa d'un coup tel un vampire émergeant de son cercueil invisible. Ses grands yeux bleus balayèrent le paysage avant de se fixer sur l'homme vêtu de noir et d'écarlate.
En se forçant à sourire pour masquer la douleur, la jeune fermière secoua une main à l'attention du guerrier.

- Fausse alerte ! J'vais bien ! Tout baigne... J'suis arrivée en un seul morceau ! Ha ha... (Elle grommela tout bas.) Qu'est-ce que j'suis nulle en freinage, c'est pas possible d'être aussi empotée ! (Puis continua tout haut sur un ton guilleret.) Il fait beau aujourd'hui, dites-donc, vous n'trouvez pas ? La vache ! Quand j'ai entendu ce grand "BAAAOOOUUM" (Elle ponctua ce bruitage en écartant largement les bras.) j'ai été soufflée ! C'était de vous, hein ? Dites ? J'me suis pas trompée d'endroit, pas vrai ?

Elle se montrait horriblement loquace. Si bien que Ryanne aurait tout aussi bien pu se faire passer pour une grande sœur authentique à côté d'elle !

L'exhibitionniste avait pris le temps d'enfiler son armure peu banale sous les grands yeux ronds de l'innocente fermière. Cette dernière n'avait pas fait mine de le reluquer. Ou alors... juste un peu, mais sans aucune arrière pensée. Elle n'avait que quatorze ans et ne se souciait de rien d'autre que de son amusement propre - et possiblement des quelques tâches que lui confiait sa sœur ainée, à la ferme. Mais, dernièrement, son quotidien s'était résumé à quelques tentatives ratées de produire des boules d'énergie stables et durables alors que l'Hamadryade, copine excessivement proche de sa sœur Valéria, accaparait toute l'attention de la concernée...
Marisa s'arracha à sa modeste rêverie et, aiguillée par la voix du grand costaud, s'intéressa à la manière très singulière qu'il avait de se "présenter".
Croyant qu'il l'a considérée comme une menace, la pré-adolescente eut un léger mouvement de recul. Elle agita nerveusement les mains, ses joues légèrement rosies par cette regrettable méprise.

- Quoi ?! Oh, mais nan ! (Elle paraissait sincèrement choquée.) J'm'attaque jamais à personne, moi, m'sieur ! Qu'est-ce qui vous fait croire ça ? J'ferais pas d'mal à un pauvre lapin, vous savez...

Bon, c'est vrai : elle avait peut-être tiré une ou deux fois sur un Fils de la Nature contrôlé par Yggdrasia en finissant par convertir le malheureux élu en un nuage de confettis brûlés mais c'n'était pas du tout la même chose !
Elle n'envisageait absolument pas de reproduire cet exercice sur un cobaye humain, non ; et de toute manière, sa grande sœur l'avait bien engueulée lors de cette mémorable occasion, en plus de lui avoir formellement interdit de "jouer avec le feu qui sort de ses mains".
Rien qu'en imaginant le mauvais sort que lui réservait ça sœur dès l'instant où celle-ci remarquerait sa disparition, Marisa n'était vraiment pas pressée de rentrer...
Soudain, le guerrier désigna le large sillon qu'elle avait creusé très laborieusement dans le sol. Elle se sentit plus stupide que jamais et, réprimant une grimace digne de la plus grande de toutes les gaffeuses, roula distraitement des yeux vers le ciel tout en sifflotant un petit air paisible.

- Ceci ? fit-elle entre deux sifflements surjoués alors qu'elle avait les mains dans le dos et s'évertuait, d'un pied tendu sur le côté, à masquer son crime à grand renfort de terre retournée. Non, non ! J'vois pas du tout de quoi vous voulez parler. Et pis d'ailleurs vous avez rien vu ! J'peux pas passer pour responsable d'une bêtise que j'n'ai pas commise.

D'un brusque mouvement de tête, elle leva le menton sur sa gauche, dans le sens inverse de son arrivée. Là où son regard ne risquerait pas de la trahir en se posant malencontreusement sur la fameuse tranchée.
La gentille, honnête et ravissante petite fermière à la robe en haillons ne se voilait pas du tout la face, non !
Heureusement, Marisa put se concentrer sur autre chose lorsque son interlocuteur, fort clément avec elle, lui demanda ce qu'elle lui voulait.
En voilà une bonne question ! Surtout pour elle, qui avait agi sur un coup de tête.
Un peu pris de court, la gamine ramena un doigt à sa bouche et réfléchit fiévreusement à cette interrogation autrement plus sensée que sa présence en ces lieux ravagés.

- Euuuh... (Un coup d'oeil à droite, et un p'tit coup d'oeil à gauche.) Et biiiiiiiiiiiien, je me deeeemaaaandaiiiiiis, articula-t-elle en faisant bien traîner les syllabes alors qu'elle en vint à se tordre les mains dans le bas des reins. (Légèrement cambrée, elle se balançait sur les talons.) Comment vous faites au juste pour dégager autant de lumière ? Voilà, c'est ça que j'voulais savoir !

Son sourire de bienheureuse s'envola, remplacé par une moue enfantine qui pendait modérément plus d'un côté que de l'autre.

- Parce que, m'voyez, j'suis p't'être capable de créer ce genre de petits trucs...

Elle ouvrit une main devant elle, paume tournée vers le ciel, et conjura maladroitement son Ki qui vit le jour sous la forme d'un quelque chose de lumineux tout crépitant. Son adorable bouille de gamine encadrée par une masse de cheveux roux paraissait s'embraser derrière ce petit astre déjà mourant...
La petite fermière posa un regard interrogateur sur l'inconnu et se gratta le cuir chevelu d'une main tordue.

- Mais J'comprends toujours pas comment ça marche, avoua-t-elle en un soupir déconfit. Soit ça disparait d'un seul coup dans un "pschiiit!" (Elle le dit en agitant les doigts.) Un peu comme une allumette soufflée par un courant d'air, m'voyez ?

Et là, elle arqua les sourcils et plissa le front, l'air moitié navrée moitié confuse.

- Ou alors, parfois, le p'tit feu follet se met à faire des folies. Dans ces moments-là, c'est comme une chandelle romaine : ça décolle carrément dans tous les sens - du vrai n'importe quoi, j'vous dis !

Elle n'était pas vraiment partie pour lui en faire la démonstration sauf que sa création instable, laissée trop longtemps à l'air libre entre des mains malavisées, finit par se catapulter toute seule en direction du ciel dans un sifflement de cocotte-minute !
Dessinant une trainée de lumière orange dans son sillage hasardeux, elle suivit une trajectoire des plus chaotique, ponctuée par des angles absolument impossibles à deviner. Heureusement pour tout le monde, l'explosion incontrôlée eut lieu à une distance plus que respectable du sol craquelé où le duo insolite se tenait campé.
Les jambes fléchies par la soudaineté de cette action incongrue, Marisa, presque pliée en deux, esquissa une nouvelle grimace, jonglant d'un regard apeuré entre sa main tremblante et l'endroit où l'explosion assourdissante venait d'avoir lieu.

- O-oh, la vache ! bredouilla la fermière, une main pressée contre son cœur battant la chamade. Ce coup-ci s'était vraiment terrible ! J'ai flippé grave ! Whouaaaw ! Après quoi elle s'empressa d'ajouter, bras tendus vers l'avant : J'suis vraiment désolée ! J'vous jure que c'était pas prévu au programme !

Puis, consciente avec un brin de retard que ses mains pourraient à raison passer pour dangereuses et menaçantes aux yeux du bonhomme en armure, Marisa se hâta de les baisser et de replier les doigts.

- Urgh... m'en voulez pas ! ...S'il vous plait ?

Pathétique, n'est-ce pas ? Franchement... qui pourrait croire qu'une enfant aussi immature et emportée dépassait le million en terme de puissance brute ?

Il n'avait pas pris la mouche ? Marisa ressentit un énorme soulagement. Elle se déraidit et redevint instantanément souriante.
Selon toute vraisemblance, ce guerrier qu'elle avait abordé n'était pas une brute épaisse - même si cette idée ne lui a jamais effleuré l'esprit. La jeune fermière s'était simplement habituée aux réprimandes de son ainée. A force de faire des bêtises, elle avait acquis l’aptitude de se crisper d'un seul bloc à la manière d'un animal sur le point de se faire rentrer dedans. Ça ne diminuait pas forcément les dommages subis, mais cette armure illusoire lui permettait malgré tout de réduire l'impact émotionnel que les reproches pouvaient avoir sur son petit cœur survolté.
En bon diplomate, le guerrier aux cheveux en pétard résuma les attentes de la cadette en une question à la portée de tout le monde.
Marisa opina du chef, toujours avec ce trop plein d'énergie qui lui était quasiment impossible de canaliser. Son regard, dans lequel brillait une curiosité aussi maladive qu'enfantine, jonglait entre le visage mâture du combattant et le magnifique globe de Ki qui lévitait au-dessus de ses doigts écartés.

- Oui ! piailla la pré-adolescente. C'est ça qu'je cherche à pondre ! Au départ, ça donne un truc tout beau qui brille, mais après vous avez vu ce que ça... (Elle s'interrompit lorsque son modèle ramena les doigts dans le creux de sa main, éteignant le petit astre aussi facilement qu'il était apparu.) donne ?

Les yeux écarquillés de surprise, les lèvres entrouvertes, elle pointa l'homme d'un doigt tout tremblant en bredouillant quelque chose d'inintelligible.
Comment diable avait-il réussi son coup, celui-là ? Et avec une facilité exorbitante, qui plus est !
La fermière secoua violemment la tête et couva le guerrier de ses yeux fous. Elle déglutit, s'apprêtant à le noyer sous les questions quand il se fendit en explications où brillait un fin professionnalisme.
En somme, l'hyperactive n'avait d'autre choix que d'apprendre à "contrôler le flux d'énergie qui se déplace dans son corps". Le tout étant de savoir le rediriger à l'endroit idoine afin qu'il en jaillisse à la manière d'un geyser !
Mais son enseignant du moment avait beau lui signifier que cela finirait pas venir tout naturellement que la gamine, elle, craignait le pire - quelque chose de bien plus dramatique que de tomber dans les vapes, à court d'énergie.
Par instinct, Marisa avait bien compris que ce "feu" qui l'habitait, et que l'eau sacrée de Karin avait réveillé, pouvait avoir des conséquences cataclysmiques sur le sol qu'elle foulait.
Sceptique, elle baissa les yeux pour les poser sur ses mains...

