Enjoy the show !~:

Tenir tête à ces trois adversaires n'avait rien d'une partie de plaisir ! Brognÿ avait beau avoir perdu le morceau le plus dangereux de sa hache, ça ne l'empêchait pas d'essayer de me pulvériser avec la hampe. Heureusement pour moi, il y mettait bien davantage de puissance que de précision.
En revanche Ralarth, lui, combattait avec un équilibre des plus admirable ; il enchaînait les coups de poing et les coups de pied si vite qu'il m'était souvent compliqué de les éviter. Autant vous dire qu'il ne me laissait pas l'occasion de contre-attaquer...
Et tout ça c'était sans compter les multiples interventions de Vefa ! Avec ses maudits astres aqueux, les jets létaux fusaient par averses.
Je n'étais pas omnisciente : parmi toutes ces nombreuses offensives, certaines me touchèrent. Néanmoins, j'avais pris mes précautions depuis cet épisode disons... un petit peu olé-olé ? En terme de solidité, mon vêtement en Tisse-Rune n'avait plus grand-chose à envier à l'armure noire des possédés. J'accumulais les écorchures - jamais rien de grave.
Je privilégiais toutefois les esquives aux parades de dernière minute. Dans de telles circonstances, il m'était impossible de faire du surplace et de compter sur mon unique défense. La sauvagerie de mes opposants dépassait tout ce que j'avais imaginé jusqu'ici !
Il était urgent que je m’aménage une fenêtre de tir, car l'épuisement aurait tôt fait de me miner entre ces deux brutes. D'autant plus que je nourrissais l'espoir de les débarrasser une bonne fois pour toute de leurs maudites armures...
Dans le feu de l'action Ralarth entreprit de m'infliger un formidable revers du poing ! Je me baissai pour l'éviter. Les deux mains refermées sur le long manche de sa hache sans tête, Brognÿ saisit cette opportunité en essayant de m'éclater le crâne d'un coup descendant. Avec un timing impeccable qui frisait l'absurde, j'ondulai en arrière. Avisant mon esquive, Ralarth modifia son axe de frappe. Je fus plus rapide que lui en le repoussant d'un coup de pied retourné. L'impact le fit glisser sur trois mètres. Il avait freiné sa course en enfonçant ses talons dans la terre, y creusant deux vilains petits sillons.
Entretemps, la Ritualiste avait rechargé ses satellites contre nature. Désireuse d'en finir avec l'intruse - devinez qui ! - elle en avait déjà produit trois ! Ceux-là menaçaient de me transformer en passoire malgré ma proximité avec Brognÿ.
Grognant d'indignation, ce dernier leva sa matraque. Je m'étais accroupie dessus, si bien qu'il me catapulta dans les airs au lieu de m'infliger le moindre dommage. Les rayons liquides sifflèrent sous mes semelles, me manquant de peu !
A l'aune de mon saut, j'esquissai un mouvement rapide en direction de Vefa. La surprise se lisait sur ses traits au moment où un froid polaire la frappa de plein fouet, elle mais également ses invocations pernicieuses. Dépouillée de ses velléités offensives, elle dut se protéger le visage avec les mains.

- Petite mise en bouche, dis-je avant que les lois de la gravité ne me rappellent à elles.

Dès l'instant où mes pieds touchaient terre, Ralarth et Brognÿ se ruèrent à ma rencontre comme deux charognards sur un bout de viande !
J'avais pris mes dispositions alors même que je chutais, la Rune Berkano sollicitée en une attaque chargée. Les genoux fléchis, une main précise appuyée au sol, mes assaillants eurent le tort de ne pas se poser de question quant à ma surprenante immobilité. Ils ne furent pas déçus du voyage quand un mur de racines émergea, les percutant avec une telle force et sur une telle longueur que je les perdis presque de vue !
Les cavaliers s'étant éparpillés, la voie vers leur reine était maintenant dégagée.
Son environnement rogné par un froid mordant, Vefa était rentrée dans une colère noire. Plus question de chanter : elle sifflait de rage en se débattant comme un beau diable !
Occupée comme elle était à s'écorcher la peau à grands coups d'ongles, elle ne me vit pas arriver. Je n'eus aucun mal à l'expédier dans le lac. Au contact de l'eau, le corps frigorifié de la Ritualiste répandit son poison, gelant la surface ridée par son passage.
Je me frappai les mains l'une contre l'autre.

- Elle aura de quoi s'occuper pendant un bon moment, sifflai-je en pivotant vers ses paires.

Ce nouveau d'attaque, Ralarth et Brognÿ, intacts, escaladaient les racines noueuses telles deux hyènes affamées.
J'eus un sourire en coin.

- C'est bon ? Vous vous êtes assez dépensés ?

Presque cérémonieusement, je levai un poing gorgé de pouvoir. Entre mes doigts, des volutes glacées fuitaient. Mon autre main côtoyait mon front, là où je devinais que la Rune Ferhu brillait activement d'un feu mauve.

- Vous allez recouvrer vos esprits - et ça, je vous le garantis !

Les mauvaises habitudes ont une chemise de fer : tête baissée, le duo enragé me fonçait dessus.
Au moment où j'ouvris le poing, une fantastique vague de fraîcheur se répandit dans la zone ! Ralarth et Brognÿ furent confrontés à un nouveau mur. Et celui-là, ils ne pouvaient pas l'escalader ni même le briser par des moyens physiques. En outre, l'air était si lourd que même dans leur état second les guerriers, enfermés dans leur armure, ne se risquèrent pas à forcer le passage !
Dans mon cas, la pratique du Tumo me gardait bien à l'abri de tous ces maux. Je me tenais dans l’œil du cyclone, et ce n'était là que la première phase de mon plan.
La seconde infusait mon autre main, que j'avais ramenée en arrière...
Tout de même, quelle ironie ! cette dérivée élémentaire de la technique que je m'apprêtais à déployer était conçue pour réduire en purée mes opposants. Et pourtant, dans le cas présent, elle allait me servir à détruire les chaînes qu'ils portaient.

- Il va bien falloir que je lui trouve un nom, un de ces jours...

Par à-coups, l'énergie ardente enfermée dans mon poing manifestait son envie de sortir ; tout en gardant un œil prudent sur mes adversaires, je la fis enfler, encore et encore...
Ralarth et Brognÿ griffaient l'air. Ils avaient beau s'agiter, se débattre contre le froid ambiant : ils n'avançaient qu'à tout petit pas. A travers l'épaisse visière de leur casque, les deux hommes expiraient des panaches d'air glacé.
J'avais une bonne raison de patienter : je calculais mon coup, estimant en silence la résistance de leur sinistre équipement. Je m’imaginais que, comme pour Bast, la différence de températures anéantirait leurs défenses.
Les écailles noires qui les composaient avaient blanchies.
Au milieu de ce déluge glacial, concentrée au maximum, je n'avais pas bougé d'un pouce.
Ce fut au moment où mon poing se mit à trembler d'une puissance sourde que je décidai de l'abattre sur la paume de sa comparse !
A ce cataclysme polaire, un ouragan incandescent s'ajouta. Le rugissement du feu primordial et le sifflement de la glace se mêlèrent dans une affreuse cacophonie ! Le son qui en résultait était si fort qu'il n'aurait eu aucun mal à couvrir le chant de Vefa. D'ailleurs, si celle-ci avait eu l'audace de quitter sa prison de glace à cet instant précis, elle y aurait laissé la vie - ce qui n'était pas le but de la manœuvre.
Coincés dans cet enfer sans nom, écrasés par un conflit qui les dépassait complètement, Ralarth et Brognÿ se ramassèrent sur eux-mêmes. Ils ne respiraient sans doute plus, ou alors très difficilement.
Au cœur de ce chaos, leurs silhouettes se déformaient, s'étiraient bizarrement. En plissant les yeux, je m'aperçus avec soulagement que leur équipement macabre, mis à rude épreuve, s'émiettait écaille par écaille.
Un silence mystique s'étala dans la durée, comme si le temps lui-même s'était figé...
Puis vint enfin l'onde de choc - terrible, titanesque ! Il y eut un craquement sonore, suivi par un coup de tonnerre à vous en vriller les tympans. Mon mur de racines - déjà en fort piteux état - disparut en un rien de temps, vaporisé par la formation d'un énorme cratère au-dessus duquel mes opposants se contorsionnaient comme des pantins désarticulés. Parmi eux, des mottes de terre et des résineux d'écorces volaient en tout sens.
Lorsque la terre cessa enfin de trembler, le corps de Brognÿ s'écrasa dans un bruit sourd. Celui de Ralarth suivit aussitôt le mouvement.
Avant même de me soucier de mon état de santé - somme toute irréprochable - je me précipitai à leur rencontre, glissant dans le cratère encore fumant. Il n'y faisait plus ni chaud ni froid. Hormis le roulement de quelques pierres, on y entendait rien...
En marchant, je remarquai que la terre que je foulais avait pris une consistance étrange sous mes semelles. Pire encore : un curieux mélange de neige et de cendres virevoltait au-dessus de ma tête.
Dans la zone, tout était comme... déréglé ?
Je m’accroupis aux côtés des aventuriers et me rendis compte, avec un certain soulagement, qu'ils n'avaient pas succombé à mon nouvel arcane. Ceci dit, ils étaient quand même dans un sale état, leurs vêtements tantôt gelés par-ci, tantôt brûlés par-là.
Je doutais fort d'avoir le temps de les prendre en charge par mes propres moyens, aussi sacrifiai-je une modeste partie de mon énergie pour invoquer deux Filles de la Nature qui se hâtèrent de les transporter en lieu sûr à travers la sylve.

En remontant le cratère dans le sens inverse, à peine parvenue à son sommet, j'entendis comme un bruit d'aspiration. Cela me fit tout de suite penser à ce portail que j'avais emprunté aux côtés d'Yggdrasia, juste avant d'apparaître dans cette même époque.
A quelques pas de ma position, une ombre tourbillonnante allait en s'élargissant.
Je levai les yeux pour les poser incidemment sur un vortex en pleine expansion. Il était d'un noir troublant, au même titre que ce curieux personnage qui s'en extirpait avec un calme souverain. L'intégralité de sa tenue ample et sobre en partageait effectivement la teinte. De prime abord, son porteur avait l'air d'un homme mais je voyais bien à son regard condescendant qu'il n'en était rien.
Il y avait quelque chose de malsain chez ce diable au visage émacié ! de lourd et d’inquiétant aussi...
Les bras écartés, planant avec un semblant de grâce, cet homme qui n'en était pas vraiment un finit par mettre pied à terre.
La faille par laquelle il avait fait son apparition disparut dans un chuintement.

- Nous nous rencontrons enfin, Envoûteuse, sourit-il d'un air guindé. Tu m'excuseras de t'avoir fait patienter aussi longtemps, mais j'éprouvais le besoin de te voir à l’œuvre pendant que mes pions s'en donnaient à cœur joie avec tes glorieux compagnons.

Que d'ironie dans ses paroles ! notamment avec l'emploi de ces deux derniers mots, où la moquerie en était devenue presque palpable.
J'eus un froncement de sourcils. Les doigts de ma main droite rôdaient à proximité du manche de la Caladbolg.
Si je n'avais pas affaire au Drac, il ne pouvait s'agir que de son monstrueux collaborateur...

- A qui ai-je le déshonneur ? demandai-je par pure insolence.

- Ne joue pas. Je te sais suffisamment rusée pour l'avoir deviné dans l'instant.

- Vous êtes un Time Breaker, enchaînai-je. Et un allié du Drac - pour peu que ce dernier vous considère de cet œil-là.

Il ne reprit point la parole. Je ne voyais aucun souci à continuer mon analyse étant donné qu'entre-temps deux blessés, escortés par mes braves Filles, quittaient le champ de bataille.

- Mais j'ai du mal à comprendre l'intérêt que vous avez eu à m'attirer dans ce vaste piège qu'est cette époque. Si vous envisagiez vraiment de m'éliminer, il aurait été plus profitable pour vous de couper le mal à la racine... comme vos confrères dérangés ont l’habitude de le faire avec leurs cibles.

Je serrai les poings. Garder la tête froide en sachant qu'il était certainement le responsable de la perte d'Yggdrasia m'apparaissait plus difficile que je le pensais.
Il eut un gloussement fort déplaisant.

- Se débarrasser d'un gêneur pour modifier le cours de l'histoire est une chose, expliqua-t-il. Mais récolter des pouvoirs sur quelques âmes de choix en est une autre ! Cette époque m'offrait là l'occasion de faire les deux. (Il dodelina de la tête avec un sourire pincé.) Sans compter le fait que le Drac est un peu dur en affaires... Il n'aurait jamais accepté de mener cette rencontre à son terme si tu n'y avais pas fait acte de présence.

- Au beau milieu de cette cacophonie, vous faites donc office de chef d'orchestre. Un engraîneur de la pire espèce qui fomente ses sales coups en compagnie de roublards non moins méprisables que lui. (Ma colère était telle que je n'eus aucun mal à vivifier la flamme de mon aura. Je vibrais d'une rage à peine contenue ! Le Cœur de Glace se fendillait seconde après seconde.) Parmi tous ces crimes que vous vous êtes amusé à collectionner, je vous laisse deviner lequel va vous coûter le plus cher.

Le regard sombre mais l'expression malgré tout jubilatoire, le fier Time Breaker ramena la tête en arrière. Il essayait de me mettre hors de moi - je le sentais.
Restait à savoir si j'étais capable de jouer le jeu en jugulant mes brûlantes pulsions...
Avant de le vider de ses abats comme un vulgaire cochon, il me fallait obtenir quelques renseignements sur Marisa - la raison première de ma venue en ces lieux sordides.

- Oooh ? Voilà que tu me retournes une petite devinette, Envoûteuse ? (Après avoir évacué un rire somme toute léger, il baissa le menton afin de me regarder plus fixement.) Amusant ! Sais-tu que rien de tout cela ne serait arrivé si tu avais fait le bon choix ? L'assujettissement de ces aventuriers, la mort pour certains d'entre eux... et celle de ta plus chère amie, pour répondre bien volontiers à ta charmante question.

- Plaît-il ? (J'étais sincèrement étonnée par la question.) De quoi diable me parlez-vous, sinistre crapule ?

- En fricotant avec les Time Patrollers et cette stupide Chronoa, tu t'es engagée à nous tenir tête - à prendre part à une guerre que le temps lui-même ne saurait épuiser ! pesta-t-il. Une Envoûteuse qui joue les héroïnes ? Il n'y a rien de plus écœurant ! Rien de plus hypocrite !! Tu te complais dans le mensonge, petite sotte. (Il renifla de mépris.) Alors que tu en avais les moyens, tu n'as jamais songé à tourner ton regard vers le passé, à jeter un œil sur ce que certains de tes ancêtres ont accompli de leur plein gré. (Son expression se fit autrement plus vicieuse, pour ne pas dire reptilienne.) Je le sais car, si tu l'avais fait, tu te serais départie de tous ces sentiments puérils qui font de toi cette pathétique humaine que tu es aujourd'hui. Une misérable magicienne qui ne se soucie plus que de deux choses : retrouver son aspirante de pacotille et venger la mort de sa catin d'amie... Ha ! Sérieusement ! Quelles ambitions ridicules pour quelqu'un qui dispose d'un si grand potentiel !