- Cela parait si simple présenté comme ça, marmonna-t-elle avant d'en revenir à son professeur du jour. Mais ça ne vous fait pas peur de relâcher toute cette... énergie d'un seul coup ? (Un p'tit coup d'oeil vers le ciel.) J'sais pas... vous pourriez faire une grosse bêtise en touchant quelque chose, nan ?

Cet homme ne partageait pas ses craintes ; lui était pleinement conscient de ses actes.

C'est à cet instant que je fis mon apparition. Dans les airs et, pour être plus précise, là où les prunelles de Marisa s'étaient posées. Je les vis s’agrandir comme des soucoupes.
Mon irrécupérable apprentie et petite sœur d'adoption était sur le point de s'égailler quand un des nombreux livres que le poids de ma Télékinésie Zélodienne supportait lui tomba sur le nez.
Je l'avais fait exprès, bien sûr ! en choisissant un ouvrage que j’imaginais être à sa portée. Les autres virevoltaient en orbite autour de ma personne sans discontinuité.

- La destruction d'une étoile n'a pas le même effet sur tout le monde, Marisa, soupirai-je en la voyant s'effondrer sur les fesses, le livre prisonnier de ses bras croisés. Mais ta réflexion n'en est pas moins bonne, joyeuse frangine. Pour le moment et jusqu'à ce que je te siffle le contraire, concentre-toi sur cet ouvrage. Les écrits de son auteur - un moine talentueux, oublié jusque dans le cercle religieux auquel il appartenait - te donneront matière à travailler ! (Je levai un index professoral à hauteur de mon visage.) La théorie avant la pratique, jeune apprentie. Et ne songe pas à emprunter un raccourci, parce qu'il n'y en existe aucun de viable. C'est sur la base de ton talent que reposera la maîtrise de ton énergie interne. Le reste repose sur la persévérance.

- R-ry' ! geignit la capricieuse enfant en se frottant l'arrête du nez. Tu m'as balancé un livre en travers de la tronche !

- Pas tout à fait. Je l'ai fait choir par inadvertance - subtile nuance que nous avons là.

Marisa tourna son visage grognon sur le fameux bouquin et, après deux secondes de réflexion, revint à la charge avec une accusation avisée.

- Et comment ça se fait que c'est justement CE livre-là qui me soit tombé dessus, et non pas un autre complètement hors sujet parmi les trente-six qui te collent aux basques ? grommela-t-elle.

Un demi-sourire aux lèvres, je haussai les épaules.

- Les mystères du hasard sont insondables, jeune apprentie ! Et on a que trop souvent tendance à s'y perdre lorsqu'on essaye de plonger le doigt dans la spirale.

Je rejoignis le plancher des vaches tout en invitant, d'un simple geste de la main, ma collection de livres à s'empiler les uns sur les autres avant qu'ils ne se posent délicatement à même le sol, juste à côté de Marisa à laquelle j’adressai un clin d'oeil amical.

- Alors rends-toi service : ne perds pas ton temps en accusation stériles et nourris ta généreuse caboche ! (D'un mouvement de doigt, j'attirai son attention sur ma bibliothèque.) Si jamais ce livre ne te plaît pas, fouille dans ceux-là. Mais dans ce cas-là, tu devras en consulter deux entiers au lieu d'un~

- Quoi ?! éructa la fermière comme si elle avait flairé une grosse arnaque. Mais... Argh ! La barbe. (Elle s'adossa à la pile de livres, croisa les jambes, puis ouvrit sèchement l'ouvrage que je lui avais remis.) T'es plus tyrannique que Valéria quand tu t'y mets, grommela-t-elle en me décochant un bref et méchant coup d'oeil par-dessus sa lecture.

Autant lui accorder le dernier mot, même si la petite fermière ne savait pas à quel point elle avait de la chance que son maître ne fût pas un redoutable Démon-Ermite capable de la descendre d'une simple pichenette.
Bien ! et maintenant, passons au plat de résistance~
Les poings calés sur les hanches, je détaillai du regard la récente rencontre de Marisa. L'homme n'avait pas grand-chose de terrien, à commencer par sa tenue qui ressemblait bien davantage à une armure qu'à un vêtement du coin. De plus, il avait un petit air de famille avec... un certain Baddack ; une ressemblance marquée par cette cicatrice en forme de croix sur sa joue gauche ainsi que par la présence de ce bandeau rouge noué autour de son front, sous une épaisse crinière noire comme de l'ébène.
Sans oublier cet appendice simiesque...
Consciente que je n'avais pas affaire à n'importe qui, je m'inclinai avec le respect qu'il lui est dû.

- Bien le bonjour, visiteur d'une autre planète ! dis-je avec un éblouissant sourire. Je me présente : Ryanne Hilaris, Envoûteuse de profession comme se tue à le lui rappeler sa lignée au sang froid~ (Je relevai le buste afin de me tenir la plus droite possible, une main rangée dans le dos.) Puis-je avoir la chance de connaître votre nom - ou votre qualification, peut-être ? (Je me massai distraitement le menton du bout des doigts tout en continuant de l'étudier.) Permettez-moi de vous dire que vous ressemblez étrangement à ce guerrier tout droit venu de l'espace... Baddack, qu'il s'appelait ! Un Saiyan, si je ne dis pas de bêtise. Est-ce que cela fait de vous l'un d'entre eux ?

Une question susceptible de soulever plusieurs points intéressants.
Je me tus afin de lui laisser le temps de méditer tranquillement là-dessus.
Un rapide coup d’œil du côté de Marisa m'apprit que celle-ci s'intéressait davantage à notre discussion plutôt qu'à sa lecture. Elle fit mine de ne pas avoir été pris sur le fait et se "replongea" sur la toute première page du bouquin.
La petite canaille.

Oh ! Le grand homme avait du caractère, sans forcément se montrer discourtois et vulgaire autant dans ses dires que dans son attitude globale. Il avait l'air très sérieux, son visage débarrassé de tout sourire et ses bras croisés avec fermeté sur sa solide poitrine.
 Rien qu'avec ce premier échange, je n'eus aucun mal à comprendre à quel genre de guerrier j'avais affaire - dans le genre fier de ses origines et de sa puissance. Un combattant qui ne laisse jamais sa peur transparaître lorsque cette dernière daigne frapper à sa porte.
Inutile de demander confirmation au concerné originaire de "Sadala" ; il prétendrait très probablement ne pas connaître ce sentiment.

- Plutôt intéressante comme réponse, reconnus-je sur le ton de la causette. Je n'en sais que très peu - pour ne pas dire presque rien - sur l'historique de votre espèce, aussi vous serez prié d'excuser mon sérieux manque de culture en matière de colonisation spatiale : les planètes sur lesquelles j'ai posé le pied se comptent sur les doigts d'une main.

La Terre, Namek et Zélod III en l’occurrence. Bon, j'ai par ailleurs figure de protagoniste dans un combat spatial qui m'opposait à un abominable Djinn, qu'un Sylphe aux allures et à la vocation de corsaire avait envisagé de ramener sur notre gros caillou bleu à travers un portail pour mieux nous piller, mais il ne serait pas juste de considérer une pauvre ceinture d'astéroïdes comme une planète à proprement parler.
L'expression que j'arborais retranscrivait toute la modestie de mes propos.
Quant à celle de notre petite et gentille fermière, elle transpirait d'admiration.

- Et ben moi, j'le trouve quand même vachement classe, déclara-t-elle sans se soucier de sa lecture mise en standby pour je-ne-savais-combien-de-temps encore. Cette posture assurée, ce regard de dur, cet air sombre... cette dégaine de vilain garçon, quoi ! J'trouve ça vraiment trop cool.

La voilà maintenait qu'elle s’exprimait sur un timbre rêveur !
Elle avait l'air d'avoir un petit peu oublié que son sujet de curiosité avait fait carrément trembler ciel et terre avant qu'elle ne le rejoigne en toute innocence...
Je poussai un énième soupir en la dévisageant.
Le livre calé sur ses jambes tendues, elle écarta les bras et me rendit mon regard l'air de dire :

- Quoi ? J'ai dit quelque chose qu'il ne fallait pas ? J'y peux rien si j'suis honnête ! J'fonctionne comme ça, et tu l'sais bien - p't'être même mieux que Val' !

- Il n'empêche, tranchai-je, que tu devrais apprendre à ne pas baisser ta garde, Marisa. Tant mieux si tu penses savoir comment tu fonctionnes, petite tête rousse, mais tu devrais plutôt te soucier de la manière dont pense ton entourage. (Je fis un mouvement de tête en direction de l'intéressé.) Deikon, en l’occurrence,...

- Son nom aussi à un certain style, intervint-elle en hochement vivement la tête.

Je roulai des yeux au ciel.

- Merci pour cette interruption avisée, renâclai-je en faisant sauter le livre de ses genoux d'un simple mouvement de dos. (Elle émit une plainte étouffée, le visage coincé entre les "mâchoires" de l'ouvrage qui ne tardèrent pas à s'écarter.) Je disais donc : Deikon, en l’occurrence, n’éprouve peut-être pas l'envie qu'une tête de linotte comme toi se comporte comme une groupie vis-à-vis de lui. D'aucuns trouveraient cette attitude fort intrusive et, à juste titre, irritante. Tu me suis ?

- Nan, je lis, grommela la jeune fermière en raffermissant sa prise sur la couverture par peur que je lui refasse le même coup en guise de représailles. J'peux pas avoir les neurones qui chauffent sur deux choses en même temps, moi ! Pfeuh.

Elle s'était vautrée par terre de tout son long et tournant le dos à la scène, visiblement vexée par cette leçon.
Une gamine incorrigible, mais certainement pas autant que mon authentique petite sœur.
Je levai les yeux sur notre artilleur d'un autre monde en me ressassant ses dernières paroles...
"Je suis l'un d'entre-eux, sans réellement l'être pour autant".
Qu'entendait-il par là ?
Je fis un rapide calcul mental. Il avait fait mention d'une certaine planète, qu'il s'imaginait peut-être que je connaissais, non sans omettre de mettre un point d'honneur à sa répugnance envers les "saiyans modernes"...
Je plissai indistinctement les yeux.
La tenue qu'il portait me paraissait plutôt sophistiquée, et les lames accrochées en travers de son dos ne m'inspiraient point une époque si reculée que la nôtre.
Alors pourquoi, si on se fie un tant soit peu à cette analyse, se situait-il de lui-même dans le passé par rapport à ses congénères ?
Tout en me pinçant les lèvres du bout des doigts, je penchai légèrement la tête de côté, l'air méditative.

- Seriez-vous en train de sous-entendre, repris-je avec un petit temps de latence afin de faire mûrir ma réflexion, que vous n'avez pas toujours vécu à cette époque ?

Frappée par cette hypothèse, Marisa eut un sursaut qui fit choir sur sa tête un livre appartenant à la pile à laquelle elle s'était de nouveau adossée. Le "Aïe!" qu'elle émit m'incita à lui jeter un coup d'œil las.

- Sans rire ?! C'est possible, un truc pareil ?

- Si Dieux, dinosaures, Sylphes, Djiins, autres extraterrestres et Patrouilleurs du Temps existent dans cet univers je ne vois pas pourquoi l'apparition d'un tel être tiendrait de l'absurde. (Je plissai le front à son attention.) A quoi étais-tu occupée, tout à l'heure ? Peux-tu seulement me le rappeler ?

Son expression étonnée se mua en une moue capricieuse.
Dans le mille.

- Humpf ! Ouais, ouais. Je sais, je sais.

Ou bien faisait-elle mine de le savoir.
Je secouai la tête, les lèvres légèrement tordues sur le côté par une pointe d'agacement.
Une élève bien difficile, plus encline à produire des efforts physiques qu'intellectuels...
Elle n'était pourtant pas sans savoir qu'une bonne guerrière entretient son corps et cultive son esprit !
Bref. Retour à notre visiteur d'une hypothétique époque oubliée.

- Je suis curieuse, il est vrai, mais c'est de loin préférable par les temps qui courent, me relançai-je en faisant référence aux divers attentats commis dernièrement. Alors si je puis me permettre, sans chercher la moindre offense : que nous vaut votre présence ici, Deikon ?
Simple visite touristique, ou bien êtes-vous là pour remplir une quelconque mission pour le compte de je-ne-sais quel dirigeant galactique ?

Vous pourriez trouver cela bizarre mais je penchais plutôt pour la première probabilité...
Quel genre de fou s'amuserait à tirer de monstrueuses salves d'énergie en direction de l'espace sur une terre qui ne l'a pas vu naître avant de partir remplir les conditions d'un éventuel contrat ?

Owh-whooow !! Qu'avait-il dit, juste à l'instant, avant de se fendre en explications rapides sur ses lointaines origines ? qu'il ne trouvait point désagréable les louanges que lui avaient débitées Marisa sans même avoir fait mine de les retenir ?
La gamine avait l'air contente d'elle, en plus de ça ! Elle était plus optimiste que moi - et bien, bien plus candide - dans la mesure où elle ne piochait, dans les propos du sombre saiyan, que ce qu'il y avait de plus évident et de plaisant pour son humeur enfantine.
Je la vis m'adresser un petit sourire en coin pétillant de fierté, couplé à un haussement à peine perceptible de ses fins sourcils roux.
Je me rendis compte à quel point il était nécessaire de chaperonner cette adorable fermière, à plus forte raison lorsqu'un extra-terrestre agréable à regarder se décide à nous rendre visite.
Yggdrasia aurait-elle eu une mauvaise influence sur Marisa ? En même temps, à force d'écouler journée sur journée avec pour seules compagnies sa sœur ainée et son bétail...
Enfin bref ! Je fus ravie d'apprendre les origines de notre présent interlocuteur - même si je faisais tout naturellement preuve de contenance pendant qu'il énumérait les détails les plus importants, avec en somme ses trois cent ans de sommeil et l'étrangeté de sa tenue curieusement au goût du jour.
Sans jamais se départir de son calme, il eut la bonté d'âme de répondre à l'ensemble de mes questions, énonçant ainsi la première raison de sa présence sur Terre : le ramassage de ses épées sur lesquelles j'évitais prudemment de loucher depuis le début de la conversation. Par la suite, il ajouta avoir éprouvé l'envie d'effectuer un "petit test".
Poussée par une bouffée de scepticisme, Je haussai un sourcil.
...Ouuuuuais ? Un "petit test" en répandant à travers l'espace une puissante, virulente et dévastatrice ligne de feu ?
Si je croyais malgré tout cet homme, je n'en demeurais pas moins étonnée par l'idée candidement réduite qu'il se faisait de sa dernière œuvre lumineuse.
Mais là n'était pas le plus important : Deikon me fit gentiment remarqué que j'avais choisi le bon moment pour me manifester, sans quoi la puce rousse n'aurait pas mis beaucoup de temps à lui témoigner son admiration autrement qu'avec les yeux.
Hantée par les rouages de mon imagination fertile et travailleuse, je me passai un revers de main sur le front.

- Et elle n'a que quatorze ans, soupirai-je. Je n'ai pas fini de m'en mordre les doigts... (Je secouai la tête, les lèvres pincées.) Valéria ne manquera pas de travail, elle aussi.

Le visage de la jeune fermière avait viré à l'écarlate. Elle ressemblait à une cocotte-minute sur le poing d'exploser - ne manquait plus que le sifflement caractéristique.
Submergée par la gêne, faisant accidentellement sauter de ses genoux le livre qui y était posé, Marisa s'empressa de défendre sa cause :

- M-Mais non ! I-Il exagère !! J'ai jamais eu dans l'idée de... oh ! Beurk ! (Elle fit la grimace, les mains levées devant son visage comme pour se protéger des images qu'on lui envoyait.) Crévindiou ! C-c'est pas parce qu'il beau gosse que j'vais me jeter dans ses bras !!

Elle se pencha dans l'herbe et cracha de dégoût.
En la voyant surjouée, je ne pus m'empêcher de songer à ce qui se serait passé si, à la place de Marisa, Yggdrasia s'était présentée devant le guerrier de l’espace.
Ha ! Ce dernier aurait vraiment eu toutes les raisons du monde de s’inquiéter pour sa personne. Notre chère amie Hamadryade l'aurait sans doute vidé de son énergie comme il le disait si bien - au sens littéral du terme, oui !
Tout en m'efforçant de glousser sous cape, je portai une main à ma bouche.

- J'ai bien peur qu'il te faille attendre encore une bonne poignée d'années avant de te lancer dans ce genre d'exercices, ma chère Marisa, commentai-je. En espérant que, d'ici là, ta grande sœur ait trouvé une laisse suffisamment courte pour te tenir hors d'atteinte des bonhommes bodybuildés sur lesquels se seront posés tes grands yeux affamés~

Toujours plus rouge de teint, Marisa bondit sur ses pieds et, les traits et les membres tirés par une indignation enfantine, vitupéra :

- Aaah, NON ! Ryanne ! Arrête de mêler Val' à cette histoire grotesque ! En plus, si jamais elle t'entendait, elle serait bien capable de le prendre au pied d'la lettre ! (Elle balança les bras au-dessus de sa tête en signe de ras-le-bol et, à bout de nerfs, amorça une volte-face non sans détourner vivement le regard.) Z'êtes horribles avec moi. J'm'en vais lire loin de vous - vous l'avez bien cherché ! Pfffft-blblbl ! postillonna-t-elle en nous tirant grossièrement la langue.

Plus amusée qu'autre chose par cette réaction indélicate et dénue de charme, je haussai les épaules en ébauchant une mimique d'excuse à l'adresse de Deikon, l'air de dire : "C'est Marisa ! elle est comme ça."

- Au moins, relativisai-je, elle n'est pas partie sans sa lecture du jour. 'Y a du progrès !

Elle était intelligente : à l'endroit où elle posa ses fesses, Marisa se trouvait toujours à portée de voix. Elle aurait eu beau me soutenir le contraire que je savais parfaitement qu'elle s'intéressait à l'évolution de notre échange.

- Où en étions-nous déjà ? m'enquis-je avant de brandir un index triomphant. Vos objectifs ! (Je me penchai légèrement en avant, les mains jointes dans le dos, l'expression féline.) Cela vous dérangerait-il de m'en souffler mot ? Après tout, qui sait : peut-être pourrai-je vous aider à les expédier ? (Nouveau ébauche de sourire, un dans le genre plus conciliant cette fois-ci.) J'ai un peu de temps à tuer. 'Pis si cela peut vous permettre de ne pas sacrifier inutilement les étoiles alentours, ce sera toujours ça de sauvegardé !

Nous y étions ! Les ambitions de ce cher Deikon~
Eh bien, autant vous dire qu'elles étaient proportionnelles à l'image que je me faisais de lui : celle d'un guerrier qui brûle d'envie de repousser ses limites. En l’occurrence, il était question de celles instaurées par sa transformation en Super Saiyan - qu'il a dû acquérir peu de temps avant sa venue sur Terre, dans ce coin désertique.
Bien que n'ayant aucune goutte de sang saiyan dans les veines, je savais très bien de quoi il était vraiment question...
Pan s'était déjà transformée sous mes yeux ébahis. A plusieurs reprises, même ! et sous différentes formes dont les différences touchaient principalement la pigmentation de ses cheveux ainsi que la couleur de son aura. Je suspectais que le stade de transformation convoité par le solide gaillard que j'avais en face de moi se rapprochait dangereusement de celui auquel Pan avait eu recours le jour où une démone avait pris contrôle de ma personne.
Un état instable, pour ne pas dire brutal et explosif, dans lequel se plonge son initiateur qui se voit alors doté d'une puissance dévastatrice. J'avais en tête le souvenir d'une aura cataclysmique, torrentielle et survoltée où de petits arcs électriques se tortillaient en crépitant dans l'air...
Ouaip ! Vraiment difficile d'oublier cette scène où j'avais pioché le mauvais rôle.
Les lèvres pincées et le regard vadrouilleur, je m'abstins de tout commentaire à ce sujet.