Suite à son harangue, il y eut un blanc sonore au cours duquel l'averse de cendres et de flocons finit par s'estomper.
Comme je me l'étais promis, je n'avais pas fait mine de bouger. Mais pour garder un tel état d'esprit, il m'avait fallu me fondre dans le Cœur d'Améthyste - à ma connaissance, le tout dernier niveau de transformation.

- Hum ! Je ne suis pas mes ancêtres. Mon avenir et ma ligne de conduite ne regardent que moi. Je suis la seule à en décider, et personne ne pourra m'influencer. (J'eus un rire sans joie.) Mais ça, même avec tous les efforts du monde vous ne pourriez pas le comprendre.

Il était allé beaucoup trop loin pour que je m'interdise une petite pique verbale :

- Et puis entre nous, tenter d'instruire une imbécile endoctriné ? C'est aussi vain que de chercher à prodiguer des soins à un mort-né !

Bien moins fou qu'il en avait l'air, il ne mordit pas à l'hameçon.

- Humpf... Ah.. ha ha ha ha ! Je dois dire que j'apprécie autant cette réplique que ta nouvelle apparence, l'Envoûteuse. Tu ne manques pas de répartie, et j'ai eu tout le loisir de voir que tu n'en démords pas avec tes poings comme avec ta magie. (Tout en levant les mains bien haut, il s'assombrit d'un seul coup.) Mais trêve de palabres, gamine ! Tu souhaites savoir où se trouve ta flamboyante disciple ? Eh bien, tu ne le sauras pas avant d'avoir relevé mon défi !

Les pieds bien ancrés au sol, un flux ténébreux s'exfiltrant de sa silhouette, il adopta une posture de combat.

- Allez... viens à moi, Envoûteuse ! me provoqua-t-il en retroussant les manches amples de son manteau. Viens donc ! Approche du tout-puissant Braenox, et pleure face à l’écrasante supériorité d'un authentique Maître Runiste !

- Je vais vous arracher les mots de la bouche à vous en faire roter des glaviots de sang ! criai-je en tirant la Caladbolg hors de son fourreau. Préparez-vous à déguster.

Enjoy the show~!:

La lame au clair, enveloppée dans une gangue d'énergie incandescente, je le chargeai de toute ma personne !
Malgré mon élan, il trouva largement le temps de plonger les bras dans un vortex noir comme la suie et d'en arracher une impressionnante faux de teinte similaire. Du choc entre nos armes, seules des étincelles résultèrent ! Avec son allonge et les effets encore inconnus de son arme, Braenox se tenait à bonne distance du Feu Primordial.
Évidement, en tant que « Maître Runiste », il en connaissait les propriétés destructrices...
Loin d'abandonner l'idée de découper des tranches dans sa carcasse pâlichonne, je m'acharnais sur lui à travers divers coups d'estoc et plusieurs feintes auxquelles se succédaient les frappes en taille. Néanmoins, cet adversaire-là se mouvait avec une précision affolante ; il me donnait l'impression d'anticiper la moindre de mes attaques ! Alors qu'il ne payait pas de mine - contrairement à Tor'ibid, le satyre - cette toile d'acier chauffée à blanc que je tissais autour de lui ne semblait pas du tout l'inquiéter.
Non, le plus troublant dans tout cela c'était qu'il avait l'air de s'amuser à mes dépends...
Il finit par me le faire comprendre une bonne fois pour toute en déployant un champ de force d'un blanc immaculé. La Caladbolg rebondit dessus - elle manqua me glisser des mains.
Tirant profit de mon déséquilibre, Braenox eut un sourire lorsqu'il plongea l'extrémité acérée de son arme dans une autre faille - qu'il avait invoquée en catimini bien sûr. J'eus tout juste le temps de rejeter la tête en arrière, la longue lame d'obsidienne me frôlant le nez. D'une impulsion contre la barrière d'énergie, je parvins à m'écarter du danger.
Illico-presto, j'agitai ma main libre dans l'axe de l'ennemi. Une lance de glace s'écrasa contre sa protection magique ! Elle n'était pas conçue pour la lui crever car elle se convertit en givre à l'impact. La vue obstruée par un voile de glace, Braenox n'était pas en mesure de contre-attaquer avec précision. Du coup, je bondis en avant tout en zébrant l'air d'un série de tailles. Les ondes ardentes s'abattirent sur le champ de force supposément fragilisé. Sauf que je m'aperçus au bout du compte qu'il ne l'était pas...
Lorsque la poussière et les flammèches s’éparpillèrent aux quatre vents, j'eus pleine vue sur une sphère intacte.

- Quel enfer !

Feu et glace ne suffisant pas à fortiori dans ce contexte-là, un changement de stratégie s'imposait. L'ennui, c'est que je ne m'étais pas du tout attendue au retour de... Vefa !
Jusqu'ici coincée dans le lac, la Ritualiste jaillit de sa prison de glace, emportant dans son sillage des litres et des litres d'eau qui se mirent à tourbillonner autour de sa silhouette. Dans son dos, semblables à des algues, ses longs cheveux bicolores s'agitaient frénétiquement.
Je me voyais très mal l'affronter en pareilles circonstances alors que mon présent adversaire représentait déjà un sacré défi à lui tout seul !
En s’apercevant de son intervention, Braenox eut un rictus mauvais.

- Hin ! fit-il. Je me disais bien que tu aurais eu la main légère avec cette effrontée. (Son sourire s'accentua vilement.) Mais elle me gêne plus qu'autre chose, alors autant que je récupère ce que je lui ai cédé dans un accès de gentillesse.

- Attendez ! Q-qu'est-ce que vous... ?!

Grâce à son pouvoir sur l'espace, il n'avait nul besoin de se déplacer. Son bras droit glissé à travers un vortex, Braenox referma les doigts sur cette amulette que la jeune femme avait d’incrustée au milieu du front.
Il la lui arracha sans préavis !
Les mains levées à hauteur de sa tête, Vefa poussa un grand cri avant de disparaître à jamais dans une explosion aquatique.
En un instant, il était parvenu à réduire sa marionnette au silence...
J'avais écarquillé les yeux face à cette scène, le Cœur d'Améthyste m'empêchant d'exploser à mon tour - de fureur.
Avec une certaine froideur, cette question franchit le palier de mes lèvres :

- Elle se trouvait encore sous vos ordres, grondai-je. Comment avez-vous pu... ?!

- Les outils usagers n'ont même pas leur place dans un musée, répliqua-t-il fielleusement. Il n'y a pas de quoi s'en émouvoir. Les forts confèrent une utilité - bien que souvent provisoire - aux gens du dessous. Ceux-là ne peuvent que les en remercier quand vient le moment de pousser l'ultime soupir !

- Brûlez en enfer ! sifflai-je en joignant hargneusement les poings sur le manche de la Caladbolg. Vous avez perdu le droit de vivre depuis trop longtemps déjà. La mort est un châtiment beaucoup trop doux pour une ordure dans votre genre !

Il me fallait le voir pour le croire.
Allant à l'encontre du principe-même du Cœur d'Améthyste, une colère froide me submergea ! Mon aura s'intensifia, rallongeant à cette occasion la taille de ma lame déjà couverte de flammes primordiales. Sous mes pieds, le sol s'affaissa dans un craquement sonore ; un réseau de fissures s'était formé - certaines s'étiraient jusqu'aux arbres environnants, menaçant de s'élargir et de les avaler tout crus.
Au milieu de tout ce chaos, je fendis l'air de ma lame afin de la positionner en retrait. Puis, d'un doigt lumineux, je traçai la Rune Thurisaz - symbole du Géant, du Fort et de la Confrontation - à même la garde de mon épée. Cette fois-ci, le feu mauve atteignit des proportions titanesques !
La chaleur était étouffante - même pour moi.
Nul besoin de fondre sur Braenox pour appuyer ma frappe : je n'eus qu'à faire un bond en avant et frapper d'un violent coup droit ! De manière tout à fait spectaculaire, l'énergie destructrice retourna la terre comme si elle ne pesait rien et se fraya un chemin jusqu'au nouveau champ de force érigé par le soit disant Maître Runiste.
Emportée par une explosion gargantuesque, la sphère explosa comme du verre ! L'onde de choc résultante me fouetta le visage, me suggérant - plutôt que d'attaquer comme un bœuf - d'analyser la situation pour mieux réagir...
Cela tombait bien parce que j'entendis un bruit d'aspiration fort suspect dans un angle mort.
Ma précédente attaque avait manqué sa cible. L'instant suivant, l'acier noir de Braenox fendit l'air à quelques centimètres de ma personne ! Sans l'Aperception, je n'aurais pas été capable d'esquiver cette attaque, et moins encore d’enchaîner par ce coup de pied retourné qui atteignit le Time Breaker en plein thorax. L'impact aurait dû l'expédier à l'autre bout du champ de bataille, pourtant il n'en fut rien.
Les poings serrées sur la hampe de sa faux, le Maître Runiste avait encaissé mon coup sans broncher !
Il esquissa un sourire venimeux.

- Sur moi, tes coups ont autant d'effet que les caresses d'un pauvre hère agonisant, croassa-t-il.

Quelque chose n'allait pas du tout chez lui !
Qu'il puisse réchapper à ma première attaque, d'accord. En revanche, en ce qui concerne la seconde, il était impensable de le savoir en aussi bonne forme après l'avoir vu se la prendre de plein fouet !
Comment aurait-il pu avoir le temps de tracer la moindre Rune dans ces conditions ?

- Fichtre et foutre ! crachai-je. Vous ne vous en tirerez pas comme ça !

Je fis volte-face dans l'intention de lui porter une attaque à main ouverte. Dans ma paume chantait un Satelles gorgé d'énergie runique - il en émanait des volutes glacées ! Braenox accueillit cette riposte en tendant sa main gauche, quitte à en perdre les doigts.
...Rien de tel ne se produisit.
Au lieu de ça, indifférent au pouvoir frigorifiant de la Rune Isa, l'ennemi m'avait saisi par le poignet.

- Qu'espères-tu m'infliger dans ces conditions ?

Avant même que je puisse répondre à sa question, il tira sur mon bras et me fit passer au-dessus de lui. Je m'écrasai sur le dos, un œil fermé sous le coup de la douleur. La tête à l'envers, j’entraperçus alors plusieurs éclats luminescents éparses parmi les lambeaux de sa toge - juste au niveau de sa poitrine.
Qu'est-ce que c'est que ça ?
La magie bouillonnait là où je voyais luire des points colorés.
Braenox leva sa faux. D'une rotation du poignet, je me défis de sa prise avant de rouler sur le côté. La lame s'abattit à côté de moi juste avant que je ne vois des vagues de pouvoir la traverser et s'infiltrer sous terre. Le sol se mit alors à enfler pour finalement évacuer ce trop plein d'énergie sous la forme d'une explosion !
Projetée dans les airs, le souffle coupé, je fis un nouveau vol plané. Ma chute fut encore plus douloureuse que la précédente mais je réussis malgré tout à me dresser sur un genou, soutenue par la Caladbolg dont la pointe trempait dans la terre.
Toute transpirante, je commençais vraiment à me dire que ce Maître Runiste n'avait pas usurpé son statut.
Me toisant d'un sale air, Braenox cala le manche de sa faux sur son épaule et poursuivit son monologue.

- Telle une chape de plomb, la malédiction du Drac pèse sur tes épaules depuis ton arrivée dans cette forêt, déclara-t-il. Considérant cela, j'estime que c'est un miracle que tu soies parvenue à occire Tor'ibid et mes esclaves dryades. (Il eut un rire bref.) Pour Bast, passe encore ! Ce n'était qu'un grand crétin imbu de lui-même, que j'avais utilisé dans l'unique but de faire des tests.

- La malédiction du Drac ? répétai-je en efforçant de me relever. Voilà qui répond à l'une de mes nombreuses interrogations...

Curieux d'en entendre davantage, le Time Breaker haussa un sourcil interrogateur.

- Inutile de faire comme si vous n'avez pas compris où je voulais en venir, rauquai-je. Que diriez-vous de me montrer ce qui se cache sous votre tenue d’apparat ?

Malus ou non, je me fis un malin plaisir de lui roussir les poils grâce au souffle infernal de la Rune Ferhu ! Frappé à bout portant, Braenox dut se protéger le visage en pliant devant lui un avant-bras protecteur.
Le haut de son vêtement parti en fumée, j'avisai la présence incongrue de joyaux sertis à même sa peau blanchâtre. Il y en avait de toutes les couleurs !
Mais, plus inquiétant encore, chacune de ces pierres magiques comptait en son sein un symbole runique...
Parmi elle brillait Ingwaz, Symbole de la Cohérence et de la Gestation. Une Rune très particulière dans la mesure où elle a l'avantage de stocker l’énergie dans un hôte et de l’agrandir indéfiniment.
Depuis combien de temps le corps de Braenox hébergeait-il cet éclat de Scellenite ?
Assez longtemps pour le protéger de la majeure partie de mes attaques, à n'en point douter !
Comme je m'en étais douté, mon Feu Primordial ne dura pas.
Le visage du Time Breaker se froissa avant même qu'il ne repasse à l'attaque.

- Tu perds ton temps, Envoûteuse ! (Nos armes se rencontrèrent dans un énième déluge d'étincelles pendant qu'il grognait ses mots.) Malédiction ou pas, nous ne disposons pas des mêmes ressources.

- Des ressources qui ne vous appartiennent pas, lui crachai-je au visage durant ce duel de force, les mâchoires serrées. Des ressources que vous avez volé aux victimes de votre perfidie !

- Peu importe les moyens employés, imbécile ! ragea-t-il. Tu es bien trop tendre, tandis que moi je suis bien plus puissant que tu ne le seras jamais ! La voilà, la cruelle vérité de ce monde. (Penché au-dessus de moi, il affichait un air de dément.) Et dans ton cas, elle tient lieu de fatalité.

- Huuf ! Je vais... hff !!... vous en donner... de la fatalité, moi !

Je lâchai prise, provoquant de ce fait mon propre déséquilibre vers l'arrière. Braenox était sur le point de me tomber dessus lorsque je dépliai les jambes, projetant mes pieds dans son ventre comme deux ressorts !
S'il n'en souffrât pas outre mesure, cette manœuvre me permit toutefois de l'envoyer valdinguer à travers les airs.
Propulsée à l’aide d'une courbette je retombai sur mes jambes.
Le regard braqué sur Braenox, je voyais là une occasion inespérée d'en terminer avec lui. Inspirant un grand coup, j'en appelais à une grosse quantité de pouvoir ! Immédiatement, l'énergie afflua, irradiant de tout mon être. Autour de moi, des geysers de terre jaillirent du sol ravagé comme de la gueule d'un volcan.
Dans un but bien précis, j'avais ramené mon bras armé en arrière et recouvert le fer de la Caladbolg d'une étincelante couche de magie grâce au Discidium.