Deikon nourrissait d'autres projets - ce qui tombait plutôt bien ! Il avait perdu quelque chose de précieux et envisageait de le récupérer d'une manière ou d'une autre. Il ignorait qu'il est tout à fait possible de ramener les morts à la vie grâce aux sept boules de cristal, aussi je ne fis pas mine de lui reprocher son ignorance. Je ne le connaissais pas assez bien pour lui fournir une information aussi précieuse que sensible. J'ignorais à quel groupe il appartenait, et je préférais ne pas trop m'avancer à ce sujet. Il valait mieux jouer les diplomates et se garder de brandir le poing devant pareil challenger que le combat a malheureusement un peu trop tendance à griser.
Néanmoins, j'étais plutôt contente de l'entendre s'ouvrir à moi aussi facilement. Il se tenait au courant des actualités de notre vaste univers et ne se fit pas prier pour m'en faire part. Ainsi, j'appris que les démons ne s'en étaient pas uniquement pris à notre bonne vieille planète bleue ; ils s'étaient montré outrageusement gourmands.
Une inquiétante nouvelle, certes, mais pas suffisamment pour me donner des cheveux blancs !

- Nous vivons à une époque dangereuse, oui, résumai-je en grattouillant le menton d'un index. Les envahisseurs à cornes n'ont pas lésiné sur cette planète. Beaucoup de guerriers sont tombés, assassinés de sang-froid, et seuls les plus forts ont survécu. (Mais tout n'était pas perdu, comme le laissait entendre ma bonhomie.) Les gens normaux n'en ont pas souffert. M'est avis que nos assaillants immoraux ne s'y intéressaient pas. Espérons qu'ils ne remettent pas mes paroles en doute dans un avenir proche. (Je marquai une petite pause, juste le temps de me composer une expression maligne.) Ça pourrait bien chauffer - bien davantage pour leur matricule que pour le nôtre.

Dans mon dos, Marisa prit la liberté de lâcher son petit commentaire habituel :

- Pour sûr ! On les boutera hors de nos terres à grands coups de saton ! (Elle eut un rire à la fois méchant et enfantin.) Comme chez notre gros pote l'Ermite à poil blanc, avec ces fichus pillards Sylphes~

- Ouaip, gloussai-je en me positionnant les jambes espacées et les poings sur les hanches. Mais sache que les démons sont de vrais dures à cuire, jeune apprentie ! Le sang des enfers coule dans leurs veines. Très peu parmi leurs semblables savent ce que signifient les mots "pitié" et "clémence". Alors, pour leur tenir tête, il faut se préparer au pire. (Je lui adressai un clin d'oeil entendu.) Comme s'instruire jusqu'à en avoir la migraine. Tu sais ce qu'il te reste à faire, tête de pioche !~

- Bah ! Ça risque pas, riposta l'impudente fermière. J's'rais plutôt du genre à vouloir leur infliger une migraine carabinée à grand coups de bouquin !

Je roulai des yeux au ciel.
Sacrée petite canaille !~
Les blagues n'avaient décidément pas fini de pleuvoir, car il semblerait que notre grand ami aux cheveux ébouriffés était lui aussi d'humeur taquine. Il avait adopté le parfait drôle du playboy, en prétendant cette fois-ci que je n’étais pas totalement désintéressée par la perspective de le voir à l’œuvre dans un cadre plus intime.
Bon ! après trois cent années à ne même pas pouvoir se la secouer, difficile de lui en vouloir de s'imaginer ces choses-là.
J'ébauchai un sourire indulgent.

- Je crains d'être déjà prise ailleurs, sifflai-je. Tout comme cela ne saurait tarder pour vous. (Je baissai le ton, penchée en avant à la manière d'une comploteuse histoire de ne point me faire entendre par ma disciple.) Je suis sûre que vous avez tout ce qu'il faut là où il faut. En plus d'être un sacré beau gosse - ce qui vous confère un avantage non négligeable !~

- Rôôôôh ! Ryanne, s'agaça la fermière qui laissait toujours trainer une oreille là où il ne fallait pas. Tout de même !

L'air de rien, je me remis droite, les mains croisées dans le creux des reins.

- Plaît-il ? fis-je en remuant à peine le cou. J'ai dit quelque chose de mal ?

- J'ai l'ouïe super fine.

- Avec en prime une forte et fâcheuse tendance à te disperser, je te ferais remarquer, rétorquai-je en voulant jouer à la plus maligne. Tu seras donc priée de laisser les grandes personnes discuter entre-elles ! D'autant plus qu'un ou deux compliments ne peut faire de mal à personne - bien au contraire.

- J'en ai rarement eu droit, se lamenta la gamine.

- Tu mens aussi mal que tu lis. Ou alors ton hippocampe s'est atrophié au lieu de se développer pendant ta croissance. (Dos à mon interlocutrice, j'eus un sourire vicieux.) Mais ne perds pas espoir : à en juger par tes deux petits ilots en formation, elle n'est pas encore achevée.

- ...H-Hein ?! croassa la concernée. Q-qu'est-ce que tu veux dire par là ? Mon hippoquoi ? Et mes... mes quoi ???

Je levai les mains en une parodie - très réaliste - de geste d'excuse non sans couler un regard chargé d'ironie à nôtre hôte.

- C'est bien ce que je me disais !~

Tandis que Marisa se remuait les méninges dans l'espoir de donner un sens à sa gène, notre ami saiyan se permit une petite réflexion philosophique qui prônait la... polygamie, oui.
Voilà un guerrier qui ne savait pas tenir sa langue ! Il se vantait de ses atouts physiques comme de ses origines, soulignant le fait que c'était loin d'être un mal pour une espèce disons... très sélective.
Et bien, à ce train-là, il allait avoir vite fait de se reconstruire un peuple, le bougre !
Toujours est-il que cette discussion m'amusait. Une pensée bien égoïste dans la mesure où ma jeune disciple n'aurait jamais du l'entendre. Ce n'était pourtant pas faute de lui avoir apporté une distraction !
Le tort était donc sien~

- Je remarque que vous avez l'esprit très ouvert sur la question, dis-je en toute sobriété. Ça ne me dérange pas ! Pour tout vous dire, je n'en attendais pas moins d'un combattant de l'espace.

Tant que le guerrier ne s'amusait pas à violer tout ce qui peut l'être à tire larigot, je n'avais pas vraiment mon mot à dire. Il m'avait l'air du genre à préférer les relations consenties à ce genre de bassesse. En outre, il n'avait pas de vue sur nous. Ce qui, là encore, avait quelque chose de réconfortant. Loin de moi l'envie de chasser ce guerrier comme la dernière des hystériques sous les yeux effarés de Marisa !
Tout comme Deikon, je préférais de loin ces quelques échanges verbaux.
Et il m'en proposa d'ailleurs un autre qui m'arracha aussitôt un sourire. Le guerrier s'étonnait d'avoir laissé traîner les yeux sur des "femmes presque nues sur les plages".
Au sein de son peuple disparu, on avait vraisemblablement pas l’habitude de faire trempette pour le petit plaisir !

- Quelle déveine ! Vous n'avez donc pas eu la chance de survoler les plages naturistes, pouffai-je, le temps d'un léger égarement, avant de récupérer le minimum de sérieux syndicale et d'expliquer : Il est bien plus confortable de se glisser dans l'eau avec un maillot de bain qui dissimule le strict nécessaire plutôt que de s'immerger avec tous nos vêtements sur le dos, vous comprenez ? Moi, ça me semble pourtant naturel.

Simple question de mœurs, j'imagine. D'aucuns préfèrent se prélasser dans l'eau ou sous le soleil tandis que d'autres prennent leur pied en s'échangeant des mandales de titan.
A chacun de suivre sa voie vers le bonheur si j'ose dire !
D'ailleurs, il me restait encore un argument - humain - de poids...
L'air sage, je brandis un index professoral.

- Vous avez aussi dû voir des terriennes allongées sur des serviettes durant votre observation. Celles-ci profitent du peu de tissu qu'elle portent pour se roussir la peau. C'est là une question de teint - d'esthétisme. Elle se préfèrent bronzées. Ça les embellit, tout simplement.

A bien y réfléchir, j'aurais très bien pu consacrer mon existence à donner des cours de savoir-vivre aux visiteurs de l'univers. Mais non : en fin de compte, même si je privilégiais le dialogue à l'usage de la violence, celle-ci me rattrapait toujours d'une façon ou d'une autre.
Bah ! Je n'avais pas à m'en plaindre. Pure question de débrouillardise~
La discussion reprit de plus belle. J'eus droit à une anecdote dans laquelle Deikon et un homme masqué, tout vêtu de noir, eurent une anicroche pour une raisons assez confuse. L'histoire prit fin sur un poignet brisé - celui-ci du pseudo-héros au nom de chauve-souris.
Il avait pour ainsi dire donné une bien piètre image de l'humanité...

- Oh ! Rassurez-vous : ils ne sont pas tous aussi aliénés que ce drôle de personnage, objectai-je. Il arrive parfois que la passion ou le sens du devoir occupe une trop grande place dans l'esprit de mes semblables... Il ne faut pas leur en tenir rigueur : c'est une façon qu'ils ont de trouver un sens à leur existence. Vous savez, la paix et la routine peuvent générer de l'ennui pour ceux qui ne savent pas épuiser intelligemment leur temps. (Je me plaquai fermement une main sur le buste.) En ce qui me concerne, je n'en ai jamais assez ! Si bien qu'il m'est difficile de tout prévoir à l'avance.