- Je vous défis de survivre à cette attaque ! m'écriai-je avant d'invoquer : Fractio !

Filant comme un éclair ramifié, ma lame déconsolidée fondit sur le Time Breaker.
Doté de réflexes renforcés par cette maudite Intuition Utile qu'il avait volée à Vefa, Braenox se rétablit très vite et, d'une main, décrivit un cercle. De son geste naquit un vortex. J'avais anticipé cette action alors, d'une rotation du poignet, je permis à ma lame de faire un écart. Sa pointe effleura le contour supérieur de la faille, continuant de fondre sur l’infatigable Maître Runiste. Confiant en ses capacités, il surenchérit par l'émergence d'un champ de force. La pointe de mon épée rencontra cette protection d'un blanc immaculé !
Une pluie d'étincelles marqua cet événement.

- Sois forte, Caladbolg, murmurai-je. Toujours plus forte ! Encore plus FORTE !

Laissée de côté jusqu’ici, la Rune de la Confrontation fit son office. Un courant puissant traversa l'acier articulé, l'illuminant sur toute sa longueur avant qu'il ne se heurte au globe d'énergie pur !
De façon tout à fait spectaculaire, ce dernier explosa presque instantanément en ne laissant aucune chance à son occupant d'y réchapper. Aussi, je le vis, lui, Braenox en personne, se faire traverser de part en part par la pointe de la Caladbolg.
Lorsque je tirai sur son manche afin de ramener l'acier à son état originel, le Time Breaker comptait une plaie sanglante là où aurait dû se trouver une de ses gemmes en Scellenite.
Et effectivement, remarquai-je, celle qui contenait les pouvoirs d'Ingwaz manquait à l'appel.
En rejoignant les ruines de notre espace de combat, le Maître Runiste laissa choir un genou dans la boue. La faux qu'il avait brandi disparu dans un nuage de fumée. Son visage congestionné par la douleur, il avait pressé une main sur sa récente blessure. Entre ses doigts et à la commissure de ses lèvres, du sang noirâtre dégoulinait en abondance.
Dans ces conditions, son pronostic vital était engagé.
Les yeux de mon adversaire suintaient de haine.

- Vous étiez trop sûr de vous, lui révélai-je en m'avançant avec la froide intention de lui porter le coup de grâce. Le bagage technique ne fait pas tout. Ce n'est pas du jour au lendemain que l'on apprend à s'en servir harmonieusement. Au final, vous avez commis la même erreur que votre ignoble kidnappeur à pattes de bouc... (Je m'immobilisai face à lui.) Mais je n’appellerais pas cela une tragédie.

Pris d'une violente quinte de toux, Braenox dut baisser la tête.
Alors que je m'apprêtais à lui traverser la nuque d'un coup sec, la Caladbolg bien en mains, il s'était mis à ricaner.

- Hu... Uh hu hu hu ! Mais quel sermon... (Il releva le menton, un sourire macabre plaqué sur son visage grisâtre.) à la con !

J'eus un froncement de sourcils.
Inexplicablement, sous lui, tout ce sang noir qui gouttait jusqu'alors s'était tari. L'instant d'après, une quantité absolument phénoménale de magie émanait de lui ! Un souffle puissant m'obligea à renoncer à la mise à mort.
Au cœur de ce tourbillon d'énergie, le corps du Time Breaker grossissait à vue d’œil. Lentement mais sûrement, sa peau d'un blanc maladif virait au noir. En appuyant le regard, je vis tout un tas de petites protubérances se multiplier et recouvrir le moindre de ses muscles. Des écailles semblables à celles que portait Bast colonisaient l'épiderme du Maître Runiste...
Bravant la souffrance, Braenox s'était redressé de toute sa hauteur.
Il était en train de se transformer, et moi je devais rester là les bras ballants ?

- Je ne vous laisserai pas faire ! rugis-je.

Non sans faire exploser mon aura au point d'en avoir les oreilles sifflantes, je fendis l'air d'un revers de lame avant de me jeter sur lui ! La Caladbolg s'abattit entre son cou et son épaule, mais elle n'alla pas plus loin.
J'écarquillai les yeux, stupéfaite.
Jusqu'à cet instant, aucun de mes adversaires ne s'était montré assez puissant pour encaisser un de mes coups d'épée avec une telle passivité !
Le Time Breaker sourit méchamment.
La plaie de son buste s'était refermée comme par magie, et son aura avait réintégré son nouveau corps comme si de rien n'était.

- Tu es contente d'avoir détruit l'un de mes catalyseurs runiques ? (Il s'exprimait différemment, d'une voix grave et vibrante d'autorité.) Il en faut peu pour t'entendre crier victoire, pisseuse.

Entre ses écailles noires circulait un feu carmin qui se dirigeait en direction de ses bras. Hypnotisée par ce spectacle, je ne vis que trop tard les doigts de sa main gauche se refermer sur ma lame.
Alors que j'essayais en vain de l'arracher à sa poigne inhumaine, Braenox jubilait.

- Ma faux s'est dispersée aux quatre vents. Autant que je te rende là pareil, déclara-t-il. Avise ton impuissance !

D'une simple pression, il fit exploser la Caladbolg.
Je basculai en arrière et dus m'y reprendre à trois fois pour ne pas m'effondrer sur les fesses. Les yeux rivés sur le moignon de mon épée, j'eus alors la sensation d'être immergée sous la glace.
La Caladbolg - ma Caladbolg ! -, détruite !

- C'est impossible, bafouillai-je. La Caladbolg s'est... brisée ?

Soudain, tel un écho, ce mot se répercuta dans mon esprit, brouillant instantanément mes pensées, me tétanisant sur place.
A partir de ce moment, il ne m'était plus possible de remuer ne serait-ce que le petit doigt !
Dans mes oreilles bourdonnait un son spectral, affreux - je reconnus la voix désincarnée de ma fidèle épée. Très vite, les cris devinrent insupportables. Une douleur atroce, lancinante, incompréhensible et inattendue m'expédia au sol !
Du manche de la Caladbolg, une horde de feu follets jaillit dans un concert de plaintes qui me vrillèrent les sens. Il déferlèrent sur moi comme des mouches sur un morceau de sucre !
Avec cette horrible impression que mon cœur allait bondir hors de ma poitrine, je parvins à ouvrir la bouche pour libérer un cri. Ma voix se joignit à celle de l'épée mourante avant que les flammes mouvantes ne se referment sur moi.

Le tout-puissant Braenox ne s'était certes pas attendu à ce qu'un brasier d'esprits vindicatifs se jetasse sur sa proie acculée, mais il devait bien admettre que cette scène macabre qui se jouait sous ses yeux ébahis l'amusait beaucoup.
Quelle ironie que la concurrence eut été engloutie par les pouvoirs maléfiques que renfermaient sa propre épée !
Son visage éclairé par cette gangue de flammes rugissantes qui s'était formée autour de la jeune femme, le Time Breaker écarta ses bras massifs et éclata d'un rire sardonique.

- Muaaaah ha ha ha ha ha ! Hilarant ! Comme il est cocasse de voir cette stupide donneuse de leçon subir le joug de sa propre arme ! (Il tenta de discerner la silhouette de la concernée à travers le tumulte occulte.) A ce rythme, je n'aurai même pas besoin de lever le petit doigt pour l'achever...

Prostrée sur ses deux genoux, l'Envoûteuse, la tête basse, ne bougeait plus. Les flammes violettes léchaient sa carcasse mais, curieusement, elles n'avaient pas l'air de ronger la matière comme l'aurait fait un brasier ordinaire.
Bien que déjà noir comme de la suie, le visage métamorphosé du Maître Runiste s'assombrit davantage. Même si la situation était à son avantage, il se doutait bien que cette intervention insolite dissimulait quelque chose d'encore plus malsain que le supposé trépas de la jeune Hilaris...

- Tout bien réfléchi, cette ignare ne mérite pas que je perde mon temps à la regarder fondre comme un tas de cire.

Sans peur aucune, il s'approcha des flammes et leva lentement la main.
Avec une déferlante d'énergie constituée des pouvoirs de la Rune Thurisaz il ne devrait avoir aucun mal à pulvériser cette prison infernale et sa triste occupante, n'est-ce pas ?
Cette idée machiavélique lui redonna le sourire...
Mais à peine la gemme sur son torse - qui contenait le fameux pouvoir de destruction - se mit à briller qu'un frisson glacé lui traversa l'échine avant de se répandre jusqu’à ses cuticules.
Braenox s'aperçut, frappé par un sortilège latent, qu'il était littéralement en train de geler sur place.
Il eut un froncement de sourcils à l'attention de cette insupportable sotte qui venait de faire irruption à la sortie des bois. Vêtue comme une danseuse, avec sa robe couleur lavande et son haut léger d'une teinte plus ou moins semblable, la dénommée Vianna, la Hilaris de cette époque troublée, lui opposait les pouvoirs cristallisants de la Rune Isa.

- Arrière, lui ordonna-t-elle. Pour avoir vu ce qu'il renferme, je vous défends de toucher à ce cocon de flammes ou sinon... !

Rien qu'avec sa hargne, le Maître Runiste brisa cette mince couche de givre qui menaçait de le submerger et ramena sa main dans l'axe de la nouvelle venue.

- Tu t'imagines en position de m'imposer tes conditions, petite chose ?

Une faille s'ouvrit devant le Time Breaker. Il alla plonger le poing dedans en vue de transpercer l'impudente jeune femme d'un coup sec comme une poigne gigantesque l'eut saisi !

- Ghh !... Qui ose ?! gronda-t-il en cherchant la menace du regard. Qui d'autre souhaite sacrifier sa misérable existence dans un combat perdu d'avance ?!

Pour le dénicher, il n'avait qu'à suivre les bras à l'apparence gélatineuse...
Mais c'est alors que le crépitement de la foudre se fit entendre ! L'instant d'après, un puissant courant traversa Braenox, manquant le faire défaillir. Néanmoins, grâce à la Rune Thurisaz, il était bien assez fort pour éviter le pire. Sa résistance lui permit d'ailleurs de s'arracher à cette fichue poigne magique et de se tourner vivement vers son agresseur.
Il reconnut bien évidemment Dathryth - ce sous-démon qui se faisait passer pour un sage auprès de sa vulgaire clique de routiers !

- Deux cancrelats pour le prix d'un, observa-t-il. Et deux Runes d'Âme de plus servies sur un plateau...

- Cette crapule de Drac a passé l'arme à gauche, cracha le littéraire en faisant battre les pages de son ouvrage. L'heure est venue pour toi de suivre ses traces. Mais rassure-toi : je vais t'y guider !

- Amusant, sourit le Time Breaker en ramenant les coudes en arrière et en fléchissant sur ses jambes. Surtout venant de la bouche d'un type qui n'a pas un centième de la puissance de sa descendance. Je vais te remettre à ta place, cloporte !

- Je t'avais dit de rester sage ! hurla Vianna.

Plus que son cri, ce fut ce nouveau pic de puissance qui interpella le Maître Runiste.
Intrigué, il vit que la jeune femme portait maintenant une étrange armure de givre sur le dos, et que cette dernière épousait merveilleusement bien la forme de ses vêtements.
Le regard de la Runiste brillait de détermination... et d'une froideur mortelle !
Un état de transe ? s'interrogea Braenox.
En tout cas, il émanait de cette petite garce une formidable aura dont les volutes glacées avaient du mal à s'effacer...
Sans plus de cérémonie, Vianna joignit les mains devant elle et lui propulsa une lance de pouvoir d'un blanc neigeux ! Subodorant un piège, le Time Breaker déchira l'espace qui le séparait du projectile et, d'un habile mouvement de sa main opposée, ouvrit une autre faille qui vomit l'objet meurtrier sur le blanchet.
Un peu tard cela dit, Braenox s'aperçut que ce dernier ne se trouvait plus à sa place. Et pour cause, puisque cet inconscient s'était mis en tête de le prendre par surprise au corps à corps.
Aiguillé par son intuition amplifiée, le Maître Runiste bloqua d'entrée de jeu l'offensive de Dathryth. Avant de songer à lui briser chacun de ses os, il lui cracha au visage :

- Tentative de suicidaire ! Maintenant, laisse-moi exaucer ton vœu de dément.

Pour cela, il entreprit de recourir aux pouvoirs de la Rune Thurisaz. Mais, contre toute attente, cette dernière... refusait de lui prête main forte ?

- Par quelle sorcellerie tu... ?!

Dathryth souriait.
Il invoqua très vite de nouveaux poings d'énergie et le frappa de tout son saoul !
Les bras levés en protection devant lui, tourmenté par le passage de la foudre autant que par ce froid maudit qui en véhiculait la force, Braenox encaissait ce déluge de mandales. Cet enchaînement lui fit perdre du terrain et lui offrit une vue d'ensemble sur la scène...
Notamment sur cet escadron d'ouvrages volants - au-dessus de leur tête, le ciel en était constellé.
Ces maudites parodies de bouquin lui siphonnaient sa magie ?
Peut-être ! Mais comme ils étaient là depuis trop peu de temps pour avoir un tel effet sur lui, il devait forcément y avoir autre chose encore...
C'est en baissant les yeux sur son poitrail musculeux que le Maître Runiste comprit pourquoi sa rune la plus puissante refusait de s'activer : une croix de givre barrait ledit joyau de Scellenite !
Toujours en luttant, Braenox retroussa les lèvres.

- Diable ! vociféra-t-il. Vous voulez jouer au plus malin en usant de ruse contre moi ?! Qu'il en soit ainsi !

A quelques pas de lui, il avait remarqué que la Runiste et son compagnon s'étaient réunis pour lui faire barrage. Ces fous s'évertuaient à protéger l'Envoûteuse, mais plus pour très longtemps !
Furieux et complètement indifférent aux attaques qu'on lui portait, Braenox abandonna sa garde et poussa un cri au ciel. Des tessons de glace et des éclairs s'écrasaient sur lui mais peu lui importait : il entamait une nouvelle transformation autrement plus redoutable que la précédente.

Je chutais. Interminablement. Sans discontinuité.
Tout autour de moi, c'était le vide - les ténèbres absolues !
Je n'avais ni chaud ni froid. Ce qui me donnait l'impression d'être ni vivante ni morte puisque j'avais malgré tout conscience d'être moi-même. Probablement que cet état se situait entre les deux ?
Je conservais d'ailleurs le souvenir d'avoir été inexplicablement agressée par un vague de spectres courroucés... Mais depuis quand la Caladbolg abritait-elle autant d'esprits ?
Je n'en connaissais pourtant qu'un, et il m'était servile.
Alors que je dérivais tête en bas dans un océan de noirceur, j'eus plusieurs droit à maintes visions incongrues qui tenaient plus de mes fantasmes qu'autre chose. Parmi eux, on y détaillait Pan bien sûr. Et, conformément à mes souvenirs de cette nuit mémorable, elle ne portait rien sur le dos. Ces images alléchantes - inutile de se mentir! - planèrent un long moment sous mes yeux fatigués, m'aidant à me relaxer, avant de se substituer à d'autres... disons plus... choquantes ?
Au cœur d'un village bien abîmé, je me revis embrasser fougueusement Yggdrasia avant de la laisser en plan comme une belle égoïste. A l'époque, je ne m'étais pas soucié de ce qu'elle ressentait pour moi ni même de la relation que j'aurais tout aussi bien pu développer avec elle...
Si j'en conservais quelques regrets, et bien ils se traduisaient par ces quelques « clichés » suivants où je la vis dans des postures horriblement suggestives...
Rien que des fantasmes, des pensées refoulées, tirés du fruit de mon imagination tordue, mais tout de même !
Par bonheur, peu de temps après avoir visité des souvenirs plus sains - comme cette ascension de la Tour Karine où Marisa était entrée en scène - je m'étais affalée dans ce qui ressemblait à un grand bassin.
Bien que peu profond, l'eau qu'il contenait avait un goût légèrement sucré...
De la myrtille ?
En regardant autour de moi après m'être redressée, je ne voyais rien d'autre qu'un désert de noirceur, et mon analyse ce serait sans doute arrêtée là si une haie de torches aux flammes mauves ne s'étaient pas allumées pour m'indiquer la voie à suivre ; en effet, leur alignement peu orthodoxe dessinait un chemin au beau milieu de cette infinie étendue d'eau parfumée.
Tout en l'empruntant, je me passai une main dans les cheveux. Peut-être en quête d'une grosse bosse ou de toute autre lésion susceptible de justifier cette rêverie surréaliste dans laquelle on m’avait plongée ?

- Voilà que je me prends à rêver d'une descente ponctuée par de chaudes images, puis d'une mer au goût fruité... mais que diable ai-je subi en brisant cette maudite épée ?! Est-ce que je perds le nord ? Et... dans quel état se trouve mon vrai corps à l'heure qu'il est ?

De l'eau jusqu'aux genoux, j'avançais en retournant vainement toutes ces questions dans ma pauvre tête. Ce qui m'arrivait sortait complètement de l’ordinaire ! Pourtant, j'avais déjà eu droit à une demi-possession durant laquelle je m'étais retrouvée coincée dans ma propre caboche où une double de moi jouait les gardiens de prison.
La haie luminescente s'élargit subitement, de manière à former un vaste cercle au milieu duquel trônait une immense tête de statue à l'effigie d'une femme. Elle était brisée, constatai-je, ses morceaux dérivant sur l'eau mauveâtre comme les débris d'un navire en perdition.
Malgré son état déplorable, je savais qu'elle symbolisait la Caladbolg...
J'en eus un pincement au cœur et, toute émue que j'étais, me vis contrainte d'y porter la main.

- Tu représentais beaucoup pour moi, soupirai-je en attardant mon regard sur la statue. Le lègue de mon Maître le plus précieux qu'il m'ait donné, entre autres. Mais plus qu'un simple outil destiné à faire couler le sang, je te voyais comme une amie à part entière. Hélas, l'ennemi a eu aussi raison... après avoir veillé à ce que je me sois servie de toi pour occire Yggdrasia.

Je ne sus pas si mes paroles furent à l’origine de la brusque agitation des flammes mais toujours est-il que ces dernières avaient gagné en volume. Elles crépitaient sur leur support et s'y tortillaient furieusement !
De crainte de les voir bondir et fondre sur moi, je me tenais dos à la statue...
Mais les flammes colorées n'en firent rien ! Contre toute attente, elles poussèrent un monstrueux rugissement avant de s'étirer en direction de la voûte ténébreuse. Là-haut, sous mes yeux arrondis d'étonnement, elles s'amalgamèrent et se constituèrent un corps de jeune femme... qui se rapprochait dangereusement du mien sur bien des points.
Du fait de mon passé houleux avec les doublures, je n'avais aucune confiance en mes reflets qu'il fussent humains ou même élémentaires comme celui-là !
Naturellement, j'eus un léger mouvement de recul qui me fit heurter du coude les vestiges de la statue de femme. Je sursautai en l'entendant s'écrouler dans mon dos.
Ouh, la gaffe !
Les traits crispés, j'en revins très lentement à mon double.
Il portait un manteau de flammes en guise de peau et brillait dans sa nudité.

- Euh, Enchantée... esprit ? hasardai-je non sans secouer timidement la main comme pour faire un coucou. Est-ce que vous me comprenez ?

Malgré les flammes omniprésentes, je vis un sourire malicieux s'étirer sur le faciès de la chaude réplique.

- Si je te comprends ? répéta-t-elle d'une voix qui m'était familière - pas dans le bon sens du terme, hélas. Hin ! Et toi ? serais-tu plus idiote que je le pense, petite âme perdue ?

J'eus un hoquet de stupeur.

- C'est impossible... M-Malvon ?! (Je portai une main à mon front.) Dites-moi que je rêve.

- Oh, mais c'est toujours le cas ! Tu nages dedans, pour être exact. Et ce, pendant que nos lointains parents s'échinent à protéger ta pitoyable personne, précisa mon autre ancêtre en écartant théâtralement les mains.

« Nos lointains parents » ?
J'eus un haussement de sourcils interrogateur.

- Ainsi, vous n'êtes pas vieux comme le monde, réfléchis-je. (Le moment ne s'y prêtait pas beaucoup avec ce qu'il venait de me dire.) Si vous vous faites tant de souci pour leur avenir, alors pourquoi m'avoir entraînée dans ce coma ?

- N'est-ce pas évident ? gloussa-t-il. Parce que c'est dans ton inconscient que sommeille le vrai pouvoir, tout simplement ! Celui-là même qui m'a permis de m'arracher à ma pathétique condition humaine. De me transcender bien au-delà du niveau des mortels... et de me rendre insensible à l’écoulement du temps, par la même occasion !

- Mais moi j'ai pourtant eu raison de vous, lui fis-je gentiment remarquer.

Je m'attendais à une explosion de colère mais, apparemment, mon clone ne partageait point les traits moraux de mon ancêtre. Ou alors, coincé dans mon épée pendant un long moment, il avait appris à juguler sa colère ?
J'étais tout de même sceptique !
Les poings sur les hanches, Malvon bougea la tête de gauche à droite et inversement.

- Pas tout à fait puisque tu m'as fait prisonnier de cette épée, maugréa-t-il. Même si je dois bien admettre que cette expérience improbable m'a quelque peu assagi. Je n'aurais jamais cru y prendre autant goût... jusqu'à ce que mon réceptacle d'acier ne se brise, que mon Anima se libère et qu'elle te submerge sans préavis. (Plus choquant que ses paroles, ses traits se plissèrent de façon comique.) Tu m'excuseras de m'en être pris à toi mais, si tu veux mon avis, ce n’est pas plus mal~

- Donc... depuis tout ce temps, vous ne jouiez pas la comédie en vous faisant passer pour la voix de l'épée ? m'enquis-je, incrédule.

- Ah ha ha ! Allooons... si j'en avais eu vraiment conscience, j'aurais manqué de patience et tu aurais certainement fini avec la tête tranchée, avoua-t-il en agitant une main sous sa gorge. C'est bien plus compliqué que ça, gamine, parce que la seule partie que tu as préservé de moi suite à notre affrontement dantesque s'avère être la plus sensée.

- Vous m'excusez d'avoir de la peine à vous croire, sachant que je ne sais même pas comment je m'y suis prise.

- Excuses acceptées - elles sont assez compréhensibles, même pour une écervelée dans ton genre.

- En revanche, je constate que vous n'avez rien perdu de votre orgueil, persiflai-je.

- Ai-je bien dit « la plus sensée » ? Évite de nous faire perdre du temps avec des remarques encore plus idiotes que toi et tâche d'écouter ce que j'ai à te dire : Braenox, ton adversaire du jour, te surclasse complètement. Sans mon intervention, tu serais morte à l'heure qu'il est. Et effacée de l'histoire aussi. (Il roula des yeux au ciel.) Avec moi, sans doute. Foutu arbre généalogique ! On ne peut pas faire grand-chose contre ses racines...

- Très belle réflexion existentielle, le coupai-je. Dans ce cas, quelles alternatives avez-vous à me proposer, trompe-la-mort ? Et soyez bref, pour une fois ! Je doute que nous ayons le temps de prendre le thé pendant que nos vaillants ancêtres se donnent cœur et âme à ME protéger.

- Je n'en ai qu'une, et je soupçonne qu'elle ne va pas beaucoup te plaire, ricana-t-il en brisant d'un coup la distance qui nous séparait.

Irradiée par son feu, j'eus un mouvement de recul. Mais Malvon, plus rapide,me saisit par le col et me ramena contre lui. Mon nez touchait presque celui de ma doublure.
Une position diablement déconcertante !

- Je vais t’enseigner l'Evilution, déclara-t-il, les yeux fous. Mais pour cela, il va te falloir t'abandonner à tes pulsions primales, à tes désirs les plus ardents, et par les laisser te submerger!~

- Q-quoi ?!

Je tentai de me débattre mais c'était parfaitement inutile : je ne contrôlais pas mon rêve.
Les flammes de Malvon me léchèrent le corps et menaçaient de s'y étendre comme dans la réalité.

- C'est là notre seule chance de l'emporter, roucoula-t-il. Et, très honnêtement, je préfère vivre à travers toi plutôt que de disparaître dans le Néant ! (J'eus droit à une grimace salace.) Même si tu n'es pas aussi bien roulée que ta mère, on peut toujours faire quelque chose de potable avec ce corps d'adolescente~

- H-hein ?! Mais... vous réalisez que vous êtes en train de parler à votre arrière- arrière-arrière... arrière petite fille et j'en passe, espèce de damné pervers ?! (Il approcha ses lèvres des miennes, que je gardais serrées aussi fort que possible en détournant la tête.) Écartez-vous, bon sang ! C'est... affreusement gênant !

- Timidité déplacée, clama-t-il. Je n'ai plus aucun lien de sang avec toi puisque j'ai renoncé à mon enveloppe charnelle. Tu ferais mieux de m'écouter, auquel cas je vais devoir te forcer la main...

- C'est complètement hors de question ! ripostai-je en lui plaquant une main sur le visage quitte à me brûler davantage.

- Soit.

Ça ne l'avait pas arrêté. J'eus ainsi droit, avec sa main la plus basse, à un attouchement très mal placé qui me fit accidentellement ouvrir la bouche ! Entre-temps, Malvon avait chassé d'un geste circulaire cette main que je lui avais collé au visage.
Le tout se solda par un inévitable et fort regrettable baiser, symbole d'un union non-consenti.
Sentant quelque chose d'absolument malsain exploser en moi, j'écarquillai les yeux !

Autour du terrible Time Breaker, l'air crépitait d'une sombre énergie ! Sur sa puissante poitrine exposée et couverte d'écailles noires, les gemmes de Scellenite, par contraste, chatoyaient d'un éclat non moins malsain. Du haut de son mètre quatre-vingt, Braenox savourait cet instant avec un plaisir sournois.
Est-ce là toute l'étendue de la puissance de cette famille ? ricana-t-il intérieurement. Je pourrais presque en pleurer de rire !
Dathryth, celui qui aurait dû lui donner le plus de fil à retordre, gisait dans la boue, encore à demi-conscient. Épaulé par sa foudre et ses invocations saugrenues, il avait bataillé comme un beau diable avant de s'effondrer pile au moment où ça devenait amusant...
Apparemment, le fait de s'être fait pousser une corne sur le front ne lui avait offert qu'un maigre sursaut de puissance !
Ou l'art de précipiter sa fin.
Pourtant pas né de la dernière pluie, Braenox ignorait tout du mode de fonctionnement de la technique que le littéraire avait employée. Ça ne le chagrinait pas du tout dans la mesure où elle ne lui avait conféré qu'un pauvre pouvoir éphémère et instable. Et ce même en la présence de tous ces ouvrages magiques qui constellaient le ciel. Ceux-là s'effaçaient paresseusement, d'ailleurs...
J'ai connu bien pire en terme de drainage de magie. Ce sortilège tient plutôt de la farce qu'autre chose !
Avec un sourire méprisant, le Maître Runiste détourna son attention du pathétique blanchet pour en revenir à ce qui allait sans doute le divertir au mieux.
A quelques pas de lui, écroulée sur les genoux par l'épuisement et le choc d'avoir vu son compagnon se faire écraser comme un moucheron, Vianna, le visage livide, l'observait de ses grands yeux couleur lilas sans mot dire. Même en l'absence de rune active, elle tenait toujours fermement son chakram, signe qu'il lui restait au moins un soupçon de combativité.
En l'état des choses rien qui pourrait m'inquiéter.
S'il n'avait pas vu en elle le reflet de cette stupide Time Patroller aux cheveux mauves, Braenox aurait peut-être user des pouvoirs de la Rune du Feu Sacrificiel pour en faire sa plus puissante marionnette. Au lieu de ça, il éprouvait surtout le besoin de lui briser tous les membres avant de la jeter en pâture à ses molosses d'obsidienne !
Il serra les poings.
Décidément... avec cet état d'esprit, il n'allait peut-être pas s'amuser autant qu'il le pensait.
Les yeux rougeoyants, il fixait méchamment la pauvre hère.

- Vous avez épuisé toutes vos cartes, dirait-on, croassa-t-il. Ta glace et sa foudre ne valent pas tripette. Face à moi, collaborer ne vous aura servi à rien. Percer ma défense ? c'était bien au-dessus de vos forces conjuguées...

Il vit la jeune Runiste se contracter. Après trois secondes de silence, elle finit par libérer sa frustration en une cinglante répartie.

- Peut-être... Pour un monstre, je veux bien croire que tu ne l'es pas que d'apparence. Toujours est-il que de ton entourage malfamé, il ne reste rien ! Dialints, satyre, et même ce dément de Drac... nous sommes parvenus à éclaircir vos rangs. Et ça, c’est déjà quelque chose ! (Son sourire devint provoquant.) Maintenant, si je dois rejoindre mes ancêtres sache que je le ferais avec fierté. Quant à toi, tu ne m'inspires que de la pitié...

- De la pitié ? grogna-t-il. Tu ne manques vraiment pas de souffle, pour une condamnée...

- Te voilà seul, juché au-dessus d'un monticule de cadavres, reprit fielleusement Vianna. Tu n'es bon qu'à détruire et à manipuler... Rien qu'un vil opportuniste ! Un charognard, mais qui au lieu de se nourrir de chair passe son temps à becter le pouvoir des autres !