Ah, ça ! L'organisation, c'est quelque chose !
A plus forte raison quand il y a des imprévus telle que la venue de ce guerrier, par exemple. Ou bien l'intervention suicidaire de Marisa qui s'en était suivie.
Les choses vont comme elles viennent. C'est ainsi ! Il faut toujours s'acclimater.
Par sa dernière remarque, Deikon m'offrit un exemple tenant de l'aubaine. En un sens, c'était assez flatteur de sa part même si je m'en serais bien passé !
J'inclinai modérément la tête sans déplacer ce poing que j'avais collé contre mon cœur.

- Vous me voyez ravie de l'apprendre, sifflai-je. Toutefois, heureusement que vous avez eu recours au conditionnel parce que malgré le peu d'expérience dont je dispose, je ne suis pas du genre à grimper aux rideaux avec le premier venu - sans vouloir vous offenser, et avec tout le respect que je vous dois.

Quant à cette pique dont Marisa fut la victime, je n'eus pas le temps de rebondir dessus ; l'intéressée eut tôt fait de nous donner son avis sur la question :

- Hey ! J'espère que j'aurais quand même eu mon mot à dire dans ton scénario, rouspéta la fermière. Et pis j'm'en fiche complètement de vos histoires bizarres ! (Elle marqua une pose avant de reprendre de plus belle.) En plus, j'suis plus aussi fragile qu'avant : j'suis devenue une vraie dure à cuire, moi, môsieur ! (Elle avait bandé ses petits muscles, le livre calé sous une aisselle.) Humpf ! J'ai eu mon quota de sommeil quand j'étais vissée au lit...

Triste époque pour cette jeune fermière que la vie n'a pas toujours gâtée.
Je n'avais pas eu l'occasion de la voir rongée par sa maladie cardiaque. Même si Marisa en conservait un léger traumatisme sur le plan moral, je m'estimais heureuse de la savoir en aussi bonne forme !
Elle savait très bien s'impliquer - et parfois un petit peu de trop...

- Mieux vaut que tu ne lui cherches pas querelle dans ce contexte, la conseillai-je. Je ne suis pas en mesure de t'enseigner quoi que ce soit sur le sujet. Tu feras tes... propres découvertes le moment venu. Et le plus tard sera le mieux.

- Euuh... J'suis pas sûre de bien comprendre de quoi on parle, là.

- C'est préférable, éludai-je. Maintenant retourne à ta lecture, frangine. Cela te sera utile pour la prochaine leçon, crois-moi.

Elle n’émit aucune objection. C'est souvent le résultat que j'obtenais en l'appelant "frangine".

Ha ! "Pas assez mûre pour être cueillie" qu'il disait en s'adressant à notre petite et fraiche fermière. Deikon mesurait ses paroles et plaçait ses mots avec sagacité. Il n'était pas une de ces brutes sanguinaires à queue de singe venues expressément sur Terre pour tout casser. Plus la discussion avançait, et plus je me confortais dans l'idée que les visiteurs en provenance de l'espace ne nourrissaient pas tous des desseins purement bellicistes.
Suite à tout cela, Marisa ne prit pas la mouche et, conformément à nos paroles enthousiasmantes, s'affaira plus intensément à sa lecture.
Appréciant le nouvel état d'esprit de mon élève, je hochai la tête par petites oscillations.

- On dirait que vous avez su employer les bons mots, diagnostiquai-je. Je vous tire mon chapeau.

Une tâche qui n'est décidément pas donnée à tout le monde. Moi la première, j’éprouvais souvent quelques difficultés à la faire aller en mon sens - en particulier sur le plan intellectuel.
Songer à lui apprendre les bases de la magie n'allait pas être de tout repos, ça non !

Bref. Je fus de nouveau la cible des flatteries de notre interlocuteur vêtu de vêtements bicolores. D'une façon plus ou moins subtile, il me fit comprendre qu'il n'était sûrement pas le premier à me courtiser. Et il n'avait... pas tort.
La première fois qu'un membre de son espèce avait tenté sa chance avec moi en me demandant carrément en mariage, le bougre avait osé le faire dans un cimetière.
En voilà un cadre diablement romantique !
Je me fis fort de ne point perdre contenance, restant aussi droite que possible face à mon compagnon de causette agréablement bavard. Par la suite, il s'épancha sur le cas de ses deux élèves. Celles-ci avaient apparemment des vues sur leur maître au point de virer jalouse.
Deikon avait beau dire mais je soupçonnais que cette relation maître-élève finirait tôt ou tard par se complexifier...
En tout, j'avais là une autre raison de lui tirer mon chapeau : entretenir deux femmes au caractère bien trempé, c'est à la fois un travail de long haleine et une tâche fichtrement ardue !

- Je constate que vous avez largement de quoi vous occuper ailleurs que sur notre belle planète ! lui fis-je remarquer. Deux élèves qui ont de potentielles vues sur vous... Conserver une certaine distance dans le cadre de votre enseignement avec ces dures à cuire ne doit pas être de tout repos ! Dans de telles conditions, j'ai franchement du mal à vous envier. (Je haussai une main du côté de ma lectrice.) Une seule Marisa me suffit amplement. Deux ? Ce serait vraiment la catastrophe ! (J'ouvris de grands yeux en agitant frénétiquement les bras.) Ciel ! Deux jeunes fermières intenables en voie de reconversion ! 'Pas sûr que notre pauvre Terre puisse y résister. (J'eus comme une soudaine prise de conscience qui me fit porter une main à mon menton.) Heureusement que l'ainée de la fratrie n'est pas comme ça. En y réfléchissant bien, c'est peut-être sur elle que j'aurais dû jeter mon dévolu...

- Paaaaaaaaaaaaaaardooooooon ??!!! hurla Marisa, qui s'était relevée d'un bond de renard. T-tu remets en cause ta propre décision ? M-m-m-m-mais !! J'm'en suis pourtant super bien tirée en escaladant cette fichue tour ! (Elle brandit l'ouvrage que je lui avais remis avec des mouvements anarchiques.) Et j'me tue même les yeux à la lecture ! Crévindiou ! Mais qu'est-ce qu'il te faut d'plus pour que tu soies fière de moi, Ryanne ?!

Oh ! Voilà qu'elle tirait sur la sonnette d'alarme. Je ne lui accordais pas moins de dix petites secondes avant de s'arracher les cheveux à pleines poignées. Elle n'avait pas l'air de se douter que je la taquinais depuis le début - et que je testais sa capacité de concentration, accessoirement.
Là où Valéria, sa grande et fort charmante sœur qui n'avait aucune disposition pour les exercices physiques, brillait pour sa maîtrise d'elle-même Marisa, elle, autrement plus impulsive, avait le chic pour perdre contenance.
Heureusement que cette menue poitrine renfermait un petit cœur bien solide !
Par mesure de précaution, je pointai un doigt en direction de la concernée afin qu'elle ne puisse pas s'attaquer à sa longue et flamboyante chevelure, la Télékinésie Zélodienne m'aidant à tenir ses mains haut en l'air.
J'eus presque l'impression de faire partie des forces de l'ordre - ne manquait plus que le képi !

- Pour ce qui est du sang-froid, on repassera~ gloussai-je.

Marisa ne fit pas mine de se débattre. Elle porta plutôt de grands yeux bleu interloqués à ses poignets, qu'elle ne contrôlait plus. Le livre qu'elle tenait dans sa main droite lui glissa des doigts et lui tomba sur le pied. Elle gonfla les joues dans l'espoir de retenir le cri qui menaçait de franchir le palier de ses lèvres...
Nous eûmes droit à un faible sifflement.

- Ne monte pas sur tes grands cheveux, frangine, la tempérai-je. Si je t'ai choisie, c'est en parfaite connaissance de cause, je te ferais dire. (J'eus un moment d'hésitation avant de lâcher : ) Tout en sachant bien sûr que Valéria ne ce serait certainement pas montré aussi douée que toi pour les travaux physiques. D'ailleurs, sur ce plan-là vous vous ressemblez beaucoup toutes les deux - si l'on met de côté la différence d'âge et de taille.
En résumé, ta sœur est plutôt du genre cérébrale tandis que toi, tu es une jeune femme d'action ! (Je baissai le doigt, m'étant aussitôt un terme à la force que j'exerçais sur ses bras.) Mais que ce compliment ne t'empêche pas de t'instruire car, comme te la si gentiment fait remarquer Deikon : les connaissances ont leur utilité~
Associe force et savoir et tu deviendras bien meilleure que ta grande sœur - je te le garantis !

Particulièrement fière de ma tirade, je détournai mon attention de ma très chère disciple pour la reporter calmement sur notre respectable extraterrestre à queue de singe.
En penchant légèrement la tête de côté, je lui glissai méditativement :

- A bien y réfléchir, vous avez raison : j'ai déjà été taquinée par un de vos semblables... "modernes", comme vous dites. Il s'agit en l’occurrence de ce même Baddack que j'ai mentionné au tout début de notre conversation, si vous vous souvenez bien. (J'eus un petit rire auquel je ne pus m'empêcher d'ajouter un mouvement de tête désapprobateur.) Ce grand crétin m'a carrément demandée en mariage, vous imaginez ? Comme ça, d'un coup ! Dans le genre rentre dedans on peut très difficilement faire mieux, n'est-ce pas ? (Nouveau rire, un peu gêné cette fois-ci.) Un sacré spécimen, celui-là !

Je me remémorai alors le contenu de cette fameuse rencontre, avec notamment la raison de son séjour sur Terre. Il était venu dans l'intention de... Tiens, tiens ?

- Ce qui me fait penser qu'il ne nourrissait pas les mêmes ambitions que vous, poursuivis-je avec lenteur. Lui s'était lancé sur les traces d'un certain Goku. (Nouveau temps de latence.) C'était son portrait craché, mais avec une impressionnante balafre sur la joue gauch-Ourgh ?!

Et là, au moment où je m'y attendais le moins, la terrible et imprévisible Marisa m'avait sauté sur le dos et s'était accrochée mon cou !

- Aaah ! Mais... qu'est-ce qui te prend ?!

- Bwaaah, RyRy' ! Tu peux pas savoir comme j'suis trop émue par tout ce que tu m'as diiiiiiiiiiiit ! piailla-t-elle en refusant de lâcher prise, ses joues baignées de larmes de joie. T'es ma maîtresse adorée ! Groooos câliiiiin !~

Très vite, je me retrouvais avec les cheveux trempés.
Quand il s'agit de faire pareille démonstration d'affection, Marisa était dotée d'une poigne de fer !