Les poings gorgés de magie, Braenox aligna plusieurs pas en avant.

- Tu n'as pas de leçon à me donner, misérable ribaude ! cracha-t-il, les traits froissés par la fureur. Personne ne se soucie de l'avis des vaincus. Dans cette époque comme dans toutes les autres, c'est la puissance qui prime sur tout le reste ! Les sentimentalistes de ton espèce me donnent envie de vomir, pesta-t-il en levant la main à hauteur de son visage. Je voulais prendre mon temps avec toi... mais je suis déjà las de t'entendre éructer tes mots.

Soudain, sortie de nulle part, une toute petite chose brillante à l'aspect humanoïde s'écrasa contre sa joue !
Incommodé, Braenox braqua son regard sur la lilliputienne et reconnut cette crétine qui avait permis d'attirer l'Envoûteuse dans cette époque. Comme pour le défier, la stupide gamine agitait les bras juste devant son nez. Elle avait beau s'être enveloppée dans un manteau de flammes que ces dernières ne risquaient pas de lui faire bien mal...

- Tu lui f'ras rien du tout, espèce de grande brute antipathique ! vociféra Marisa, déterminée à lui barre la route malgré sa taille ridicule. J'te défends de l'approcher. Sinon j't'en colle une autre, moi !

- Pathétique.

D'une simple pichenette, il envoya voler la petite ! Sonnée et vidée de son feu magique, elle atterrit entre les mains de Vianna, qui avait dû lâcher son arme pour la rattraper.
Braenox haussa un sourcil.

- C'est tout de même curieux de savoir cette pisseuse encore en vie...

Aux dernières nouvelles, elle était entre les mains du Drac. Cela signifiait que la Runiste n'avait pas menti en disant s'être débarrassée de lui...
Quel guignol, ce soit-disant Malin !
A force de trop vouloir jouer avec ses proies, elles ont fini par avoir raison de lui.
Une leçon chèrement acquise, à n'en point douter.

- Tant pis, trancha-t-il. JE vais vous soulager de votre faiblesse - et à jamais !

Sa paume grande ouverte se mit à luire intensément.
D'une pierre trois coups, pensait-il en prenant en compte l'Envoûteuse toujours prisonnière de son cocon incandescent, juste derrière sa faible ancêtre.
Il avait tort.
Par-dessus le crépitement de son énergie retentit un hurlement comme il n'en avait jamais entendu de pareil !
Stupéfait, Braenox projeta son regard dans le dos du duo de jeunes femmes.
Immédiatement, il sentit un frisson désagréable lui traverser l'échine.
De fantastiques arabesques de magie se dégageaient du corps neuf de l'Envoûteuse. Autour de sa silhouette, plusieurs cortèges de papillons luminescents battaient des ailes. Le bleu et le violet étaient omniprésents, remarqua le Time Breaker, sans trop comprendre ce que ces couleurs pouvaient bien signifier.
En tout cas, la lumière produite par sa main faisait pâle figure en comparaison de celle qui émanait de l'Envoûteuse. Avant d'entreprendre quoi que ce soit contre elle, Braenox la détailla du regard...
Elle avait changé, oui. Si sa chevelure blanche n'avait rien d'inédit, il n'en allait pas de même pour ses oreilles pointues et ses cornes aussi rutilantes que de l'améthyste ! Ces dernières étaient enroulées sur elles-mêmes - un peu comme celles d'un bélier - et pointaient vers l'avant. Elles encadraient un visage à la peau de porcelaine au milieu duquel s'ourlait un sourire malicieux. Au-dessus de ce rictus de mauvais augure, deux globes oculaires d'un noir d'encre fixaient dieu seul savait quoi. L'iris de chaque œil n'apparut qu'à la fin de cette analyse - le droit avait la couleur de l'ambre tandis que le gauche brillait d'un feu violet.
A moitié ébloui par ce déploiement d'énergie comme s'il contemplait le soleil lui-même, le Maître Runiste leva sa main dans l'axe direct de l'Envoûteuse et propulsa sur elle une lance de pouvoir.
Contre toute attente, la jeune femme mutée ramena le poing contre son cœur avant de dévier le tir d'un simple revers. Suivant une courbe hasardeuse, le missile alla se perdre dans les bois pour y exploser dans un coup de tonnerre.

- Hum ?

- Aaah ?! s'écria Vianna, vraisemblablement choquée par la détonation. Q-qu'est-ce qui se passe ?

Enjoy the show!~:

Ce n'était pourtant pas dans les habitudes d'une amie proche d'une certaine Hamadryade de négliger son environnement.
Le temps d'un battement de cils, la semi-démone était déjà sur lui, le poing levé !
Un peu trop tard - et ce même avec l’Intuition Utile -, Braenox s'avisa qu'une gangue mauveâtre entourait la main de cette satanée garce. Il voulut lever celle qu'il avait gardé en réserve afin d'effectuer une parade de dernière minute, mais se prit tout de même une mandale de titan en pleine mâchoire !
Si les écailles de son visage ne volèrent pas en éclats, il vacilla malgré tout deux pas en arrière...
Du sang sur la langue, il leva sur son assaillante de grands yeux outrés.

- Comment diable as-tu pu... ?!

Elle lui répondit par un petit rire taquin.
Mais, là encore, il n'eut pas le temps de sortir hors de ses gongs. Ryanne fut bien plus rapide que lui et, avec son autre main qui tenait toujours le manche de la Caladbolg, lui administra un formidable coup de pommeau entre les côtes !
Comme si on venait de le transpercer avec une lance, Braenox se plia en deux.

- Gargh !!

- Bon sang ! lâcha Vianna, en arrière plan. Spectaculaire !

Les yeux révulsés, le souffle coupé, le Time Breaker atterrit face contre terre. Pour parvenir à ce résultat, Ryanne lui avait abattu son poing renforcé sur le haut du crâne.
Secoué mais encore maître de ses mouvements, Braenox entreprit de se relever mais cette folle à lier ne lui accorda aucun répit !
L’Envoûteuse n'en avait pas terminé avec lui ; elle commençait tout juste, à vrai dire.
Sous lui, Braenox sentit une excroissance rocheuse pousser de manière fulgurante. La stalagmite l'arracha de terre avec une violence inouïe ! L'instant d'après, la Runiste lui envoya de la compagnie : tout un escadron de Sattelès qui lui explosèrent dessus.
Par réflexe, le Time Breaker s'était protégé le visage avec les bras.

- D-du Ki ? lâcha-t-il, abasourdi.

- C'en est bel et bien, oui, déclara langoureusement l'Envoûteuse.

En l'écoutant, Braenox entendit dans sa voix une sorte d'écho fantomatique...
Il s'immobilisa en l'air et fronça les sourcils à l'attention de son adversaire.

- Je suis curieuse de découvrir ce qui vous contrarie le plus dans ce renversement de situation, Time Breaker, s'amusa-t-elle. Entre le fait que je sois « miraculeusement » parvenue à dissiper la malédiction du Drac qui muselait mes compétences et l'idée que vos sens ne soient plus assez affûtés pour anticiper mes attaques, j'entends~

Aussitôt dit, elle disparut de son champ de vision pour réapparaître dans son dos ! D'un coup de talon, l'Envoûteuse le réexpédia sur la terre ferme où il parvint à retrouver ses appuis.
Quand le Time Breaker leva les yeux, il la vit, les mains tendues vers lui, ses paumes dangereusement exposées. Deux runes pulsaient sous sa peau.

- Ne prends pas la grosse tête, morveuse ! jura Braenox.

De ses mains jaillirent deux tourbillons d'eau grise ! Le Time Breaker tenait ce pouvoir de l'Ondine, et il s'imaginait bien capable de doucher l'enthousiasme de l'Envoûteuse par son biais. Mais, pareil à une anguille, un trait de givre s'infiltra à travers ses créations aqueuses, les congelant instantanément !
Entre-temps, Braenox sentit une poigne féroce se refermer sur ses chevilles. En baissant les yeux, il avisa quelque chose d'énorme sortir le soulever littéralement de terre.
Un golem ?
Un odieux mastodonte constitué d'un repoussant mélange de terre et de racines pourries. Suspendu par les chevilles, le Time Breaker se retrouva très vite la tête en bas, à ras du sol.

- Depuis quand peut-elle... Raah !? Lâche-moi, maudit pantin !

Une salve d'énergie pure suffit à lui arracher la tête des épaules. Ceci dit, même sans elle le golem avait assuré sa prise. La créature trapue se mit à tourner sur elle-même puis, après avoir pris assez d'élan, l'envoya voler en direction de sa maîtresse qui avait rabattu une de ses mains en arrière...
Le visage fouetté par le vent, Braenox agita les mains devant lui afin de former un portail à travers lequel il se glissa. En émergeant par une autre faille, le Time Breaker jeta un coup d’œil à son œuvre et vit le souffle glacé de l'Envoûteuse se perdre dans son vortex.
La magicienne tourna la tête vers lui, un sourire enfantin suspendu à ses lèvres
Elle ne ressemblait plus du tout à cette jeune femme qui avait juré de venger la mort de sa meilleure amie dryade. Cette Ryanne-là... avait l'air disposée à lui jouer des sales tours jusqu'à satiété !
Braenox en tremblait de rage.
Lui, le plus puissant Maître Runiste, réduit au rang de faire-valoir ?
Une pensée intolérable pour un être qui se croyait supérieur !

- Comment oses-tu... TE JOUER AINSI DE MOIIIIII ?!

Il écarta les bras, entraînant l’apparition de plusieurs déchirures à travers l'espace. Ces dernières vomirent des molossoïdes couverts d'écailles semblables aux siennes. Dotés d'ailes de chauve-souris, ils fondirent sur l'Envoûteuse, les mâchoires largement écartées et dégoulinantes de salive !
Leur présumée proie n'attendit pas qu'ils s'approchassent trop près d'elle pour en geler un sur place et, d'une simple impulsion télékinétique, l'envoyer exploser sur son voisin dans une pluie de débris glacés ! Les survivants voulurent se jeter sur elle mais l'Envoûteuse les prit de court, zigzaguant entre eux tout en frappant à une vitesse ahurissante.
Dans son sillage aérien, les ténébreux quadrupèdes implosèrent littéralement !
Les yeux écarquillés, Braenox reconnut là l’œuvre détonant de la fameuse Rune du Fort et de la Confrontation - Thurisaz.

- S-sois maudite, souffla-t-il en voyant Ryanne apparaître devant lui.

- Non merci, jubila-t-elle de sa voix étrange. Une fois, mais pas deux ! (Son sourire se fit féroce.) Je vais prendre le temps de vous faire payer cet affront au centuple, vous allez voir~

Elle lui balança un coup de poing vibrant de pouvoir ! La sueur au front, il l'évita aussi rapidement que possible.

- Tu n'es plus la même ! (Victime d'un nouvel assaut, il recula la tête toujours aussi vivement.) Par tous les diables, mais qui es-tu donc ?!

- Votre toute nouvelle Némesis, roucoula-t-elle. Et je suis bien décidée à vous enseigner la peur !

D'un looping, elle le débarrassa de sa garde et enchaîna par un formidable coup de pied retourné. Braenox invoqua sa protection la plus efficace - à base de pouvoirs runiques - mais celle-ci éclata comme une ampoule. A l'impact, il se courba douloureusement avant de repartir la tête en arrière, le menton frappé par un coup de genou des plus fulgurant !
L'Envoûteuse profita de son déséquilibre pour lui plonger une main dans le corps. Elle passa à travers les écailles et en arracha un joyau presque aussi gros que son poing. Dans le bijou courrait une énergie très spéciale...

- Hagalaz, déclara la semi-démone de sa voix étrange, à la fois sage et lugubre. (Elle était tout à fait indifférente aux cris de douleur de son opposant.) Rune du Passage et de la Communication entre les mondes. Je me demande bien à qui vous l'avez volée, celle-là...

Une main pressée contre son poitrail ensanglanté, Braenox releva la tête, le menton dégoulinant de sang. Cette attaque-là ne l'avait pas laissé indifférent...
Avec une certaine froideur, Ryanne continua sur sa lancée :

- Qu'importe au final. (Elle serra le poing porteur de la gemme.) Puisque vous ne méritez de porter aucun de ces bijoux, je vais me faire un plaisir à vous les ôter~

Le joyau d'Hagalaz explosa entre ses doigts !
Voyant l'une de ses Runes fétiches voler en éclats, la magie s'en évaporer par grosses volutes colorées, Braenox poussa un hurlement de rage. Il entreprit de répliquer par un coup droit renforcé par les pouvoirs de la Rune du Fort mais la Runiste aux cheveux neigeux l'esquiva d'une volte, se faufila dans sa garde et frappa à son tour !
En plus de se voir arracher le don de Brognÿ, le Time Breaker comptait un tout nouvel emplacement vide et sanguinolent sur sa poitrine violentée.
Le sang lui sortit par la bouche de plus belle !

- Ça fait mal ? s'enquit faussement l'Envoûteuse. Et bien sachez que c'est très peu de chose à côté de ce que vous m'avez infligée, ordure ! Il faudrait que je vous arrache le cœur en entier pour que vous puissiez en avoir un aperçu. Un grand dommage, puisque je vous en sais dépourvu.

Le visage révulsé, Braenox leva la tête jusqu’à temps pour voir arriver l'attaque suivante.
Une manchette - terrible, retentissante !
En un rien de temps, le Time Breaker fut catapulté au sol. Son corps émit un bruit sourd à l'impact. Ses os grincèrent. Alors qu'il se retrouvait étendu au sol, à demi-enterré dans un cratère d'un diamètre effrayant, il vit quelques-unes de ses écailles tomber de son front.
Pour un peu et elle lui aurait défoncé la boîte crânienne...

- Urkh... moi, me retrouver... dans un... tel état ?

Comme à son habitude, il ne songeait qu'à lui. Focalisé sur sa triste personne, il ne prêta pas grande attention à cet enfer qui menaçait de déferler sur lui. Il aurait mieux fait de garder les yeux ouverts car l'Envoûteuse, située quelques mètres au-dessus de lui, inspira à pleins poumons avant de vomir sur son périmètre une impressionnante mer de flammes primordiales !

Alors qu'un océan infernal bouillonnait en contrebas et que la boue en ébullition formait un voile noirâtre au-dessus des flammes rugissantes, je contemplais mon œuvre de destruction avec une satisfaction morbide.
La sensation était étrange...
Étrange, oui, mais pas pour autant désagréable. Au fond de moi je savais que je n'étais pas seule dans ce corps, mais je restais malgré tout maîtresse de mes mouvements - pas comme cette fois-là où une authentique sorcière s'était servie de mon énergie à ses propres fins. J'obéissais complètement à mes désirs, avec en outre le besoin de venger ma défunte amie mais également toutes les autres victimes des machinations du Time Breaker. Ce sentiment vindicatif ne me minait pas, ne m'assombrissait pas l'esprit, et n'empiétait sur aucun autre désir - comme celui de libérer toujours plus de pouvoir, et de me défouler de façon tout à fait primale. Je ne refoulais plus aucune émotion. Je vivais l'instant présent avec une étonnante lucidité...
Et, par dessus tout, j'avais le sentiment d'être complète !
J'eus un gloussement qui se mua très vite en un rire aux éclats.
Je m'étais retenue depuis trop longtemps. J'avais érigé bien trop de digues dans mon esprit. Les renverser avait ce petit quelque chose de libérateur...

- Étonnant ! clamai-je. Je n'aurais jamais cru qu'il serait aussi jouissif d'écouter les conseils d'un mage damné. Pour le coup, il s'est montré plus éloquente que le Maître ! Comme quoi la vie n'a décidément pas fini de me surprendre~

Le principe de l'Evilution soufflé par Malvon me faisait voir le monde d'un autre œil !
Les poings sur les hanches, un éternel sourire aux lèvres, je n'avais pas quitté des yeux le cratère où devait sans doute se consumer Braenox. Au milieu de toutes ces flammes violettes, il se fondait littéralement dans le décor. Et s'il hurlait à la mort, je ne l'entendais pas non plus. Contrairement à cette petite voix enfantine, familière et sortie de nulle part qui était venue me hurler à l'oreille quelque chose que j'avais sans doute oublié de prendre en compte.

- Qu'est-ce que tu fiche, Ry' ?! C’est vraiment pas le moment de se fendre la poire ! Tu ne vois donc pas que la terre est en flammes ? 'Faut à tout prix que tu fasses quelques chose, parce qu'elles sont sur le point d'avaler Vianna et Dathryth, là !

Ces informations provenaient de la bouche de Marisa.
Elle avait l'air en forme, pour une lilliputienne !
Mais pas le temps de le lui faire remarquer : la petite rouquine parlait d'or. Je n'avais pas besoin qu'elle me dise où regarder pour aviser ledit couple sur le point de griller comme feu mon adversaire.
D'une humeur quelque peu capricieuse, je fis tout de même la moue en constatant que mes ancêtres n'avaient même plus la force de se traîner hors de portée du brasier.

- Comme c'est dommage ! Je les avais presque oubliés, ces deux-là... (Je fis mine de me recoiffer.) Mais rassure-toi, petite Marisa : je ne suis pas encore assez folle pour les laisser tomber !

- J'espère bien... Tu sais, j'ai bien failli ne pas te reconnaître, avec ce regard flippant et ces cornes qui dépassent. (Je crus la voir déglutir.) J'ai loupé énormément de choses... tu me raconteras ?

- A l’occasion, certainement ! (Je pris la liberté de la glisser dans mon col.) Cramponne-toi, ma belle, parce que le voyage promet d'être mouvementé~

- Roger !

En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, nous fondîmes sur le duo en perdition !
Désespérée, Vianna serrait Dathryth dans ses bras. Ce dernier n'avait effectivement pas été épargné par le Time Breaker si on en jugeait par sa mine.
J'eus un sourire à leur adresse.

- Un tout petit instant, je vous prie ! dis-je alors que Vianna ouvrait la bouche pour s'exprimer. Galvanisée comme je l'étais, j'ai comme l'impression d'y être allé un chouïa trop fort ! (Je lui remis Marisa entre les mains et traçai la Rune Ferhu Inverse à même ma peau.) Attention les yeux ! Un p'tit coup de baguette magique et tout rentrera dans l'ordre avant même que nos amis les arbres ne subissent le sort peu enviable que je réservais au vilain~

Je tendis les bras, absorbant comme un siphon les flammes dévorantes du Feu Primordial ! Pendant tout le processus, j'eus des fourmis plein les bras. Une quantité absolument phénoménale d'énergie y circulait, avant de s'éparpiller dans tout mon corps et de conférer à ma silhouette un éclat quasi stellaire !

- Aaaaah ! m'exaltai-je. Ce que c'est gouleyant~ Je pourrais passer la journée à me repaître de ce feu-là !

Face à moi, le brasier avait diminué de façon drastique. Ces flammes dont j'étais la créatrice se hâtaient de retourner à la source. Elles ne menaçaient plus leur environnement, laissant plutôt dans leur sillage un sol bourré de creux noirs et fumants.
J'en vins très vite à suer un feu liquide à travers le voile dérisoire de mes habits. Je mis d'ailleurs un petit moment à me rendre compte de leur étonnante légèreté - forcément, même s'ils étaient composé de Tisse-Rune ils avaient fondu comme neige au soleil avec toute cette chaleur. Ceci dit, même je trouvais presque nue comme un ver, on distinguait à peine mes formes au beau milieu de toute cette incandescence.
Il n'y avait donc pas de raison d'en avoir honte !
Sous mes pieds nus, le sol produisait de l'écume...
Je baissai les yeux dessus.

- Ah oui, quand même ! gloussai-je en examinant tour à tour le dessous de mes pieds chauffés à blanc. De mes souvenirs, je crois ne jamais avoir autant flambé qu'aujourd'hui~

- Une telle quantité de magie..., soupira Vianna, visiblement ébahie. Comment fais-tu pour en engranger autant sans y passer ? C'est... c'est complètement insensé !

- Moi, plus grand chose ne m'étonne avec Ry', lâcha Marisa avec son habituelle franchise. Pis c'est pas la première fois qu'elle saccage ses vêtements ! L'autre fois, à la Tour Karine, elle-

- J'en ai assez entendu ! la coupa Vianna en lui barrant les lèvres d'un index. J'ai pleine vue sur son postérieur éblouissant, c'est déjà suffisamment marquant comme ça, merci !

Je pris le parti de m'éloigner d'elles - plus pour leur sécurité que par simple pudeur.
Sous mes pieds, le sol émettait des bruits de succion. Même si je trouvais cela amusant, quelque chose d'autre occupait mes pensées...
Malgré cette euphorie dans laquelle je m'étais plongée avec l'Evilution, j'avais comme un mauvais pressentiment. Ce ne fut qu'une fois parvenue au bord du plus impressionnant de tous les cratères que comptaient les environs que j'en compris la raison.
Je m'interrompis, éveillant par mon immobilité la curiosité de mon entourage.

- Un problème ?

- Non, répondis-je en agitant une main dans mon dos. Rien de bien grave ! Mais ne bougez pas d'ici. Il me reste encore un peu de rangement à faire.

Vous l'avez deviné ?...
Malgré l'intensité de ma dernière attaque, le corps carbonisé de Braenox n'avait pas disparu de la surface de la Terre. De nombreuses fissures sillonnaient son être. Il tenait même debout ! Il lui manquait un bras, certes, et un gros morceau de sa cuisse droite, mais une étincelle de magie trouvait toujours la force de briller au beau milieu de son front noirci. Je découvris que cette lumière avait une forme - et pas des moindres !
Naudhiz, la Rune du Feu Sacrificiel, chatoyait doucement...
Le manche de la Caladbolg toujours en main, je m'approchai du mort-vivant - parce que c'est ce qu'il était devenu.

- Ainsi vous êtes parvenu à préserver votre enveloppe charnelle du plus grand brasier jamais invoqué, commençai-je, presque admirative. Vous l'avez fait au prix de votre âme, qui elle s'est sûrement consumée avec mes flammes. M'est avis qu'il aurait été préférable pour vous de ne pas avoir eu recours à cette Rune-là. Vous vous êtes infligé une terrible malédiction... (Je souris sinistrement.) En même temps, aucune protection au monde n'aurait pu vous sauver de mon feu. Vous faites un très mauvais perdant, Braenox !

Le Runiste maudit eut un grognement rauque. Je ne savais pas s'il comprenait ce que je lui disais mais ma présence n'avait pas l'air de beaucoup lui plaire !
Je raffermis ma prise sur le manche de la Caladbolg avant même que la carcasse du Time Breaker ne se mette en mouvement.

- Cela tombe plutôt bien, ricanai-je. Avant d'avoir senti votre présence, je me demandais ce que j'allais bien pouvoir faire de toute cette énergie qui suinte par tous les pores de ma peau... Inconsciemment, vous m'en avez donné la réponse.

Les jambes fléchies, j'adoptai une posture ramassée comme pour extirper rapidement mon épée hors de son fourreau. Ma main droite en tenait le manche tandis que sa comparse, qui survolait le vide à l'ancien emplacement de ma lame, était occupée à synthétiser un tranchant en Scellenite.
Douée des connaissances de Malvon - un très grand professeur en matière de Runes -, je n'eus point à faire beaucoup d'effort pour accomplir ce prodige. Un tel savoir associé aux pouvoirs de la Pierre Philosophale était redoutable !
Le Feu Primordial qui n'avait de cesse de brûler en moi imprégna aussitôt la lame transparente de la Caladbolg. Très vite, j'eus cessé d'émettre cette lumière vive au bénéfice de mon nouvel acier.

- Pour Yggdrasia, soufflai-je. Je vous dis adieu, Runiste raté !

Plus que de simples flammes, mon fulgurant revers provoqua une explosion de Feu Primordial si terrible qu'elle pulvérisa littéralement Braenox et son misérable sortilège de survie ! Il mourut de façon définitive, en ne laissant derrière lui rien d'autre que de sombres souvenirs.
L'Expiration - une technique dangereuse liée à la Rune Ferhu - ne pardonne jamais ! Et comme je venais d'en utiliser une dérivée à main armée...
Je jetai un vague coup d’œil à la Caladbolg pour me rendre compte, avec un franc soulagement, que sa toute nouvelle lame transparente n'avait pas souffert du dernier coup porté.

- Tu ne cesseras donc jamais de me surprendre, ma jolie~

Je poursuivis mon chemin en fredonnant un petit air à sa gloire, pour finalement m'interrompre à deux pas du rebord du cratère.

- Ah ! J'allais oublier, fis-je en me flanquant un petite tape sur le front. Quelle gourde !

Ma tenue, en l’occurrence !
Il ne me fallut qu'une poignée de secondes seulement pour la régénérer et lui rendre son lustre d'antan. Mais juste après ça, je me sentis vidée de toutes mes forces...
Le contrecoup de cette transformation inédite, sans doute !
La fourreau de la Calabdolg matérialisé à ma ceinture, je pris soin de la rengainer d'un geste expert.

- Généralement, quand on répond « rien de bien grave », c'est que le problème en question ne nécessite pas qu'on le résolve avec une explosion dantesque ! m'attaqua Vianna, qui avait vraisemblablement repris du poil de la bête. (Elle m'observait d'un air critique, les mains sur les hanches.) Et que diable signifie cette apparence ? Regarde-toi ! Des cornes t'ont poussée sur la tête et tes yeux ont changé de couleur. Et je ne parle même pas de tes cheveux ! On dirait que Dathryth a déteint sur toi... Bon sang, je ne comprends plus rien à tout ce qui se passe ici !

- Ne t'énerve pas, souffla calmement le dernier cité depuis le sol où il s'était assis. En tant que Runiste, tu devrais savoir que les mutations de ce genre n'ont rien de surprenant. Surtout pour quelqu'un qui exploite plusieurs pouvoirs élémentaires en même temps...

- C'est complètement aberrant, soupira Vianna, les yeux baissés sur son Consultant. Malgré son jeune âge, cette fille nous surclasse sur tous les plans ! Elle utilise ma Rune d'Âme comme si elle lui avait toujours appartenu... Comment expliques-tu ça, toi ?

- L'affinité, tout simplement, intervins-je à la place de mon ancêtre. Et peut-être aussi parce que j'en ai fait les frais, au village ! Quand on encaisse une attaque et qu'on y survit, il est plus facile d'en comprendre le fonctionnement et les propriétés. C'est comme ça que mon Maître m'a enseigné quelques-unes de ses techniques... (J'eus un regard entendu à l'attention de Dathryth.) J'ai aussi mené quelques études sur les Runes - en particulier Isa, l'opposé de Ferhu - comme le carnet que vous m'avez emprunté en témoigne. (Je tendis la main.) J'aimerais que vous me le restituiez, s'il vous plaît ! Même si j'ai conscience qu'il vous a beaucoup servi, j'y tiens tout autant que vous.

Dathryth hocha la tête. Il ne posa pas davantage de question et me le rendit sans aucune forme de cérémonie.
Marisa, en bonne opportuniste, choisit ce moment pour bien se faire remarquer. Elle bondit sur le livre de poche et croisa mon regard, les bras croisés sur sa poitrine.

- T'as liquidé le méchant et c'est une super bonne nouvelle, mais j'suis encore minuscule... A force de lever la tête pour parler aux autres, je vais finir par choper une crampe au cou ! (Elle prit un air boudeur.) Dis... comment j'vais faire pour redevenir normale, moi ?

- Ne t'en fais pas pour ça ! De retour au bercail, nous trouverons une solution pour te désenvoûter.

Épaulé par sa plus chère alliée, Dathyrth s'était redressé. Il avait l'air contrarié. Comme si quelque chose le préoccupait...

- Puis-je savoir qui lui a jeté ce sortilège ? s'enquit-il.

- Le Drac, répondis-je. Peu de temps avant... (J'allais parler de transfert, aussi pris-je la peine de rectifier le tir.) ma venue dans cette forêt.

- Alors nous avons un gros problème, déclara-t-il sombrement. Vianna est censée nous en avoir débarrassé. Et même si je l'ai vu de mes propres yeux, je crains que nous ayons été menés en bateau...

Une main posée sous le menton, la Runiste eut soudain l'air aussi soucieuse que son compagnon...

- Gelé jusqu'à la moelle, il s'est éparpillé au quatre vents. Mais en théorie, à l'heure qu'il est, sa malédiction aurait dû s'éteindre avec lui depuis longtemps, oui. Alors comment aurait-il fait pour... Ah ! vous voilà enfin, vous autres !~

Brognÿ, Ralarth et Nostell étaient revenus parmi nous. Ils étaient tous exténués mais dans l'ensemble ça avait l'air d'aller plus ou moins bien. Contrairement à Yggdrasia et le reste de leur équipe...
Marisa ne s'était pas encore rendu compte de l'absence de l'Hamadryade, mais je craignais le moment où j'allais devoir lui dire la vérité.
Avec une grimace, le colosse fit mine de s'étirer.

- On s'est réveillés dans les bois avec une sale migraine, dit-il en tant qu'interprète de ce trio de survivants. Et à nos côtés gisaient des coquilles vides en écorce à l'effigie de femmes... Comme Ralarth, j'ai encore du mal à me souvenir de ce qui s'est passé avant l'arrivée de Nostell.

- Ne force pas trop, lui conseilla l'archère. L'important, c'est que tu puisses encore aligner un pied devant l'autre. J'ai mis un certain temps avant de recouvrer cette simple faculté... Je tiens à m'en excuser auprès de vous tous.