- Oh-Wow ! Tout doux, Marisa ! Tout doux ! N-n'oublie pas la distanciation sociale entre maître et élève, je te prie... Marisa ? (Faisant la sourde oreille, elle me trempait les épaules avec ses larmes d'une autre dimension.) Tu m'écoutes, Marisa ? (Non, pas vraiment !) ...Mariiiisaaaaaaa !!

Deikon philosophait sur la relation qu'entretenait un maître avec son élève. Je ne lui donnais pas complètement tort dans la mesure où Marisa et moi nous ressemblons dangereusement au niveau du caractère. Elle se montrait peut-être un peu plus impulsive que je ne l'étais à son âge et certainement pas plus réfléchie, mais force était de constater qu'on ne pouvait nier cette approximative ressemblance qui nous liait...
Néanmoins, il existait quelques différences notables avec d'autres individus !
Prenons pour exemple le Maître et moi-même. Celui-ci étant la représentation même du stoïcisme. Une figure taillée à la serpe, un visage à peine expressif ! Un sérieux implacable, que je n'ai jamais réussi à déformer par un vrai sourire. Une présence intimidante, même quand elle demeure dans le silence. Tout cela alors que moi je suis plutôt du genre - sans vouloir me vanter, bien sûr - : tendre, rigolote, compréhensive, diplomatique et souriante avec autrui.
Un contraste somme toute énorme !
Mais Deikon disait vrai dans le sens où le Maître ne m'avait pas "adoptée" par pur hasard. De la même manière que j'ai pris Marisa sous mon aile, le Maître avait vu en moi une combattante et une magicienne - ou plutôt une Envoûteuse - appliquée disposant d'un potentiel juste assez élevé pour me permette de venir à bout de sa formation draconienne. Précisons quand même que cette dernière s'est achevée sur un duel où ma vie eût été mise en jeu...
Je ne comptais point infliger le même traitement à cette puce rousse qui pesait de tout son poids sur mon dos.
Moralité ? Si le maître choisit bel et bien son élève après avoir vu en lui un reflet de sa personne, il sait que tôt ou tard celui-ci finira par muer.
Une transformations susceptible de dépasser ses attentes !
Trop occupée à décrocher la jeune fermière, j'avais laissé passer ma chance d'argumenter sur le sujet. Deikon, lui, s'était penché sur le cas de mon stupide prétendant. Il supposait que le dénommé Baddack m'avait fait sa demande simplement parce qu'il était tombé en émoi devant la puissance que j'avais déployée.
Pas très fin comme diagnostique mais... il avait néanmoins raison.
J'eus un profond soupir en ramenant Marisa devant moi. Elle avait le visage d'une illuminée et menaçait toujours de m'étreindre comme un doudou. Je la tenais au bout de mes bras, soulevée par les aisselles sans que ses pieds ne touchent le sol.
Je jetai un coup d'oeil à Deikon par-dessus cette figure larmoyante de mon élève complètement secouée.

- Je me souviens avoir combattu un type vraiment pas net à ses côtés, dis-je en évitant soigneusement de croiser le regard de la fermière. Ainsi qu'une autre personne pas moins dérangée qui s'était métamorphosée en quelque chose d'encore plus étrange... J'y suis peut-être allée un peu trop fort à l'époque. Bien qu'il n'y ait pas eu de mort à déplorer, je suis sûre que ces autres protagonistes en conservent un souvenir indélébile.

J'eus un haussement d'épaules. Il m'était impossible de savoir ce qu'étaient devenus cette femme mystérieuse et le nécromancien qui avait précédé son intervention belliciste.
Toutefois, cette brève histoire me permit de rebondir sur une réflexion faite par mon présent interlocuteur :

- Si vous voulez mon avis, les humains ne sont pas les seules créatures de cet univers à pouvoir être étiquetées comme "bizarreries". Je pense qu'il existe de nombreux cas compliqués au sein de chaque peuple. Des êtres à part. Des génies comme des fous qui se comptent à la pelle.

Marisa n'étant point parvenue à se calmer, je fis de nouveau usage de ma Télékinésie Zélodienne pour mieux la tenir à distance et profiter jusqu'à satiété de la présence de notre hôte. Cela ne me demandait que très peu d'efforts dans la mesure où, grâce au Compartimentage de l'esprit, le bon maintien de mon sort se reléguait en simple tâche de fond.
Alors que notre dynamique rouquine tournicotait dans les airs, Deikon revint sur ses propos en conférant un caractère fraternel à ma relation avec Marisa.

- Je ne vais certainement pas vous contredire là-dessus, gloussai-je en remuant les doigts à l'intention de mon élève, qui fut prise d'une crise de rire en se tortillant comme un ver.

Je m'amusais vicieusement à la chatouiller, oui ! Juste une stratégie pas très subtile pour la fatiguer et m'épargner ainsi une trop grande preuve d'affection de sa part.
Les rires enfantins de la bout-en-train réchauffaient encore plus l'ambiance qui régnait en ces lieux arides.

- Pour tout vous dire, c'est moi qui l'ai adoptée la première ! Je lui ai appris à voler en moins d'une semaine juste après avoir fait irruption dans le champ de son aînée. (J'eus un sourire éclatant.) J'en ai également profité pour adopter la grande, bien sûr ! Par seulement parce qu'elle est jolie, non - même si la nature l'a un peu plus gâtée que moi. Disons que son sens de l'hospitalité et sa bienveillance ont fait en sorte que je suis tombée sous le charme. Du coup, j'en ai fait un membre à part entière de ma petite famille~

Enfin... "petite", quand même ! Je veillais à son expansion jour après jour, entre ma fille adoptive Arcadia ayant disparu de la circulation - probablement occupée à produire quelques miracles de guérison dans les hospices, ou même à sillonner l'espace dans sa grande quête humanitaire - et Yggdrasia, ma meilleure amie Hamadryade qui n'a de cesse de me faire des avances.
Tout cela en faisait du monde.
Et un très beau monde, d'ailleurs !

- Ah ah ah ah ah !! J'crois que j'vais... Ha ha ha ha !... me faire dessuuuuuus ! parvint à crier la suppliciée qui s'était crispée, les mains pressées vous savez où. A-au s'cours ! Faut que ça s'arrêteEeEeEeUuUuuUuh !

Euh... Oula ! Il y avait urgence, là !
Je relâchai aussitôt l'emprise que j'exerçais sur Marisa - en y allant petit à petit, sinon elle risquait de se vidanger sur place pour notre plus grande honte.
Je la vis retomber sur ses jambes et se mettre à danser un pied sur l'autre.
D'un geste impérieux, je lui intimé de filer au petit coin - c'est à dire : derrière un de ces grands rochers poussiéreux qui agrémentent le paysage.

- Tâche de te retenir et fonce faire ça là-bas. Sinon tu seras de corvée de lecture jusqu'au lendemain matin !

Son départ fut explosif ! Il avait soulevé un fin nuage de poussière brunâtre et creusé deux profondes empreintes de pas dans la pierre dure.
Je relevai les yeux sur Deikon après avoir constaté cela.

- Cette fille n'est vraiment pas croyable, soupirai-je. Mais j'y tiens beaucoup. Sur Terre, vous n'en trouverez pas deux comme elle.

J'en profitais pour faire un peu de rangement dans ma collection de livres. La pile à laquelle s'était adossée Marisa reposait par terre, dégoulinante d'ouvrages aux pages battantes qu'un maigre courant d'air s'amusait à souffler.

Pendant que notre chère fermière aspirait à s'alléger la vessie, j'eus droit à un long speech sur les relations de mon interlocuteur.
Il était question de ses deux élèves, bien sûr ! Des jeunes guerrières au caractère bien opposé. Des sœurs au passé désastreux aussi, à en croire la fin de leur monde orchestrée par la main-même de leur maître actuel qui ne s'était pourtant pas gêné pour me le dire de vive voix - comme si c'est tout à fait naturel de rayer un peuple entier de l'histoire.
J'eus un haussement de sourcils en considérant le passif criminel, pour ne pas dire carrément génocidaire, de ce Saiyan que j’espérais pourtant... différent de ses semblables toute époque confondue ? Mais, apparemment, la violence et le besoin de détruire constituent leur principale ligne directrice...
Je trouvais cela terriblement dommage - et pas seulement pour leurs victimes.
Il me fallut prendre sur moi pour passer outre cette folle histoire et me concentrer sur les révélations de Deikon.
Calmement, je développais alors une hypothèse...
Si ses deux apprenties avaient fini par accepter d'en faire leur maître après ce qu'il avait infligé à leur environnement, cela signifiait soit qu'il leur avait rendu service de cette morbide manière soit qu'il leur inspirait une telle peur qu'elles avaient renoncé à leurs griefs.
En guise de conclusion, Deikon me fit savoir par l'ironie que lui non plus ne nourrissait aucun désir de vengeance à l'encontre de celui qui s'était permis de réduire sa planète natale en particules stellaires.
Eh ben ! C'est qu'il s'en passait des choses surprenantes dans notre univers !
Heureusement que la Terre en avait été épargnée... même si cette récente intrusion démoniaque prêtait à penser le contraire.

- En voilà, une fratrie bien compliquée ! m'exclamai-je. Essayez au moins de ne pas leur inculquer vos pulsions les plus noires. J'ai bien conscience que l’univers est vaste et que les étoiles sont innombrables, mais ce n'est pas une raison pour avoir la main lourde...

C'est un gâchis monstrueux que d'éradiquer un peuple entier. Les guerriers comme Deikon ont tendance à oublier le temps que cela prend pour que la vie émerge des océans et déferle sur les continents. Absolument rien ne peut justifier une décision aussi extrême - j'en restais persuadée.
N'étant pas parvenue à mettre tout cela de côté, je me fis fort d'en refouler le contenu en recourant au Cœur de pierre.
De cette manière, mon expression se fit plus neutre, mon regard moins critique...
Je n'avais aucune envie de transformer cette simple discussion en une querelle potentiellement destructrice, autant pour nous deux que pour la terre que nous foulions.
J'inclinai légèrement la tête en écoutant l'analyse de notre invité surprise par rapport aux liens que j'avais su nouer avec Marisa.

- En effet, affirmai-je avec patience. Nous sommes autrement plus proches que cela. Les mots me manquent pour mieux définir notre relation, mais je soutiens l'idée qu'elle a plus tendance à se situer au-delà d'un quelconque lien filial.

Traduction : je pourrais bien envisager de donner ma vie pour préserver celle de notre bienheureuse rouquine ! Enfin... dans la mesure du possible, j'aimerais mieux éviter d'en arriver à de telles extrémités ; Marisa était bien loin d'avoir achevé sa formation. Par ailleurs, je n'en démordais pas non plus ; il me restait encore quantité de choses à apprendre - et pas seulement dans le domaine des arts martiaux et de la magie.
Pour cela, quoi de mieux que de s'intéresser aux autres ?
Cela tombait bien parce que Deikon, justement, avait dans l'idée de me fournir de plus amples renseignements sur ses origines...
J'eus un mouvement de tête intéressé lorsqu'il eut prononcé mon prénom. Ce qui suivit m'incita à loucher sur cette curieuse marque imprimée non loin de sa nuque - symbole de son appartenance à une tribu déchue : le clan des Oskoreas, les "traqueurs de la lune".
Deikon s'était à moitié déshabillé pour me la montrer.
Un simple coup d'oeil à l'endroit où s'était éclipsée Marisa m'apprit que cette dernière n'avait pas choisi le mauvais moment pour se manifester.

- D'accord. Je vois, répondis-je en tout sobriété au partage culturel de l'épéiste saiyan. C'est un honneur que vous daignez bien me montrer ce symbole, mais que dois-je en conclure avec tout ce que nous avons échangé depuis le début de cette rencontre fortuite ? Dois-je comprendre par là que vous envisagez de bâtir un nouvel ordre en vous reposant sur les vestiges culturels de votre tribu ? Cette nostalgie que vous semblez éprouver vous poussera-t-elle à redorer le blason des Oskoreas ? (J'eus un léger mouvement de tête interrogatif.) Comptez-vous initier vos deux élèves à votre culture ? Et si jamais, du jour au lendemain, l'une d'entre-elles souhaite emprunter une voie différente à celle que vous lui proposerez, comment réagiriez-vous ?

Soudain, dans mon champ de vision périphérique, je captai un mouvement suspect.
J'avais peut-être parlé un petit peu trop vite tout à l'heure ; la silhouette de Marissa se découpait dans le paysage rocailleux. La petite rouquine, toute trébuchante, se ruait dans notre direction en agitant vivement une main au-dessus de sa longue crinière.
Les doigts de son autre main crispée sur un pan de sa robe, elle ouvrait la bouche et criait quelque chose d'indistinct à cette distance...

- Hum ? fis-je en plissant les yeux.

Je remarquai alors qu'elle était suivie de très près par une ombre massive. En levant les yeux, j'appris qu'une espèce de gros ptérodactyle carnivore l'avait prise pour cible.
J'eus tout de suite un sourire ironique.
Avec sa puissance actuelle, Marissa aurait très bien pu s'en débarrasser sans rencontrer la moindre difficulté mais, vraisemblablement, elle n'était pas parvenue à contrôler ses émotions.
En outre, j'avais comme l'impression que son poursuivant s'en était pris à elle au moment le plus dérangeant de toute sa courte vie...
Je fis signe Deikon de m'accorder un instant.

- Prenez le temps de réfléchir à toutes ces questions, soupirai-je. Marisa nous a ramenés de quoi faire pitance.

Elle avait juste omis de cuisiner la bête !
Je tendis une main en hauteur pile au moment où les mâchoires effilées du ptérodactyle menaçaient de se refermer sur les cheveux de la concernée.
Sans comprendre ce qu'il lui arrivait, notre soit-disant prédateur aviaire, vicieusement attiré à moi, fit claquer son bec dans le vide. A mi-chemin, tout perturbé, il changea de cible et entreprit de m'emporter avec lui dans un ultime plongeon...
Je n'eus qu'à baisser la main pour le contraindre à la chute ! Alors, tandis qu'il s'écrasait au sol de manière incontrôlée tout en creusant derrière lui une large tranchée, je bondis en l'air pour ensuite retomber, les jambes tendues, sur son cou exposé.
Un craquement sec retentit dans la plaine aride, sonnant la fin de ce combat à sens unique.
Légèrement incommodée par la poussière volatile, je m’époussetais distraitement, mon attention redirigée sur une Marisa pantelante.

- Eh bien ? On s'est laissée déconcentrer par un casse-croûte ailé, mon petit aimant à ennuis ?

- Cette saleté de ptérodactyle m'a attaquée pendant que je... (Elle rougit à l'excès, manquant s'étouffer avec ses propres mots.) C'est vraiment pas drôle ! (Après cet éclat, elle ajouta plus piteusement, la tête basse : ) Je me suis éclaboussée les bottes...

Je haussai les épaules.

- Allons ! ce n'est pas pire que de marcher de bon cœur dans un tas de crottin... Tâche de penser à autre chose, va ! (Agressée par des relents acide, je fronçai le nez.) Quoique. Je te demanderais simplement de bien vouloir te déchausser.

- Mais je n'ai pas d'autre paire, protesta faiblement la miss.

D'une compilation de petits gestes rapides, je composai le tracé de la Rune Berkano. La magie invoquée fit croître presque instantanément une pelouse verdoyante, qui trouva même le courage de s’épanouir là où le dinosaure volant avait fait des ravages.

- Profite donc de ce tapis de verdure pour te reposer les pieds, dis-je à mon élève scotchée par le spectacle. Tu iras nettoyer tes bottes plus tard.

Alors que je voyais du coin de l’œil Marisa se hâter d'ôter ses bottes souillées, j'eus un sourire de bienvenu à l'attention du saiyan.

- Un petit barbecue, cela vous tenterait-il ?

De quoi lui donner l'occasion de m'en raconter davantage sur sa vie d'avant, et ce dans un cadre autrement plus agréable !

Dans l'ensemble, tout ce que m'avait révélé Deikon au sujet de son clan me laissait satisfaite. Il fonctionnait à peu près comme les anciennes tribus terriennes, avec d'un côté les sangs purs et de l'autre les "étrangers acceptés" - que le saiyan avait baptisé "les ombres".
Il n'avait cependant point approfondi le sujet, et il m'était donc un peu plus difficile d'imaginer les avantages ou les inconvénients relatives à cette deuxième et dernière catégorie de membres. Néanmoins, je me disais que ces fameuses "ombres" pouvaient être représentées, à titre d'exemple, par les deux élèves de l'Oskoreas. Mais que cela fut vrai ou non, ce dernier s'estimait tout de même à lui seul capable de faire "vivre" la mémoire de son clan.
Ceci dit, pour y parvenir, il avait tout intérêt à léguer ses connaissances à des personnes de valeur - souvent, la vie d'un guerrier est plus courte qu'on ne le pense.
D'où mon questionnement sur ses vaillantes compagnonnes !
Après avoir accepté bien volontiers de partager de cette bonne grosse viande de dino' avec nous, Deikon me rassura dans l'idée qu'il ne forcerait pas les deux guerrières à emprunter la voie qu'il s'était lui-même tracé.
J'eus un mouvement de tête approbateur.

- Vos pensées sont justes, lui confiai-je tandis que descendais de ma défunte proie. Pour un élève, le libre arbitraire est chose importante.(j'eus une pensée pour Marisa.) Sous certaines conditions, bien sûr !

Malgré sa récente agitation, je m'estimais heureuse qu'elle n'ait pas entrepris de visiter la mésosphère avec sa compétence de vol - comme quoi notre énergétique petite fermière sait refréner un peu ses ardeurs lorsque sa vie entre en jeu.
Cela m'aurait beaucoup ennuyé de la retrouver frigorifiée à des kilomètres d'altitude, ou pire : asphyxiée !
Je réprimai un frisson en me projetant mentalement l'image du visage grisâtre d'une pauvre gamine de quatorze maigres années de vie. Comme pour chasser ces noires pensées de mon esprit, je secouai la tête et me concentrai plutôt sur la préparation du repas.
Par-dessus mon épaule, j'entendis Deikon m'exposer une modeste requête. Il convoitait "un os ou deux de la bête vaincue".
J'arquai un sourcil sans tourner la tête vers l'intéressé.

- C'est bien la première fois que l'on me demande une chose pareille.

Je me trompais sûrement mais j'avais l'impression qu'il éprouvait davantage d'intérêt pour lesdits os plutôt que pour la viande qui s'y trouvait encore attachée. Il ne fallait toutefois pas se méprendre : en tant que saiyan, la perspective d'un repas consistant devait le faire au minimum saliver !
Sous les yeux attentifs de Marisa - qui n'avait pas quitté son poste, assise dans l'herbe nouvelle, pieds nus - je fis apparaître, telle une extension de ma main droite, une lame de Ki impeccablement mauve.
J'eus un léger rictus en écoutant la petite rouquine s'extasier dessus.

- Trooop classe, souffla-t-elle sans toutefois bondir sur cette occasion pour me demander de lui enseigner cette technique.

Armée d'un outil plus que tranchant, je découpai méthodiquement notre malheureux ptérodactyle avant d'entreprendre de le faire cuire par simple procédé magique.

- Vous comptez vous en faire un souvenir, Deikon ? finis-je par lui demander sur le ton de la discussion. Ou un talisman, peut-être ? (Je ne pus m'empêcher de lui couler un regard en coin.) Parce que vous ne m'avez pas l'air d'éprouver un quelconque intérêt scientifique pour la faune de notre belle planète. Sans compter la présence de vos épées, qui prêtent à penser que vous n'avez certainement pas dans l'idée de tailler un ou deux de ces os dans le simple but d'en faire des armes primitives. (Je secouai une main à hauteur d'épaule comme pour signifier l'inutilité de mon verbiage.) Enfin, j'imagine que vous attendiez mon aval pour vous épancher là-dessus. Excusez mon intarissable débit de mots : en tant que magicienne, j'ai souvent tendance à m'exprimer plus que nécessaire~

- Ah, ça j'te le fais pas dire ! ricana Marisa.