J'avais bel et bien donné pour instruction à mes Filles de la Nature de préserver la vie du duo Ralarth/Brognÿ par n'importe quel moyen. Quant à Nostell, elle avait sans doute dû rester en retrait suite à sa confrontation éreintante avec le Drac, puis par tomber sur les deux rescapés et leur escorte...
Je remarquai en douce que le Pugiliste n'osait même plus me regarder en face.
A contrario de son frère d'armes, il n'avait pas tout oublié, lui...
Je n'insistai pas. Sur le plan mental, il aurait besoin de temps pour s'en remettre.

- Ça fait plaisir de vous revoir en vie ! clama Vianna. L'autre moitié de notre effectif n'a pas eu cette chance, malheureusement...

- Mouvementée comme elle est, la vie d'un aventurier n'est jamais sans risque, concéda Dathryth. Nous honorerons leur mémoire le moment venu. Et nous apprendrons de nos erreurs... Nous n'avons pas le choix. La vie doit continuer.

- Mais pour cela encore faudrait-il que je vous en laisse l'opportunité, caqueta une voix haut perchée. La sélection naturelle a éclairci vos rangs à ce que je constate !

Cette voix appartenait au Drac !
Je ne m'étonnais plus de le savoir capable de brouiller ma capacité de Perception. Ce monstre avait plus d'un tour dans son sac... Un vrai trompe-la-mort, à en croire les dires de Vianna et Dathryth !
Comme animée par une même pensée, toute l'équipe eut un geste brusque.

- Ainsi mon hypothèse était la bonne, maugréa Dathryth.

- Argh ! Pas lui ! couina Marisa en se réfugiant dans mon col aussi vite que possible. (Elle tremblait de tout son être.) J'veux pas qu'il me séquestre, Ry' !

J'ignorais les détails de cette histoire mais je n'étais sûrement pas prête de lui livrer ma disciple !
Le plus costaud d'entre-nous fit un pas en avant, Nostell et Ralarth sur ses flancs.

- La peste soit du Malin ! rauqua Brognÿ, qui en oublia l'absence de sa hache.

- Attends ! intervint Vianna en lui barrant la route d'un bras levé. (Avec le plus grand sérieux du monde, elle soutint le regard moqueur du Drac.) Comment t'y es-tu pris, au juste ? Nous t'avons pourtant vu trépasser !

Tout en délicatesse, les mains jointes dans le bas du dos, le Drac prit le temps de nous rejoindre sur la terre ferme. Il avait l'air ravi de se tenir sous les projecteurs, de s'être accaparé l'attention de tous les spectateurs. Son grand sourire aux dents pointues en témoignait largement !

- Vous avez vu ce que je voulais que vous voyez, ma chère, rectifia-t-il. Vous avez pris la « vie » d'un substitut Dialint. Si vous saviez le temps que cela m'a pris pour l'y préparer... mais je ne regrette rien, parce que c'était absolument grandiose comme événement ! Si cela peut vous réconforter, sachez que le plaisir que j'en ai retiré était immense~

- Quel monstre d'égoïsme, cracha Nostell.

Tout comme Ralarth qui rongeait son frein à l'idée de lui en coller une, l'éclaireuse brûlait d'envie de transformer le Malin en porc-épique avec ses flèches. Mais, d'instinct, ils savaient tous les deux qu'ils n'étaient pas en état de se jeter dans une autre bataille... A l'instar du reste de cette équipe, moi incluse !
Pourtant, j'avais toujours les moyens de lui donner le change rien qu'avec cette nouvelle apparence.

- Votre plus grand collaborateur est mort, lui annonçai-je. Qu'est-ce qui vous fait croire que nous ne sommes pas en mesure de vous envoyer le rejoindre ?

Pour parfaire le rôle que je m'étais donné, je le défiais du regard.
Notre ennemi commun eut un rire grinçant.

- Il n'y a absolument rien de tragique là-dedans ! Je comptais me débarrasser de lui un jour ou l'autre, petite Envoûteuse. Quand on est du même tonneau, le monde devient très vite étroit, comprends-tu ?

- En d'autres termes, vous n'avez pas daignez levé le petit doigt pendant que je m'occupais de son cas... Cela vous ressemble bien !

- Je prends cela pour un compliment~

- Ce n'en était pas un, lui jeta Dathryth. Tu t'es déjà bien trop amusé à nos dépends, infâme diablotin. (Il se tourna à demi vers ses compagnons.) Vous autres, aux armes ! La mort de nos proches ne restera pas impayée.

Alors que Ralarth et Brognÿ se ruèrent à la rencontre du Drac, ce dernier claqua des doigts.
Il n'eut point besoin d'incanter que, d'emblée, nous nous retrouvâmes cloués au sol comme si chacun d'entre nous pesait des tonnes !
Le Malin évacua un profond soupir.

- Dans l'état où vous êtes, vous pensiez vraiment qu'en surjouant vous réussiriez à tromper le Drac lui-même ? Ha ! Quelle bande de vilains garnements vous faites. Tenter de me jeter de la poudre de perlimpinpin à la figure... allons donc !

Il se fraya tranquillement un passage entre Ralarth et Brognÿ, puis s'arrêta au-dessus de Dathryth qu'il gratifia d'un grand coup de pied entre les côtes ! Je l'entendis gémir de douleur.

- On peut dire que tu ne manques pas d'humour, pour un misérable chef de peloton~

Dans ces circonstances, même parler était au-dessus des forces de tout le monde.
Si j'y parvins toutefois ce fut au prix d'une vive douleur dans la poitrine :

- A quoi... rime tout cette... mise en scène ?

En forçant davantage, il me fut possible de me dresser sur un genou. Mais je me rendis compte très vite que me hisser plus haut tenait de la chimère.
Cette force que le Drac exerçait sur nous était écrasante, et je compris pourquoi en observant la paume de sa main levée : Thurisaz, la Rune du Fort, y brillait intensément !
Avec une expression jubilatoire, le Malin se pencha à ma hauteur et me prit le menton entre ses doigts.

- Vous m'avez tous très bien servi, il est vrai, ricana-t-il. Vous voir gesticuler dans tous les sens m'a aussi très bien occupé - du cinéma de haut vol, si vous voulez mon avis ! (Subitement, son sourire de bienveillant disparut, remplacé par un air sadique.) Ceci dit, après tout ça, j'en suis venu à m'interroger... à quoi allez-vous bien pouvoir me servir maintenant ?

Il me souleva de terre sans que je puisse rien y faire. Marisa, qui se trouvait toujours nichée dans mon col - et donc installée aux premières loges -, contemplait la scène en toute impuissance.

- Hélas ! Je crois bien que la réponse est toute trouvée...

Toute grimaçante, je portai inutilement les mains à mon cou. Une simple pression de ses doigts mettrait un terme à mon existence.
N'oublie pas le signe, fit cette petite voix presque obscène dans un recoin de mon esprit.
Mais je ne voyais pas trop quoi en faire, car même si le symbole de Ferhu Inverse ne s'était pas effacé de ma peau je ne disposais pas d'assez de ressource pour produire de nouvelles flammes. Sans compter le fait qu'il n'y avait aucune autre source de chaleur dans les parages...

- Ggh... uuugh, fis-je en agitant mollement les jambes.

- Tu n'as pas l'air d'en avoir de meilleure à me proposer, triompha sournoisement le Drac. J'aurais pu m'attendre à un ultime éclat mais soit... en souvenir de mon imbécile de « collègue », je vais décharger tes épaules du fardeau de cette caboche de pauvresse ! (Il m'éleva dans les airs.) Et bien haut, afin que tes compagnons d'infortune se fassent éclabousser par la preuve sanglante de ma victoire~

Il commençait tout juste à resserrer sa prise lorsque je sentis une bulle de incandescente se former non loin de mon cœur. L'énergie m'était étrangement familière, et cette impression se confirma dès l'instant où la voix de Marisa explosa :

- Retire tes sales pattes de ma frangine, bouffon filiforme !

Oh, oui, je le sentais vraiment pour le coup ! Ma précieuse disciple ne se contentait plus de produire quelques volutes de chaleur comme cette mystérieuse fois, face au Vieux Charlie ; il émanait d'elle une aura brûlante, si intense qu'elle était en train de dévorer mon col et l'ourlet de ma capuche avec hardiesse !
Le voilà, ton brasier, me souffla de nouveau la voix - celle de Malvon, compris-je avec un certain temps de latence.
Ferhu Inverse fit son office, se connectant au feu de Marisa afin de me permettre d'y puiser quelques ressources non négligeables grâce à l'Inspiration !
Aussitôt requinquée et entourée de flammes oranges, je m'agrippai plus fermement au poignet de mon tortionnaire ébahi.

- Oh ! lâcha-t-il. J'avais oublié mon petit générateur au tempérament de feu.

Il émanait une telle énergie de la lilliputienne que je me découvris en mesure de me plonger dans le Cœur de Glace, et par extension d'en nourrir à mon tour le brasier.
Je m'arrachai à la poigne du vilain d'un bon coup de genou !

- Tu m'étonneras toujours, Marisa ! claironnai-je en retombant adroitement sur mes pieds. Quelle joie que nous nous soyons retrouvées~

- Carrément ! affirma-t-elle, heureuse pensionnaire de mon col. Allez, vas-y ! Fous-lui la pâtée, Ryanne !

Par-dessous mes vêtements en flammes, les symboles cabalistiques propres à l'activation de ma première transformation brillaient à la surface de ma peau. Je ressemblais presque à ces effigies de bois que l'on a pour coutume de brûler pendant les jours de carnaval.

- Keuf ! cracha Le Drac. Une chance pour toi, Envoûteuse, que j'ai sous-estimé les pouvoirs de ta protégée en situation de crise. (Il me contemplait de pied en cape.) Sa Rune d'Âme, Kenaz, symbole du Feu Interne et Domestiqué, mais aussi de l'hyper-sensibilité, s'avère être de toute beauté...

A en croire le ton qu'il venait d'employer, admettre son erreur le répugnait plus qu'autre-chose.
J'eus un sourire en coin.

- Très instructive comme remarque, dis-je. Que diriez-vous d'en avoir un meilleur aperçu ?

Je me sentais aussi légère que les langues incandescentes de ma disciple, si bien qu'il ne me fut pas difficile de charger le Drac tête la première - n'oubliez pas mes cornes - et de l'éloigner des autres aventuriers que son sortilège gardait cloués au sol.
Un hoquet de douleur lui échappa mais le Malin, en plantant ses talons dans la terre, trouva la force de s'immobiliser à une bonne dizaine de pas de ma personne.
Il se passa une main sur le ventre avant de me décocher un de ses damnés sourires.

- Tu ne manques pas de piquant, siffla-t-il. Mais si c'est là tout ce que tu as à m'offrir, petite pimbêche, tu ne feras pas long feu ! (Son sourire diabolique lui fendait le visage d'une oreille à l'autre.) A ta manière, tu as su développer une Transcendance Runique - et je t'en félicite. Mais admire plutôt l'authentique, l'originale... celle que m'ont enseigné tes ancêtres dans leur pseudo-victoire !

Enjoy the show !~:

Subitement, il se contracta de tout son être et poussa un hurlement au ciel !
Une énergie brute, en quantité phénoménale, jaillit par tous les pores de sa peau jusqu'à réduire son manteau en lambeaux. Le Drac, qui était maigre comme un clou, se vit alors doter d'une musculature digne d'un culturiste de renom ! La flamme de son aura prit alors davantage d'ampleur, arrachant encore plus de matière à la terre et l'entraînant dans son tourbillon de puissance.
Le corps hypertrophié du Malin était strié de veines mais, plus important encore, celles-ci abritaient les pouvoirs de la Rune Thurisaz. Les yeux coquins du Drac miroitaient des répliques miniatures de ce symbole magique.
Instinctivement, j'eus un mouvement de recul ! Le temps d'un battement de cils, mon adversaire était déjà à portée de frappe, son poing droit prêt à me cueillir.

- Ou l'art de renverser la vapeur ! jubila-t-il.

Je me contorsionnai à la dernière seconde. Ses cinq phalanges me frôlèrent, arrachant quelques flammèches à ma silhouette. Avant même que je ne puisse répliquer, le Drac me saisit par les cheveux et, d'une rotation du corps, me balança à travers le champ de bataille !
J'entendis le sol trembler sous ses pas avant même de toucher terre et pourtant, malgré son poids, je ne fus pas en mesure d'anticiper sa prochaine attaque ; à l'impact, j'eus l'impression que le dessus de sa cuisse outrageusement développée m'avait traversé l'estomac !
Projetée en l'air à la manière d'une fusée, je n'eus guère le temps de m'en émouvoir ; le Drac était déjà à ma hauteur, les mains jointes au-dessus de son chapeau en pointe...

- On fanfaronne moins, tout à coup, hein ?!

Il y eut comme un décalage entre le moment où sa manchette fit mouche et où la détonation retentit.
Le corps vrillé par une douleur sourde, j'atterris avec perte et fracas à proximité du cratère déjà existant - celui que je venais de creuser avec mon propre corps n'avait absolument rien à lui envier en terme de circonférence.
J'eus un mal de chien à me redresser.

- A-aïe !... Je comprends maintenant d'où lui vient... toute cette confiance...

- Ça va aller, Ry' ? s'enquit ma passagère, heureusement point aussi secouée que je l'étais. Il est en train de nous massacrer, là ! Qu'est-ce qu'on va bien pouvoir faire contre lui ?

- Honnêtement ? Je n'en sais rien...

Et les autres qui ne pouvaient toujours pas bouger...
La situation était désespérée, mais je n'allais pas me laisser abattre pour autant !
Soudain je vis une ombre s’élargir sous mes pieds. Elle appartenait au Drac, qui menaçait de me tomber dessus comme une météorite !
Impossible de me décaler à temps. En revanche, je parvins à m'éclipser grâce au Déplacement instantané, puis à réapparaître juste au-dessus du maître des Dialints. Ses pieds joints s’enfoncèrent dans le sol ; les miens s'écrasèrent sur sa nuque.
Une fois que la terre eut cessé de gémir, un court et embarrassant moment de silence s'ensuivit... tout juste assez long pour me faire comprendre que ma contre-attaque n'avait même pas fait sourciller mon adversaire.

- Pauvre petite souris, se gaussa le Drac non sans faire craquer ses vertèbres supérieures. Tu me fais vraiment de la peine, tu sais ?

Pour m'attraper la cheville, il n'eut qu'à lever la main. La suite ? Je vous laisse l'imaginer !
C'est l'histoire d'un visage aimant, qui rencontre avec force violence un sol complètement retourné...
Sous moi, j'entendis Marisa couiner de douleur. A sa voix s'était jointe la mienne.
Le choc fut tel qu'il étouffa nos flammes ! Des mottes de terres volaient en tout sens. Le monde s'était mis à tourner...
La fin approchait : ma courageuse élève et moi étions définitivement à bout de forces.