Vile opportuniste.
Mon regard taquin capta aussitôt le sien.

- Envisagerais-tu d'être privée de dessert, jeune et impétueuse apprentie ?

Elle ouvrit la bouche pour me répondre quelque chose au tac ou tac mais, finalement, s'en abstint. Emprunts d'interrogation, ses sourcils roux s'étaient arqués.

- Hein ? un dessert ? (Elle promena son regard sur les alentours et reprit de plus belle : ) 'Y avait un dessert de prévu ? Mais j'le vois pas !

J'eus un mauvais rictus - celui d'une sorcière de fiction, comme celles qu'on caricature dans les contes.

- Effectivement, tu n'en vois aucun, roucoulai-je. Mais ai-je spécifié que cette privation s'appliquerait à CE repas en particulier ? C'est drôle : je n'en ai pas souvenir~

Elle finit par comprendre où je voulais en venir, en conséquence de quoi un sursaut la prit.

- Ah ! ...Hé ! Mais c'est... c'est d'la tyrannie ! scanda la fermière outrée. Tu attendrais que ça tombe sur mon dessert préféré pour m'interdire de le manger ?! Pouah ! Mais t'es monstrueuse, Ry' ! Tu peux pas m'faire ça, quand même... si ?

- Ha-ha ! C'est moi qui détiens toutes les clefs, je te rappelle~ Ce qui signifie, par extension, que je peux t'infliger toutes les punitions qui me viennent l'esprit - et sans me soucier des délais - si tu m'enquiquines. Sur toi, chère disciple, j'ai tous les droits... (j'ajoutai à voix basse.) Sauf peut-être le droit de cuissage - ce qui n'est pas plus mal.

Elle m'avait entendue car, après deux secondes, Marisa interrogea du regard son entourage en demandant naïvement :

- Ah bon ? Et ça consiste en quoi exactement, ce "droit de cuissage" ?

Effectivement : elle avait l'ouïe diablement fine !
Je roulai des yeux au ciel tout en me tournant vers Deikon pour lui suggérer le silence d'un index dressé devant ma bouche.

- Tu n'as... pas besoin de le savoir étant donné que cela ne te concerne pas, lui expliquai-je sobrement.

Installée en tailleur, Marissa répliqua avec un petit sourire d'enfant :

- Pas grave ! J'demanderais à Valéria ce que ça veut dire~

Alors que j'étais sur le point d'allumer un Feu Primordial pour accélérer la cuisson de la viande à vitesse grand V, je manquai plonger tête la première dans notre repas en devenir.
Je posai sur ma disciple un regard de mauvais augure.

- Tu ne vas rien lui demander du tout, oui ! Parce que si tu t'y risques crois-moi, petite tête, quand je te dis que tu vas t'en souvenir.

A ma grande surprise, la fougueuse jeune fille croisa les bras sur sa poitrine et, l'air chafouin, caqueta insolemment :

- Si tu te mets à me menacer avec ces yeux-là, ça veut dire que t'as sorti une obscénité que tu n'assumes pas.

Bouche bée, je m'interrompis à la suite d'un hoquet.
Cette petite n'était pas en reste ; elle savait bien se défendre, la bougresse !
Muette, je la regardai s'étendre tranquillement sur le dos, les mains jointes derrière sa nuque, un petit sourire rusé fiché au coin des lèvres...

- T'en fais pas, va ! Cafter, c'est pas mon truc. J'serai muette comme une carpe ! Tu peux compter sur mon... indulgence, voilà ! Comme tu le rabâches si souvent, ce mot a fini par rentrer~

- Urk... touchée !

Par ma propre épée en plus.
Garce. La vilaine petite garce~

Pendant que Marisa et moi nous chamaillions gentiment, Deikon était occupé à bricoler je-ne-savais-trop-quoi avec son prélèvement osseux. Même si je n'en donnais pas l'air, je suivais son activité du coin de l’œil. Très vite, j'eus la certitude qu'il n'était pas question pour lui de créer une arme ou quelque outil dans le genre. A sa manière de bouger les mains et de manipuler le matériau, je ressentais quelque chose... d'étrange. On aurait dit une sorte de rituel. Il y avait tout un savoir-faire derrière le processus de création de son "talisman" - ou devrais-je plutôt dire "ses talismans" ?
Entre-temps, je prenais garde à ne pas carboniser le seul repas dont nous disposions. Avec le Compartimentage de l'esprit, je ne risquais pas grand-chose à suivre deux activités en même temps non sans accomplir l'une d'entre elles.

- Ça sent rudement bon ! piailla Marisa, visiblement revenue sur un terrain d'entente. (Il ne lui fallut pas plus de deux secondes pour briser ce tableau.) C'est bientôt prêt ? Pouaaaah ! J'ai une de ces fringaaaaales !

Elle se roula dans l'herbe. Je m'estimais heureuse qu'elle le faisait loin de ses bottes souillées.
Que me lancerait Valéria à la face si jamais je lui ramenais sa petite sœur imbibée de sa propre urine ?
La soufflante aurait sans doute été terrible autant envers la jeune Teritt que pour votre humble servante !

- Ça vient, ça vient ! chantonnai-je. Tu n'es pas sans savoir que la patience est la mère de toutes les vertus - quand bien même c'est l'estomac qui porte les jambes~

- Ah bon ? s'enquit naïvement la fermière en continuant inlassablement de rouler sur elle-même. Je ne te l'aies pas entendu dire si souvent que ça... Enfin, j'crois ?

Je roulai des yeux au ciel.

- Tu n'es pas toujours très intéressée par ce que je dis, lui fis-je remarquer. J'ai parfaitement conscience qu'une bonne partie de mes bons conseils sont très certainement passés à la trappe.

Avec l'aisance de l'habitude, je faisais léviter la viande d'un simple bras tendu. Mon autre main me servait à la faire tourner comme sur une grande broche.
J'eus un sourire espiègle à l'adresse de l'intenable rouquine.

- D'où l’intérêt que j'éprouve à te les "rabâcher", ma chère ! Je ne m'y prends pas par hasard.

Fascinée, elle lorgnait les anneaux de feu mauve qui crépitaient autour de la bidoche.
Cette dernière était bientôt prête, mais je faisais durer le plaisir !
C'était aussi pour moi un excellent exercice : le Feu Primordial n'est pas du tout facile à l'emploi.

- Surtout dans des circonstances semblables à celle-ci, où tu n'as d'yeux que pour la viande et la magie que je produis.

Le front soudain plissé, elle mit un certain temps à répliquer :

- Détrompe-toi ! J'suis super attentive à c'que tu m'dis.

- Tiens donc ! Alors pourrais-tu me répéter mot pour mot tout ce que je viens de te dire depuis ces deux dernières minutes ?

- Euuuh...

- Merci pour ta franchise ! (J'inspirai une bonne goulée d'air parfumée avant d'interrompre la rotation de la carcasse fumante.) C'est prêt !~

Juste le temps de composer le signe inversé de Ferhu et de récupérer mes précieuses flammes qui ne peuvent pas s'éteindre d'un simple claquement de doigts.
J'étais sur le point de débiter notre remarquable pitance en parts égales quand j'entendis Marisa exulter comme la digne enfant qu'elle était.

- Waaah ! J'trouve ça super bien fait, dis-donc ! Regarde-moi ça, Ry' !

En me tournant vers elle, j'eus droit à un pendentif semblable au sien. Cérémonieusement, Deikon s'était levé pour nous le passer autour du cou, l'une après l'autre.
Pendant un instant, les yeux baissés sur le bijou, je ne sus quoi dire.
Une occasion pour le saiyan qui m'avait offert ce présent de nous expliquer son geste.
Il était donc question d'un "lien d'amitié avec son peuple". Une marque de reconnaissance, représentation physique de ce lien qui nous unissait moi, Marisa et lui - par la présence de son sang et de son Ki cristallisé.
Tant que cela ne faisait pas de nous ses donzelles, je n'avais pas de raison de refuser présent si honorable ! d'autant plus que ça lui en avait pris du temps. Rien d’étonnant à cela, car la conception d'une telle amulette exigeait beaucoup de minutie...
Je relevai la tête en arborant un sourire digne dudit cadeau.

- Je la trouve très originale, dis-je au guerrier à queue de singe avant d'incliner la tête. Et c'est pour moi un grand honneur de la porter. Merci à vous, fier guerrier du clan des Oskoreas ! Soyez sûr que j'en prendrai soin~

Je n'eus guère besoin d'implorer Marisa de lui faire part de ses remerciements les plus sincères. Avec son dynamisme habituel et son ouverture d'esprit, elle le fit tout naturellement.

- Merci, Dei'dei' ! T'es vraiment un chic type~ P't'être même l'un des plus généreux que je connaisse parmi nos visiteurs de l'espace, c'est te dire !

Eh bien... Quelle reconnaissance !
Il aurait presque fallu lui attacher une laisse autour de cou tant elle paraissait excitée. Je n'aurais pas été étonnée plus que ça de la voir se jeter au cou du saiyan et de lui faire la bise.
Heureusement qu'elle savait se tenir. Un minimum, on va dire.
Bref ! Un index pointé vers la viande volante, je toussotai dans mon poing afin de signifier à mon bel entourage qu'il était temps de casser la croûte.

- Je vous invite à vous servir en premier, Deikon. Prenez la portion qui vous sierra le mieux ! Je m'en voudrais que vous quittiez cette planète le ventre creux.

Dans le prolongement de mon index tendu jaillit une lame de Ki aussi large que celle d'un couteau de chasse.

- A moins que vous souhaitiez que je me charge du service ? Ça ne me pose aucun problème. Mais j'ai bien peur de sous-estimer la quantité de nourriture que vous pouvez ingurgiter.

Parce que j'en connaissais une en particulier qui ne manquait pas d'appétit à tout repas confondu !