- Quelle déveine, n'est-ce pas ? sourit le vilain. Dans des circonstances plus favorables, tu aurais peut-être été capable de faire jeu égal avec moi...

Fier de sa puissance, le Drac me fit tourner trois fois au-dessus de sa tête avant de me jeter hors du cratère comme un vieux sac. Percluse de douleurs, je rebondis trois fois sur le dos avant de m'étaler de tout mon long.
Il a raison, me confia Malvon, sa voix de plus en plus lointaine. Ton corps n'est pas encore habitué à l'Evilution. J'aurais dû te prévenir... Maintenant, il est trop tard... trop tard..... trop..... tard.
Et puis plus rien !
Plus une seule étoffe de mon vêtement n'était imprégnée de flammes. Ma peau n'affichait plus aucun motif cabalistique, et j'imaginais bien que la disparition subite de mes cornes évoquait la juste fin de ma métamorphose...
Le simple fait de me hisser sur les coudes fut une épreuve en soi.
Plus massif que jamais, le Drac s'approchait de moi d'un pas lourd. Et bien sûr, il souriait de toutes ses dents, cet infamant !

- Oui, reprit-il. Peut-être bien que tu aurais eu le pouvoir de me dépasser, si jamais ce cafard de Braenox n'avait pas épuisé tes forces avant cette ultime rencontre... Il t'accordait beaucoup de crédit, en tant qu’Envoûteuse ! (Il éclata de rire.) En réalité, cet imbécile te craignait. La peur obscurcissait ses pensées ! C'est elle qui l'a poussé à agir. Mais de son vivant jamais n'aurait-il eu le courage de l'admettre.

Malgré ma position peu enviable, je me permis cette bravade :

- Et il avait cent fois raison, répondis-je. Là où je l'ai envoyé, il serait bien forcé de le reconnaître... même auprès de vous.

Soutenue par la Caladbolg que j’avais tiré au clair, c'est tout juste que je parvins à me poser sur un genou. En revanche, pour ce qui était de m'en servir contre ce monstre de puissance... au mieux un rêve éveillé, en considérant mon état !
Je rencontrais toutes les peines du monde à empêcher mes mains de trembler.

- Vous êtes fin psychologue, soupirai-je. J'aurais tant aimé vous... transpercer le cœur avec cette épée. (Nouveau soupir.) Quel dommage... comme vous dites !

- Ah ha ha ha ! Excellent, s'égosilla-t-il. Tu ne manques vraiment pas de toupet, pour une mourante... J'aime ça !

- Ry... Ryanne, croassa Marisa, comme sur le point de fondre en larmes.

- Désolée, lui dis-je en baissant la tête. Je n'ai pas été à la hauteur... Ferme les yeux, Marisa.

C'est là ce que je fis...
Juste avant qu'un sifflement magique, accompagné d'un prodigieux flash de lumière, ne sonne l'arrivée inopinée des renforts !

Dans mon dos, la voix de Chronoa, autoritaire et résonante, se fit entendre :

- Ça suffit comme ça, le Drac !

Incrédule, je m'étais tordu le cou dans l'espoir d'obtenir meilleur visuel sur la Kaïoshin du Temps.
Elle n'était pas seule : un groupe de combattants hétéroclites l'entourait, prêts à en découdre ! Je remarquai que, tout autour de nous, le temps s'était figé. Les nuages, la poussière, la frondaison des arbres... Dathryth et sa clique - tout le monde, mis à part le Drac, Marisa, les Time Patrollers et moi-même.
Notre ennemi commun jeta un sourire goguenard à Chronoa.

- Tiens, tiens, tiens... La Kaïoshin du Temps en personne s'est déplacée ! Et avec quelle équipe, franchement, quel honneur ! J'en suis tout émoustillé... (Sensible à la menace, il parut tout de même reprendre un peu de sérieux.) Pourquoi devrais-je t'obéir, petite Kaïoshin ? Parce que tu as pris la peine de venir à ma rencontre avec une escorte ?

L'air revêche, la concernée brassa l'air d'un revers de main.

- Même si cela me répugne de devoir l’admettre, tu as obtenu tout ce que tu es venu chercher dans cette époque, monstre, trancha-t-elle. De nouveaux pouvoirs et beaucoup d'amusement, comme à ton habitude !

- C'est dans ma nature, effectivement, répliqua-t-il en écartant les bras de façon théâtrale. Rien d'inédit aux yeux d'une Veilleuse telle que toi, ceci dit... (Il baissa les yeux sur moi.) Pour que tu interviennes à cette époque et à cet instant précis, dois-je comprendre que la vie de cette pauvre petite dinde a plus de valeur que celle de tes chaperons ?

- Tu te méprends. Je leur accorde tous autant de crédit, car ils sont mes agents ! Et si je suis intervenue aujourd'hui, c'est à cause de ton « compagnon de jeu » diabolique... Ce fourbe de Time Breaker ! Tu as commis l'erreur de lui prêter main forte !

J'avais le sentiment qu'elle ne disait pas toute la vérité, mais soit : je n'étais pas en mesure de faire la fine bouche, car sans son intervention le Drac m'aurait pulvérisée depuis quelques bonnes minutes déjà.
Le concerné fit un pas en avant, attisant de ce fait la méfiance des policiers du temps.
Bien que le temps eut été figé, l'atmosphère était lourde de menace.

- Palabres inutiles, cracha le Malin. Braenox est mort, effacé de ce monde comme de tous les autres par la main de ta protégée que j'étais sur le point d'achever. (Il évacua un soupir désabusé.) Tes fausses excuses m'ennuient, Kaïoshin du Temps ! Tu ferais bien d'ordonner à ta vilaine troupe d'attaquer avant que je ne décide de te broyer entre mes mains.

Les guerriers temporels s'agitèrent, la garde haute, mais Chronoa leur intima de ne pas céder à pareilles frasques.
Quelque chose n'allait pas avec ses soutiens : même en combinant leurs forces, ils n'étaient pas en mesure d'arriver ne serait-ce qu'à la cheville du Drac...
Celui-ci devait le sentir, sans quoi il se serait jeté dans le tas.
Que manigançait donc leur donneuse d'ordres ?

- Je ne les ai pas fait venir ici pour qu'ils te servent d’exutoires, révéla-t-elle. Et de toute manière, tu n'en retirerais qu'un plaisir éphémère - et encore. Figure-toi que j'ai parfaitement conscience qu'aucun de nous ici n'est en mesure de te tenir tête. Tu as accumulé bien trop d'énergie et, si je l'avais pu, j'aurais fait mon apparition plus tôt. Malheureusement, la faille conçue par Braenox agissait comme un brouilleur... Remonter la piste de Ryanne à travers les couloirs du temps n'a pas été une mince affaire.

Et pourtant, elle y était arrivée.
Tout de même ! quelle ironie que la Kaïoshin du Temps ait eu besoin... de temps pour nous retrouver. Chronoa m’adressa un petit sourire complice avant de reporter son attention sur le Drac.

- Je comptais la réprimander pour s'être jetée droit dans la gueule du loup, mais ça c'était avant d'avoir un bref aperçu de sa puissance...

- Nous y voilà enfin ! s'exclama le Drac en croisant patiemment les bras sur sa puissante poitrine. C'est à croire que tu prends plaisir à tourner autour du pot.

Elle ignora sa remarque et, en bonne diplomate, reprit sereinement :

- Tu raffoles de défis à ce que j'ai cru comprendre ? (Elle eut l'air maligne, pour le coup.) Ryanne en est un, et tu le sais tout autant que moi. Seulement, sans même t'en rendre compte, tu te comportes comme ton compagnon déchu... Oui : au fond de toi, tu as peur de ce qu'elle est amenée à devenir !

- Moi ? Le Drac ? craindre pour ma vie ? Ha ! Tu ne manques décidément pas d'humour ! Mais nous as-tu bien regardés, elle et moi ? L'Envoûteuse, incapable de se relever ; le Drac, bien portant !

- Plus longtemps que tu ne le penses, répliqua Chronoa avec une assurance qui lui coupa le sifflet. Je sais ce que je dis : cette humaine n'a pas fini de te surprendre ! Alors, en considérant cela, serais-tu prêt à lui laisser la vie sauve ? C'est dans ton intérêt si jamais tu envisages de t'amuser sur la durée... parce qu'après tout, dans ces conditions, que pourrait bien t'apporter son exécution sinon une trop brève satisfaction ?

De nouveau, les yeux luminescents du Drac m'étudièrent. Le mastodonte avait cessé de sourire. Il semblait réfléchir...

- J'comprends absolument rien à ce qui s'passe, me glissa Marisa à l'oreille. C'est normal ?

- Ce sont des pourparlers, lui expliquai-je. Chronoa est en train de négocier nos vies. (Je fis un effort surhumain pour me redresser et lever la main.) Aheum !... Permettez que j'en place une ? (Un silence - approbateur, vraisemblablement.) Bien. Je pense avoir deviné où veut en venir notre très estimée Kaïoshin du Temps. En supposant que - au summum de ma forme - je sois réellement capable de vous mettre à mal, vous, le Drac en personne, elle projette de reporter notre combat à plus tard dans l'espoir de satisfaire les deux parties que nous représentons. L'idée m'arrangerait, mais en ce qui concerne les détails... on nage dans le brouillard !

- Vraiment amusante, comme alternative ! rebondit l'intéressé. Mais quand bien même viendrais-je à en éprouver de l'intérêt, quelle raison aurais-je de vous croire ? Vous pourriez très bien essayer de me rouler dans la farine - et d'ajouter à ma frustration - en essayant de me fausser compagnie d'une manière ou d'une autre... Tous les moyens sont bons pour fuir la terreur que j'incarne ! (Son sourire de diable réapparut.) Sauf, peut-être, si l'Envoûteuse accepte de pactiser de son plein gré avec le Grippi - c'est à dire moi! - en apposant sa signature magique sur ce contrat~

D'un simple claquement de doigts, il fit apparaître une liasse de vieux parchemins entre mes mains. La surprise manqua me faire lâcher la Caladbolg ! Faute de bras disponible, celle-ci dut tout de même réintégrer son fourreau tandis que je m’affairai à la lecture...
Il était stipulé sur ces documents qu'en acceptant les closes du contrat, en échange d'un sursis plus que confortable, je mettais en jeu mes pouvoirs en sus de mon âme entre les mains du malin si jamais il me venait dans l'idée de renoncer à un affrontement en bonne et due forme le moment venu...
En silence, concentrée au maximum, Chronoa inspectait chaque ligne présente sur ces maudits parchemins.

- J'ai la vive impression d'être sur le point de commettre une énorme bêtise, murmurai-je.

- Et moi donc ! répliqua-t-elle. Je ne m'attendais pas à ce qu'une montagne de paperasse nous tombe dessus... (Elle interrompit sa lecture et inspira un grand coup.) J'ai un peu de mal à l'admettre mais tout est en règle. (Un grognement lui échappa.) Quelle honte que l'on doive se soumettre à ses exigences pour te garder en vie ! J'en suis navrée, Ryanne, mais même avec mes pouvoirs...

- Si seulement j'avais été plus forte, bafouilla Marisa.

- Stop ! Vous n'avez aucune raison de vous en vouloir, les coupai-je. J'en prends l'entière responsabilité. Parce qu'il n'est pas question que je meurs avant d'avoir ramené Yggdrasia à la vie !

Sous mon cou, je sentis Marisa remuer brusquement.

- QUOI???!! Y-Yggdrasia est morte ?! Mais co-... comment... a-t-elle... Ouiiiiiiiiiiiiiiiin !!!

Oh, la boulette ! Je n'avais pas eu le temps de le lui annoncer en douceur et voilà que c'était sorti d'un seul coup, comme ça, sans prévenir...
La culpabilité me saisit à la gorge, et c'est le cœur lourd comme une enclume que j'apposai ma marque en bas de ce maudit contrat.
D'un mouvement de doigts, le Drac récupéra sa liasse par impulsion télékinétique. Il baissa les yeux dessus, hocha la tête plusieurs fois, puis fit disparaître les feuilles de parchemin d'un nouveau claquement de doigts.

- C'est une affaire qui roule, claironna-t-il avant de tourner les talons et de nous adresser un geste de la main. Au plaisir de te remettre à ta place lors de notre prochaine rencontre, Envoûteuse~ Tâche de t'améliorer d'ici-là. Que je ne regrette pas de vous avoir épargné alors qu'il m'aurait été facile de vous écraser comme de vulgaires moucherons !

Aussitôt dit, il s’éclipsa sans laisser la moindre trace de son passage si ce n'étaient les dégâts sur l'environnement causés par notre affrontement à sens unique.
Exténuée sur tous les plans, je me tournai vers Chronoa. Derrière-elle et son escorte anonyme, Dathryth et les autres n'avaient toujours pas bougé d'un pouce. Ils étaient toujours figés dans le temps, à ma grande interrogation.

- Vous ne les libérez pas ? demandai-je à Chronoa en lui indiquant les aventuriers d'un mouvement de menton.

- Pas avant d'avoir altéré leurs souvenirs. (D'un geste de la main, elle m'invita à observer sa troupe postée face aux aventuriers de l'époque.) Tu vois ces rouleaux de parchemins qu'ils transportent ? Ils contiennent des réminiscences factices. Elles frôlent la réalité, si bien que tes ex-compagnons oublieront ton visage et tes origines mais rien de ce qui s'est passé ici. Ils se souviendront avoir affronté un puissant sorcier de l'époque aux côtés d'une magicienne qui n'en démord pas, et c'est tout ! Le processus est assez long, mais quand je peux rectifier le tir de cette manière-là je ne vois pas l'intérêt de m'en priver...

- J'aurais bien voulu leur dire adieu, soupirai-je, mais la raison doit prévaloir. J’imagine vous avoir causé pas mal de soucis en traversant cette saleté de portail...

- Ne dramatise pas. Tu l'as fait pour sauver tes proches, et ça c'est très noble de ta part, voulut me réconforter Chronoa. Ça m'embête de le reconnaître mais tu n'avais d'autre choix que de plonger à travers cette faille. Dans le cas contraire, tu aurais définitivement perdu cette petite chouineuse, dit-elle en parlant de Marisa, qui n'avait pas fini de tremper mon col avec ses larmes. Vous formez la paire, à vrai dire : l'une serait morte sans l'intervention de l'autre, et inversement !

Elle avait raison, mais ça ne changeait rien au fait que j'avais perdu un être cher ainsi que plusieurs compagnons de valeur.

- Bien qu'on ne puisse pas en dire autant pour tout le monde, vous parlez d'or, répondis-je en dodelinant de la tête. Néanmoins, il me reste énormément de choses à apprendre... si je veux... permettre à... avec l'aide de... la magie... (En proie à une étrange somnolence, je me passai une main fébrile sur le front.) Je... Qu'est-ce qui... m'arri-aaah...

Les mots s'évanouirent en même temps que moi.